La Chronique Agora

Législatives : une Assemblée éparpillée

Notre paysage politique est éparpillé « façon puzzle » !

La poussière du second tour n’est pas encore complètement retombée, mais il se pourrait bien que le résultat (très) inattendu soit le fruit d’un étourdissant jeu de massacre où tout le monde a voté contre tout le monde, tout en votant par calcul pour des adversaires irréductibles – dont le programme fut (ou sera) combattu sans répit dès que chaque député occupera la portion d’hémicycle qui est la sienne et se pliera à la « logique d’appareil », qui fera table rase des alliances contre nature et de circonstance.

L’ancien Premier ministre Edouard Philippe a ouvert le feu en appelant à un « accord » entre forces politiques, sans La France insoumise, tandis que Jean-Luc Mélenchon affirme déjà haut et fort qu’il est à la tête de la première formation politique du pays et appelle à « appliquer le programme du NFP, rien que le programme du NFP », un appel relayé par Boris Faure, le patron du PS, pourtant désavoué par les électeurs puisque battu au premier tour.

Mais une autre personnalité, l’eurodéputé de Place Publique, Raphaël Glucksmann – étiqueté lui aussi PS – se revendique viscéralement anti-Mélenchon. Il rappelle que la priorité était de battre le RN, plutôt que de soutenir un programme économique en rupture avec la Macronie. Il prend la mesure du « vertige et du désarroi » des électeurs de gauche votant pour la droite ou l’un des ministres de Macron.

Songeons en particulier à ceux ceux qui ont combattu la loi retraite mais qui ont été tenus d’assurer, dans le Calvados, la réélection d’Elisabeth Borne, celle qui la leur avait infligée à coups de 49.3.

Mais 48 heures avant le second tour, ce même Raphaël Glucksmann invitait les électeurs à « rompre avec le bruit et la fureur » de Jean-Luc Mélenchon en construisant « une gauche qui apaise le pays ».

Maintenant que le RN est lourdement défait, il poursuit dans la même veine, prônant de « se comporter en adulte et à nouer des alliances », qu’il envisage, comme aux européennes, avec le centre « qui apaise » plutôt qu’avec l’extrême gauche tendance LFI. Du coup, envisage-t-il une alliance avec les écologistes de Marine Tondelier qui ne veulent pas de nouvelles centrales nucléaires et soutiennent une immigration massive, tout comme Mélenchon ?

Il n’est donc pas surprenant de voir que le NFP, fort de 170 députés, est déjà en train de voler en éclats.

L’énorme surprise, en revanche, c’est le succès fulgurant du troisième « barrage au fascisme »…. Mais plus surprenant encore, ce succès s’est matérialisé ce dimanche entre 19h et 20h, puisque le RN a perdu en une heure 100 sièges par rapport aux toutes dernières projections.

On peut parler d’une débâcle historique pour les instituts de sondage : La Tribune de Genève donnait vendredi jusqu’à 240 sièges au RN, il n’aurait alors manqué qu’une cinquantaine de ralliements pour former une majorité absolue, tandis que le groupe Renaissance (ex-LREM + Modem) était crédité de 70 à 80 députés, mais il en obtient exactement le double et le RN finit troisième, au lieu de s’imposer avec 100 sièges d’avance sur le NFP.

La désillusion pour les militants RN est considérable, la diabolisation des candidats – et en effet, aucune outrance ne leur a été épargnée – a parfaitement fonctionné (pour la 3e fois en sept ans).

Mais pour certains responsables du RN invités sur les plateaux (c’est mon sentiment), il y avait presque du soulagement, avec des commentaires en mode « beau joueur, bon perdant ». Les responsables du RN se donnent « trois ans pour convaincre, pour être prêts » – sous-entendu, avec la dissolution surprise du soir des européennes, ils ne l’étaient pas. Ils reconnaissent volontiers qu’il y a eu des « erreurs de casting ».

Et Jordan Bardella, du haut de ses 28 ans, était le moins aguerri de tous les patrons de formations politiques en lice depuis un mois. Beaucoup d’observateurs étaient convaincus que sans majorité – et à plus forte raison avec une majorité relative faible – il aurait renoncé au poste de Premier ministre.

Jean-Luc Mélenchon, en revanche, moins de sept minutes après les résultats, s’est déclaré prêt : il revendique la victoire de la gauche (la gauche, tout comme la République, c’est lui !), entérine la défaite de la Macronie, se voit déjà à Matignon pour régler leur compte aux « riches » (ceux qui gagnent plus de 4 000 € par mois !).

Le problème, c’est que cinq minutes plus tard, François Hollande (qui ne souhaite pas devenir Premier ministre, ce que personne ne lui demande), Raphaël Glucksmann, Jérôme Guedj ou Edouard Philippe appelaient à exclure toute alliance avec lui. Du coup, il se retrouverait seul avec ses 70 députés, dont un bon tiers pourraient faire sécession pour former une nouvelle gauche avec François Ruffin, réélu d’extrême justesse à Amiens.

Tout le monde a voté contre tout le monde et en faveur d’aucun projet politique… et encore moins économique.

C’est exactement ce que les marchés avaient prévu, avec comme unique différence qu’une gauche atomisée – et qui vient déjà de se disloquer – ressort sur le papier comme la première force politique du pays à la place du RN qui a pourtant obtenu plus de votes que le NFP + Les Républicains réunis.

Du point de vue de la Bourse, le second tour s’impose comme un « non-événement ». La séance de vendredi s’est caractérisée par une absence de volumes assez vertigineuse (2,5 Mds€ échangés), quelques rachats techniques permettent au CAC 40 de grappiller 0,5% sans conviction, dans le sillage de Wall Street qui avait terminé la semaine en boulet de canon, avec des indices US qui continuent d’aligner des records absolus. Le Nasdaq Composite a inscrit son 24e record annuel (à 18 280), le S&P 500 son 34e (à 5 570) ; ces deux indices étant dopés par les « Sept magnifiques » dont cinq ont fini la semaine au zénith.

Pour rappel, les « Sept magnifiques » pèsent 1/3 du S&P et les dix plus grosses capitalisations boursières américaines 37%. Lors de la bulle des « dot.com » en l’an 2000, le « top-10 » du S&P 500 atteignit tout juste 30%. Une telle concentration n’avait été observée qu’une seule fois auparavant, c’était en juillet 1929.

Tout l’inverse de notre paysage politique, « éparpillé façon puzzle » !

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