La Chronique Agora

Le Vésuve financier gronde de plus en plus fort

** Il ne se passe rien de bien passionnant sur les marchés — nous en profitons pour élaborer une version plus large de l’histoire économique contemporaine.

* Partons d’une hypothèse de travail : donnez à un homme la permission de contrefaire de la devise, et il passera ses nuits à imprimer de nouveaux billets. Dans les faits, lorsque l’administration Nixon a coupé le dernier lien entre l’or et le dollar, en 1971, les autorités US pouvaient imprimer toute la fausse monnaie qu’elles voulaient. Normalement, le dollar aurait dû perdre toute sa valeur.

* C’est exactement ce que nous attendions dans les années 70. Mais quelques petites choses se sont produites qui ont sauvé le dollar… et ont semblé prouver que notre hypothèse de travail ne fonctionnait plus. Paul Volcker entra en scène pour protéger le billet vert. Il s’en chargea — en faisant grimper les taux d’intérêt et en provoquant la pire récession depuis les années 30.

* Puis d’autres choses entrèrent en jeu… la révolution Thatcher/Reagan… la déréglementation de l’industrie… le rejet de la planification centrale… l’effondrement de l’Union soviétique… la renaissance chinoise… Wal-Mart… l’internet… les systèmes de gestion de stock en "juste-à-temps"… et la mondialisation. Toutes ces choses tendaient à augmenter la productivité et à baisser les prix. Le facteur le plus important concernait sans doute le marché de l’emploi, où des centaines de millions de nouveaux travailleurs sont apparus dans l’économie moderne (prêts à trimer toute la journée pour moins d’un dixième du salaire moyen occidental), réduisant ainsi le coût de la main d’oeuvre et du produit fini.

* Nous nous demandions justement combien les systèmes "juste-à-temps" avaient permis d’épargner aux consommateurs. Dans la dernière lettre Grants Interest Rate Observer, nous trouvons une estimation de Fred Smith, fondateur de Federal Express :

* "En 1980, les coûts de logistique — y compris les coûts de stockage, les entrepôts et les coûts de transport — représentaient environ 17% du PIB [américain]. L’an dernier, ils atteignaient environ 10%".

* "La logistique en cycle rapide", déclare-t-il, a réduit les coûts de près de 1 000 milliards de dollars par an.

* Ce n’est pas tout… Après que Volcker a exorcisé le démon de l’inflation, les taux d’intérêt pouvaient baisser. C’est ainsi que commença un quart de siècle de baisses de taux et de crédit de plus en plus accessible. Cela finit par produire les conséquences absurdes et pernicieuses que nous décrivons dans nos colonnes. Tout comme les baisers entre adolescents mènent à du pelotage… lequel mène à… eh bien, vous savez comment ça marche, cher lecteur… le succès mène à la complaisance, qui mène à l’excès. Mais le long marché haussier des obligations (les obligations grimpent quand les taux d’intérêt baissent) a également largement augmenté la masse de capitaux disponibles pour de nouvelles industries… causant une explosion de la capacité de production.

* Plus de production à des coûts plus bas = déflation.

** Et n’oublions pas le pétrole. L’ingrédient de base des économies modernes a chuté, en termes réels, depuis le milieu des années 70 quasiment jusqu’à la Guerre en Irak.

* Jetons un petit coup d’oeil au marché du pétrole. Lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Irak, on disait que le pétrole à 10 $ était au coin de la rue. Puis, à mesure que la guerre passait du triomphe aux tribulations… le cours de l’or noir grimpa. Les partisans de la guerre pensaient toujours avoir bien fait, néanmoins. Les prix élevés ne pouvaient pas durer, dirent-ils. La National Review affirma que le pétrole était dans "une bulle" en 2004, alors qu’il était à 50 $ le baril. Puis Steve Forbes parla de "bulle" à 70 $ le baril en 2005… A présent, un expert de Goldman Sachs prédit qu’on atteindra le seuil des 200 $/baril.

* Le succès mène à l’excès. Tôt ou tard, le pétrole sera vraiment dans une bulle… et tôt ou tard, cette bulle explosera. Mais quand ? A quel prix ? L’utilisation d’or noir par la Chine double tous les sept ans. Aux Etats-Unis, on compte 480 voitures pour 1 000 personnes. En Chine, on n’en est qu’à 10. Et la Chine pourrait être le plus grand constructeur automobile de la planète dans quelques mois. Notre conseil : remplissez vos réservoirs.

** En attendant, revenons à notre version courte de l’histoire économique contemporaine des Etats-Unis :

* Alors que les prix étaient stables, voire en chute, depuis 20 ans, les banques centrales se sont dit qu’elles pouvaient "stimuler" l’économie chaque fois qu’elle avait besoin d’un peu de peps. L’exemple le plus mémorable, bien entendu, remonte aux suites de la micro-crise de 2001-2002, lorsque la Fed de Greenspan a abaissé les taux à 1%, pour les maintenir à ce niveau durant plus d’un an. Mais les planches à billets ont fonctionné à plein régime durant de nombreuses années. Sur toute la période ou presque, de la fin des années 80 jusqu’en 2008, la masse monétaire américaine a augmenté à un taux annuel moyen de 8% — soit environ deux fois plus rapidement que le PIB.

* A présent, nous sommes dans une période que de nombreuses personnes considèrent comme normale. Notre Vésuve financier a grondé à plusieurs reprises au cours du dernier quart de siècle — le krach de 1987, la récession de 1993, la crise asiatique et l’effondrement de Long-Term Capital Management en 1997 et 1998, le krach des dot.com et le marché baissier de 2000-2002, la récession de 2001-2002, et enfin le credit crunch de 2007-2008.

* Une fois encore, la terre tremble sous nos pieds. Et une fois encore, les gens se demandent s’il n’est pas temps de se mettre à l’abri. "Ne vous inquiétez pas", disent les experts. "Ca passera… comme toujours. C’est normal"…

* Mais si notre hypothèse tient toujours… l’inflation va bientôt exploser. A suivre…

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