La Chronique Agora

Le secteur de l'eau, un investissement pour 2010

▪ La ville de Milwaukee commence à se rendre compte qu’elle possède une grande ressource — un accès à l’eau claire du lac Michigan.

L’histoire de Milwaukee est étroitement liée à l’histoire de ce réservoir d’eau géant. Des entreprises nécessitant énormément d’eau, telles que les brasseries ou les tanneries, ont poussé comme des champignons dans cette région. Elles ont aidé à la construction de la ville sur les rives du lac Michigan. Au début du XXe siècle, Milwaukee réunissait presque tous les brasseurs du pays. Pabst, Miller, Schiltz et Blatz — ils viennent tous de Milwaukee.

Tout ça a atteint son paroxysme en 1960, et depuis, la population de Milwaukee décline. Les tanneries sont parties. Les grandes brasseries aussi. Ce qu’il reste, en revanche, c’est le système de répartition. Des tuyaux, des réservoirs, des stations de pompage, des sites de traitement… qui ne tournent aujourd’hui qu’à un tiers de leurs capacités.

La ville envisage donc d’utiliser cet atout pour attirer les entreprises qui nécessitent beaucoup d’eau pour fonctionner. Venez à Milwaukee, et vous paierez l’eau moins chère pendant cinq ans. La ville n’est pas la seule. Erie, en Pennsylvanie, offre l’eau du lac Erie 40% moins chère pour les entreprises qui se relocalisent dans cette ville.

▪ Le fait que Milwaukee et Erie peuvent faire ça en dit long sur l’offre en eau des Etats-Unis. Elle est — ou est sur le point de devenir — peu fiable. Je vous parle de cette crise de l’eau latente depuis des années, et ça m’intéresse toujours autant. Je pense que l’eau sera l’un des secteurs d’investissement les plus importants dans la décennie à venir, si ce n’est plus.

Alors quand on m’a proposé une place au Sommet Gabelli sur l’investissement dans le secteur de l’eau à New York, je l’ai accepté avec plaisir. Les gens de chez Gabelli font du beau boulot en réunissant une douzaine de dirigeants d’entreprises du secteur de l’eau venus des quatre coins du pays. Je ne perds pas ma journée là-bas, j’y apprends toujours quelque chose. Et je ne peux pas m’empêcher de penser que les Etats-Unis ne savent pas gérer leurs réserves d’eau.

La présentation qui m’a le plus ouvert les yeux, c’est celle de Nick DeBenedictis, le P.D-G d’Aqua America, deuxième entreprise américaine de distribution d’eau à être détenue par des investisseurs (elle s’échange à la bourse de NY sous le sigle WTR).

Il nous a donné un bon aperçu du secteur de la gestion de l’eau. En un mot, je dirais que "n’importe quoi" est le terme qui convient le mieux. Comme l’a dit DeBenedictis, "on ne l’aurait jamais organisé comme ça". Tout d’abord, il y a beaucoup trop de réseaux. Nous avons 55 000 réseaux de distribution d’eau dans le pays. Ensuite, la plupart d’entre eux sont trop petits, ils fournissent moins de 3 000 personnes. Tout ça est totalement inefficace.

Quelles que soient les raisons, la plupart des gens aux Etats-Unis pensent que l’accès à l’eau est une sorte de droit et que les lois du marché ne devraient pas s’appliquer à l’eau. Si bien que les forces du marché n’ont pas modelé le secteur de distribution de l’eau autant qu’elles l’auraient dû. Aux Etats-Unis, le gouvernement dirige la plupart de ces systèmes. Seul 10% de la population obtient son eau par le biais d’un groupe privé tel qu’Aqua America.

Dans d’autres parties du monde, l’histoire est différente. En Angleterre, 100% des gens reçoivent leur eau par le biais d’entreprises privées, et ils n’ont que 10 réseaux de distribution. Même en France, 90% des gens reçoivent leur eau d’entreprises privées. Aux Etats-Unis, nous laissons le gouvernement faire n’importe quoi. Cela n’a pas toujours été le cas. En 1850, près de 80% du pays recevait son eau d’entreprises privées. En 1900, ce n’était plus que 50%. Il nous a fallu des décennies pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui. Et là où nous sommes aujourd’hui, c’est cher.

▪ La société Summit Asset Management a récemment publié un document reprenant les arguments pour l’investissement dans le secteur de l’eau en 2010. Dans ce document, les auteurs ont résumé les dégâts. "Rien qu’aux Etats-Unis, le réseau de tuyaux pour la distribution d’eau potable s’étend sur près de 1,6 million de kilomètres — plus de quatre fois la longueur du réseau national d’autoroutes. Cette infrastructure vieillissante, dont la majeure partie a plus de 100 ans, a depuis longtemps dépassé sa date de péremption, et se trouve dans un état de délabrement avancé dans de nombreux secteurs".

Le réparer coûterait au moins 500 milliards de dollars sur les 20 prochaines années. Cela représente beaucoup de nouveaux tuyaux, de sites de traitement, de remises aux normes de sécurité, etc. Je parie que ça va coûter le double de ça. Ces projets coûtent toujours plus quand on commence à creuser et à sortir des trucs de terre.

Vous seriez stupéfait en voyant les images des réseaux gérés par le gouvernement US. On dirait des constructions de l’ancienne Union soviétique. Des sites sales, vieux, usés… des tuyaux pleins de saletés… des petites structures ressemblant à des latrines, pas du tout sécurisées, et qui donnent directement dans le réseau d’eau potable.

"Les villes de tout le pays jouent au jeu de ‘je paierai plus tard’", explique DeBenedictis. "Laissons ça au prochain maire". C’est toujours le même problème. Qui veut être le politicien qui augmente le prix de l’eau pour payer ce qui doit être réparé ?

Et les réseaux se dégradent de plus en plus. La ville ne fait rien, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus le choix.

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