La Chronique Agora

Le thermomètre immobilier affiche des températures bien de saison

** Nous allons entamer cette Chronique en rendant hommage à nos voisins et amis belges — nous les saluons tous, Flamands comme Wallons — qui viennent d’obtenir de leur gouvernement une augmentation de salaire de 4,51% qui s’applique aussi bien au secteur public que privé.

Nous évoquions hier le rétablissement d’un équilibre — mis à mal depuis les "reaganomics" au milieu des années 80 — entre la rémunération du travail et celle du capital… et voilà que le renversement du processus décrit ci-dessus semble s’enclencher dans l’urgence des Ardennes à l’estuaire du Rhin.

De belles hausses de salaires, voilà ce qu’il faudrait pour rendre solvables les candidats à un investissement immobilier en France ! La plupart d’entre eux ne recherchent en fait qu’à faire l’acquisition d’un logement sans projet d’en tirer un revenu immédiat ou une plus-value réalisable au moment de prendre sa retraite.

** Beaucoup d’agents immobiliers — en particulier leurs porte-paroles qui président de grands réseaux d’agences et vers lesquels les médias tendent habituellement leurs micros — prennent maintenant leur air le plus sombre pour faire part de prévisions "alarmistes" concernant l’évolution des prix.

L’année 2009 pourrait se solder par une correction jugée très brutale de 10%, (notamment dans l’ancien). 2008 avait déjà connu une inflexion de 6% à 7% en moyenne sur fond de chute historique du nombre de transactions au second semestre (environ -40%).

Montrons-nous d’un pessimisme noir et imaginons un repli de 20% des prix immobiliers en deux ans dans l’Hexagone — nous redoutons en fait que ce soit encore plus sévère : les acheteurs qui avaient hésité en l’an 2000 retrouveront-ils des conditions favorables ?

Pour bien resituer le débat, il suffit de se rappeler que la hausse du mètre carré en région parisienne avait atteint 6% en 2001, 8,5% en 2002, 14,0% en 2003, 15,5% (du jamais vu en France) en 2004, 11% en 2005, 7,2% en 2006 et 3,5% à 4% en 2007.

Nous allons vous épargner de fastidieux calculs : le prix d’un appartement en Ile-de-France a bondi de 90% en six ans et de plus de 120% en 10 ans, alors que les salaires moyens n’ont progressé que d’un tiers dans l’intervalle.

C’est donc l’abondance de l’offre d’argent — plutôt que son coût avantageux — et l’allongement de la durée des prêts qui ont rendu l’accès à la propriété possible à des ménages disposant de ressources limitées. Y compris lorsque, dès 2003, les prix sont devenus prohibitifs à l’aune de l’évolution historique des salaires réels (inflation déduite).

Pour conclure ce chapitre — qui n’a vocation qu’à vous rappeler des notions qui vous sont familières, si à la fin de l’année 2010, le mètre carré dans l’ancien a baissé de 25% par rapport à ses sommets de 2007, cela ne corrigera que d’un tiers la hausse de l’immobilier de 1998 à 2008 — une période de surabondance du crédit qui ne se représentera peut-être pas avant plusieurs décennies.

** Avec la nécessité d’épargner davantage pour se constituer une retraite et avec de l’argent devenu plus rare (même s’il devenait gratuit comme aux Etats-Unis ou au Japon), les ménages auront du mal à contrecarrer les pressions déflationnistes dans le secteur immobilier.

Il faudrait donc anticiper une belle série de hausses de salaires comme celle adoptée en Belgique début 2009 pour que les futurs acquéreurs commencent à redouter que les prix cessent de baisser d’ici 18 ou 24 mois. Ce délai serait d’ailleurs particulièrement resserré compte tenu du "temps de réponse" des agents économiques et de l’ampleur de la hausse de la dernière décennie.

En dépit des anticipations de mise en oeuvre d’un plan de relance d’une "ampleur rooseveltienne" — pour reprendre l’expression de Bill Bonner dans sa Chronique de mardi –, l’indice des promesses de vente dans l’immobilier aux Etats-Unis a de nouveau plongé de 4% (à 82,3) en novembre. C’est son niveau le plus bas depuis que la NAR publie ce genre de baromètre (c’est-à-dire 2001).

