La Chronique Agora

Le salaire du péché

** L’or, c’est ce qu’on achète lorsqu’on soupçonne que les autorités monétaires sont en train de faire un beau gâchis. Les tricheurs trichent plus que jamais — quelles sont les chances de voir certains de leurs tours rater ? Nous n’en savons rien… mais nous sommes d’avis que l’or les attend avec impatience.

* Dans le même temps, la confiance des consommateurs aux Etats-Unis est à un plus bas record. Fannie et Freddie déclarent avoir besoin de 51 milliards de dollars supplémentaires. Dow Chemical envisage de réduire son dividende pour la première fois depuis 1912.

* Tout le monde aime le salaire du péché… jusqu’à ce que le diable se pointe…

* La semaine a commencé sur une prise de bec. John Thain a été licencié de son poste à la tête de Merrill Lynch après avoir distribué pour quatre milliards de dollars de primes — juste avant d’annoncer 15 milliards de dollars de pertes pour le quatrième trimestre 2008. Bank of America, nouveau propriétaire de Merrill, affirme n’avoir pas approuvé ces primes. Thain déclare qu’ils en avaient été "informés".

* Puis Citigroup a annoncé avoir acheté un nouveau jet d’entreprise pour 50 millions de dollars. Ca semblait pousser le bouchon un peu loin, de la part d’une société qui venait de perdre 8,3 milliards de dollars.

* Quel genre de diablerie est-ce là ? Où peut-on perdre des milliards… empocher d’autres milliards d’aides provenant des contribuables… tout en chouchoutant les dirigeants avec de nouveaux avions et des "primes" à plusieurs millions de dollars ? Des amendes seraient plus appropriées.

* Mardi, le président Obama exprimait déjà l’indignation du public ; il annonçait que si les banques prenaient l’argent du public, elles devraient limiter les compensations aux dirigeants ainsi que les versements de dividendes. Il s’est engagé à imposer "des conditions rigoureuses et transparentes aux sociétés recevant l’aide des contribuables". Dommage. La fête est finie.

* Mais on s’est bien amusé, tant que ça durait. Lorsque les instincts animaux sont abondants, les fauves du secteur financier peuvent gagner gros. Rien de très surprenant à cela. Mais les sommes étaient stupéfiantes. Chez Goldman Sachs, par exemple, le salaire moyen, en 2006, était de 521 000 $ — un chiffre qui inclut les secrétaires et l’équipe de nettoyage. Henry Paulson, qui était PDG de Goldman à l’époque — avant de devenir secrétaire au Trésor –, gagnait 38 millions de dollars.

* Mais les employés du secteur financier n’étaient pas les seuls à s’enrichir… Durant la Bulle Epoque, toute la couche supérieure était enduite de miel. En 1970, les meilleurs PDG américains gagnaient environ 39 fois plus que l’employé moyen. 30 ans plus tard, leur salaire moyen est grimpé à 37,5 millions… près de 1 000 fois autant que la paie du travailleur moyen.

* Cette explosion d’avarice peut être attribuée en partie aux tentatives même du gouvernement d’y mettre fin. En 1993, le Congrès américain a limité la déductibilité fiscale des salaires des dirigeants à un million de dollars — sauf dans les cas où le salaire était lié à la performance. Cela a permis aux conseils salariaux de privilégier l’utilisation de la rémunération par les actions dans la société, basée sur des objectifs et des benchmarks qu’il était difficile de contester. Le salaire des PDG a augmenté de près de 300% entre 1990 et 2005, tandis que les salaires de ouvriers de production n’ont grimpé que de 4,3%. Durant cette même période, les salaires des PDG ont grimpé deux fois plus rapidement que le S&P… et trois fois plus rapidement que les profits des entreprises. Les gérants ne tardèrent pas à tous vouloir "une part de la hausse". Les investisseurs pouvaient bien se garder toute la baisse !

* Comme Bernie Madoff, les PDG ont joué un sale tour à tout le monde — aux capitalistes comme aux prolétaires. Les malheureux travailleurs étaient talonnés par la main-d’oeuvre étrangère. S’ils faisaient un geste de travers, leurs employeurs exporteraient leurs emplois en Chine. Les actionnaires, ces pigeons, n’avaient pas plus de chance. Ils savaient parfaitement bien que le benêt à la tête de la société ne valait pas ce qu’on le payait, mais qui pouvait discuter sa "performance" ? En plus, ils avaient des "comités de compensation" et des consultants pour leur dire que c’était "raisonnable" ou compétitif.

* Edgar S. Woolard Jr., PDG retraité de DuPont, a élevé la voix. En 2005, il était président du comité de compensation exécutif du NYSE. En ce qui concerne le besoin de verser de telles rémunérations pour recruter des personnes de talent, il a répondu en un seul mot : "c***ies". Mais les super-PDG super-payés ne créaient-ils pas de la super-richesse ? C’était "une blague", déclara-t-il. Il tira la sonnette d’alarme. Personne n’est arrivé en courant.

* Notre propre expérience des affaires nous dit que plus l’entreprise est grande, moins le PDG a d’importance. Nombre d’entre eux ne deviennent guère plus que les porte-voix, les ambassadeurs et les supporters d’activités qu’ils comprennent à peine. Ils ne "gèrent" pas l’entreprise ; c’est l’entreprise qui les gère.

* Les preuves de ces dernières années nous disent que la seule chose pour laquelle ces super-PDG étaient doués, c’était négocier leur propre rémunération.

* Des données officielles nous disent que Jimmy Cayne, autrefois PDG de Bear Stearns, qui était une grande banque d’investissement de Wall Street, a passé environ un tiers du mois de juillet 2007 à jouer dans divers tournois de bridge. On pourrait attendre d’un homme gagnant près de trois millions de dollars par mois qu’il soit disponible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Au moins pourrait-on espérer qu’il vienne faire un tour à la boutique quand l’entreprise est en difficulté. Mais juillet 2007 est le mois où Bear Stearns s’est retrouvé sur la paille.

* Dick Fuld gagnait près de quatre millions de dollars par mois durant sa dernière année chez Lehman Bros. A 25 000 $ l’heure, on pourrait s’attendre à ce qu’il reste attentif à ce qui se passe. Rappelez-vous aussi que cette société avait survécu à la guerre de Sécession et à la Grande Dépression. Mais Fuld semblait ne pas avoir la moindre idée de ce qui se passait. En fin de compte, il accusa les vendeurs à découvert — comme s’il avait passé sa carrière dans la finance sans jamais apprendre quoi que ce soit sur son fonctionnement.

* Les vendeurs à découvert ne peuvent pas abattre une grande société saine. Mais lorsqu’ils voient quelqu’un en équilibre précaire, comme Lehman, ils le poussent.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile