▪ Nous avons entamé la semaine avec quelques points de pourcentage de moins qu’en début de semaine dernière, mais plus au moins au même niveau que le mois dernier. Un homme prophétique aurait pu éviter le tumulte et partir en vacances pendant tout le mois de septembre.
Mais pas nous, chers lecteurs. Vos chroniqueurs ne sont ni prophètes, ni enclins à rater une seule seconde du nouvel acte du Plus Grand Spectacle du Monde. Ce spectacle, comme nous l’avons déjà mentionné à plusieurs reprises, est mi-tragique, mi-comique, et complètement captivant. Par exemple, où pourrions-nous voir un rebond mondial des actions sur six mois, d’une valeur estimée à 20 000 milliards de dollars, alors que des millions de pauvres gens perdent leur emploi partout dans le monde ? C’est hideux et terrible… et pourtant, on ne peut pas s’empêcher de regarder.
Le taux de chômage officiel des Etats-Unis est monté à 9,8% vendredi dernier, un record sur les 26 dernières années, et la conséquence de la suppression de 263 000 emplois. Comme d’habitude, cela a dépassé de loin les 175 000 licenciements prédits par les économistes. 600 000 personnes ont également abandonné la recherche d’emploi au mois de septembre. Ajoutez ces pauvres âmes, et le taux monte au-dessus des 10%. Ajoutez aussi tous ceux qui ont perdu l’espoir de trouver un emploi à temps plein, et ceux qui se réfugient dans des emplois à temps partiel parce qu’ils ne trouvent pas mieux, et le chiffre s’envole jusqu’à 17%, soit près de 30 millions de personnes.
▪ L’histoire humaine représente donc clairement et tristement la tragédie dans ce Grand Spectacle. Pour la comédie, c’est vers la Bourse qu’il faut se tourner.
Tandis que la main-d’oeuvre des Etats-Unis s’affaiblit, que les lits des rivières de crédit restent désespérément secs, que l’industrie est nationalisée et dépendante des plans de relances, et que les consommateurs de l’économie la plus consommatrice du monde épargnent… les actions remontent de façon épique. L’indice S&P 500 s’échange maintenant à 20 fois ses bénéfices d’opération de l’année dernière et a augmenté de 50% depuis son taux de mars.
Ha ha ! Vous avez compris ?
"L’économie réelle se remet à peine tandis que les marchés ne cessent de grimper", a observé Nouriel Roubini, réaliste pérenne, quand il a été interviewé à Istanbul la semaine dernière. Si la croissance ne rebondit pas rapidement, a-t-il continué, "les marchés vont finir par se stabiliser et se corriger à des évaluations justifiées. Je vois un fossé grandissant entre ce que font les marchés et les activités économiques réelles qui faiblissent".
Roubini a qualifié d’"anémique" et "très faible" la projection de croissance du FMI de 3,1% pour l’année 2010.
On n’en attendait pas moins de l’homme qu’on appelle désormais docteur Fatalité — un sobriquet qui lui a été donné pour avoir eu le culot de prédire l’effondrement dès le début. Mais le gouffre entre la tragédie de l’économie réelle et la comédie de Wall Street est devenu si profond que même un économiste qui a remporté le prix Nobel a été forcé de conclure que les investisseurs en Bourse américains avaient peut-être "surexploité" la stabilisation de la croissance. Nous ne voulons pas discréditer cet homme aux yeux de ses pairs académiques en dévoilant son nom, même s’il frôle dangereusement la déclaration raisonnable. S’il a raison, il peut espérer le premier rôle en tant que "Vilain Qui a Volé la Reprise" !