De plus, l’indice du mois d’octobre, déjà catastrophique en lui-même, a été fortement révisé en baisse à 85,7, contre 88,9 indiqué initialement.

** Les signaux de récession se succèdent inexorablement aux Etats-Unis. Le chiffre relatif aux commandes à l’industrie a chuté de 4,6% en novembre, après avoir déjà baissé de 6% en octobre (chiffre révisé d’une estimation initiale de -5,1%).

Pas de rebond surprise en Zone euro puisque l’indice PMI d’activité (l’équivalent de l’ISM américain) est passé de 42,5 en novembre à 42,1 en décembre, atteignant ainsi son plus bas score historique.

De tels chiffres ont alimenté l’anticipation de nouvelles baisses des taux directeurs à l’initiative de la BCE. Cette dernière reconnaît à demi-mot qu’un recul de l’inflation à 1,6% en décembre 2008 (contre 2,1% en novembre) pouvait préfigurer l’instauration de conditions économiques déflationnistes.

** Il n’en fallait pas d’avantage pour précipiter l’euro sous les 1,3315 face au dollar. Cette évolution a favorisé une hausse de 1,5% des indices boursiers européens à la mi-séance et de 1,1% du CAC 40. L’indice parisien aligne ainsi une sixième séance de hausse consécutive, entérinant un cumul de gain supérieur à 8% depuis le 29 décembre 2008.

Aucun scénario boursier ne saurait être écarté sur la foi de probabilités qui n’ont plus aucune pertinence depuis janvier 2008. Dans de telles conditions, la hausse de 1,5% du Dow Jones hier — dans le sillage des parapétrolières et des valeurs bancaires et notamment d’American Express qui s’est envolé de 5,6% — pourrait bien favoriser une septième hausse des valeurs françaises et le comblement d’un gap (un trou dans la courbe du CAC 40) resté béant sous 3 498 points depuis le 10 novembre 2008.

Les rachats à bon compte pourraient donc se poursuivre. Cependant, avec des volumes inférieurs à trois milliards d’euros au quotidien depuis le 22 décembre, il est difficile de parler d’une vague de réinvestissements massifs sur le marché parisien.

Cela ne nous inquiète pas outre mesure : nous anticipions depuis la mi-septembre la disparition d’un nombre conséquent d’opérateurs institutionnels spécialisés dans le trading au jour le jour — autrement dit, de la spéculation pure et simple –, soit pour cause de faillite ou de dissolution, soit pour cause d’absence de soutien (sous forme de crédit) de la part de partenaires bancaires exsangues financièrement.

** Leur sort nous préoccupe toutefois bien moins que celui de dizaines de milliers — et ce sera sûrement plusieurs centaines de milliers — de nouveaux chômeurs, victimes de la crise aux Etats-Unis en décembre… et dont le nombre approximatif sera dévoilé demain outre-Atlantique.

Le gouvernement britannique s’attend de son côté à plus de 100 000 pertes d’emplois par mois d’ici fin 2009. Contrairement aux pays continentaux, l’Angleterre ne propose qu’une aumône forfaitaire — à peine supérieure à notre RMI compte tenu de l’effondrement de la livre sterling fin 2008 — aux chômeurs durant une période ridiculement courte.

Nos partenaires européens d’outre-Manche, qui se gaussaient des parachutes sociaux — et non dorés sur tranche — des pays considérés comme socialistes, se demandent aujourd’hui comment ils pourraient mettre en place des systèmes redistributifs offrant le même genre de filet de sécurité qu’en France ou en Belgique.

Après s’être vanté d’être le pays d’Europe qui comptait le plus de SDF — de résidents Sans Difficultés Financières –, l’Angleterre pourrait très rapidement devenir le champion d’Europe des authentiques SDF avec un record de saisies immobilières directement liées aux pertes d’emploi. Marks & Spencer annonçait ainsi un millier de licenciements mardi, alors même que la période des soldes bat son plein au coeur de la cité londonienne.

Philippe Béchade,
Paris

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