La Chronique Agora

Le temps des soldes…

** Beaucoup de commentateurs évoquent la période des soldes sur les marchés financiers : c’est bien de saison, et cela colle parfaitement avec le timing de la correction sur les places européennes. Nous trouvons la métaphore particulièrement pertinente car ce à quoi nous assistons depuis 10 jours coïncide à merveille avec le canevas marketing et la rhétorique qui s’appliquent au déstockage des boutiques et des grands magasins.
 
Tout commence par des soldes privées : vous pouvez faire mettre de côté les articles qui vous plaisent avant le commun des mortels et passer régler le tout avec une remise prédéfinie dès que le coup d’envoi officiel (c’est-à-dire fiscal) est donné.
 
Dès lors, toutes les vitrines se couvrent d’affiches "Soldes à -30%, -40% et même -50%". En ce qui concerne les -30%, nous y sommes largement sur les actions françaises par rapport au 4 juillet 2004 !
 
Les vrais connaisseurs savent que dans ce genre d’évènement commercial, il faut soit acheter dès l’ouverture si l’on a repéré une pièce n’existant qu’à quelques exemplaires (et encore, pas dans toutes les tailles)… sinon il faut se montrer patient. C’est pourquoi nous avions fait quelques courses une quinzaine de jours auparavant et sélectionné une liste de titres offrant –avant même que le CAC 40 casse sa tendance haussière long terme sous les 4 530 points — des rendements supérieurs à 4,50% (voire beaucoup plus) et dont nous apprécions les métiers, les perspectives et le management.
 
Puisque nous étions à la tête de beaucoup de liquidités depuis la mi-mai, nous avons ramassé les valeurs qui nous plaisaient, à des prix qui nous paraissaient déjà très avantageux… mais cette année, avec une inflation à 4% (et plus) et la crise des subprime, la majorité des investisseurs n’a plus beaucoup d’argent à dépenser.
 
** Après les soldes VIP, voici que les étiquettes passent rapidement de -30% à -40% sur certains dossiers. Depuis le mercredi 3 juillet, c’est le temps de la "deuxième démarque" : certains cours affichent allègrement -50% depuis l’automne dernier. Nous savons que d’ici quelques jours, nous verrons fleurir des annonces telles que "prix sacrifiés" — comme s’ils ne l’étaient déjà !
 
Les heureux possesseurs de comptes généreusement approvisionnés (et nous espérons que nos lecteurs en font partie, s’ils ont vendu les marchés comme nous le recommandions dès le mois d’avril) devraient bénéficier de 15% de rabais supplémentaires s’ils détiennent des cartes UBS, Barclays, Goldman Sachs. Les analystes de ces grandes maisons déversent dans la presse et sur les chaînes d’informations économiques un impressionnant flux d’études négatives concernant la quasi-totalité des secteurs de la cote (dégradations de notations, abaissements drastiques des objectifs de cours).
 
Voilà un phénomène annonciateur de la troisième démarque : des titres se négocient avec des remises de -60% à -70% sur les neuf derniers mois. Cependant, en bons connaisseurs du cycle marketing des soldes, les stock-pickers les plus avertis savent que le meilleur reste à venir avec la grande braderie : tout à 10 euros, tout à cinq euros… y compris sur des marques qui ne vendent jamais un produit à moins de 50 euros. Enfin arrive l’étape ultime : l’opération coup de balai !
 
A partir de la troisième démarque, beaucoup de boutiques vendent à perte, mais les stocks coûtent cher avec un loyer de l’argent remonté à 4,25% jeudi dernier… Dans ces conditions, mieux vaut vider les rayons, même avec des marges négatives, plutôt que de rester avec des produits plus vraiment "dans le coup" sur les bras — en espérant se refaire avec la nouvelle collection cet automne.
 
Nous, c’est l’opération coup de balai qui nous intéresse. Ce que vaut intrinsèquement le produit, les gérants (des stocks d’actions) s’en fichent : leur défi consiste à afficher un taux de liquidité maximum — s’il a été décidé de réduire coûte que coûte l’exposition sur les titres libellés en euros.
 
Nous adorons le pouvoir d’achat phénoménal que nous procure soudain un billet de 100 euros sur notre compte titres lorsque 1 000 euros n’auraient pas suffi à remplir la moitié de notre caddie virtuel six semaines auparavant. Rien de plus excitant que de faire ses courses dans un "marché idiot", où les vendeurs paniquent parce qu’un imbécile crie au feu… alors que l’épaisse fumée qui envahit les travées provient d’un stand de grillades situé à l’extérieur de la halle couverte.
 
** Mais noir c’est noir (comme la fumée) et aucun des motifs d’optimisme prévalant encore fin mai/début juin ne reçoit plus le moindre écho. Côté conjoncture, c’est la stagflation qui se profile… Côté résultats des entreprises, le pire serait à venir dès la semaine prochaine… Côté géopolitique, les tensions avec l’Iran pourraient dégénérer de la pire des manières et embraser un peu plus les cours de l’or noir.
 
Il faut remonter aux troisièmes trimestres 2001 et 2002 pour retrouver des niveaux de déprime boursière et d’aversion au risque comparables à ce qui se dessine depuis le début du mois de juin. Les places européennes alignent une cinquième semaine de baisse consécutive, avec des écarts une nouvelle fois très significatifs (-2% à -3%).
 
Le climat de capitulation se caractérisait vendredi par une très mauvaise fin de journée (-1,8%), une très mauvaise fin de semaine (-3%), un très mauvaise début de troisième trimestre (-3,85% sur les quatre premières séances de juillet)… La spirale baissière frappe avec la même puissance destructrice l’ensemble des places européennes : elles lâchaient 1,65% en moyenne, et le recul cumulé depuis le premier janvier dépasse -24% sur le Vieux Continent.
 
Pas questions d’accuser Wall Street ou les mauvaises statistiques américaines : les Etats-Unis étaient en congé vendredi et tous les marchés étaient clos pour cause de fête nationale.

Le calme régnait également sur le front pétrolier avec un baril de brent oscillant vendredi à Londres entre 145 $ et 146 $. De son côté, le dollar conservait les 1,50% repris jeudi, à 1,57/euro.
 
Autrement dit, la chute des indices s’explique surtout par une formidable montée en puissance du phénomène d’aversion au risque. Il engendre une fuite effrénée vers la liquidité, quitte à brader complètement la cote et ignorer des critères d’évaluation tels que la valeur d’actif ou le rendement net.
 
** Sur le front des valeurs, les financières restent ancrées dans le rouge suite à une étude négative de Goldman Sachs qui estime que les banques européennes pourraient encore devoir lever entre 60 et 90 milliards d’euros afin d’améliorer la situation de leur capital après la crise financière.

Pourtant, UBS a déclaré que ses résultats pour le deuxième trimestre au 30 juin, prévus le 12 août prochain, "sont susceptibles d’atteindre ou de rester légèrement en retrait du seuil de rentabilité ". L’établissement financier helvète ajoute qu’une "nouvelle levée de fonds propres n’est pas nécessaire".
 
Beaucoup d’investisseurs misaient sur un phénomène de fait accompli après la réunion de la BCE et la hausse du "repo" à 4,25%… mais ce sont à présent les trimestriels du deuxième trimestre 2008 qui font office d’épouvantail : les acheteurs ont aujourd’hui peur d’avoir peur !

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile