La Chronique Agora

Le salaire du péché (2)

Par Bill Bonner (*)

On récolte ce qu’on a semé, déclare la Bible. Mais entre 1997 et 2007, les Américains ont pu récolter sans semer. Ils pouvaient consommer sans rien gagner. Ils pouvaient investir sans épargner, et dépenser autant qu’ils le voulaient sans se trouver à court d’argent. Ils étaient les gens les plus veinards de la terre — ils avaient la devise de réserve mondiale… et l’accès à tout le crédit planétaire.

Le miracle qui a fondamentalement altéré le système monétaire mondial s’est produit le 15 août 1971 lorsque Richard Nixon a "fermé la fenêtre de l’or" du Trésor US. Avant cela, les devises de tous les pays étaient ancrées à l’or. Les gouvernements soldaient leurs comptes en métal jaune ; dans la mesure où chaque unité de monnaie papier représentait une option sur l’or contenu dans le trésor national, cela forçait les autorités à surveiller leurs émissions de monnaie. Mais après août 1971, le système monétaire mondial leva l’ancre et prit le large. A présent, il flotte sur une mer de papier monnaie — et personne ne sait ce qui se cache sous la surface sombre de l’océan.

Le commerçant chinois qui vendait des gadgets et des babioles au Américains prodigues ne pouvait pas utiliser des dollars pour payer ses salaires. Il lui fallait de la devise locale. Il échangeait donc ses dollars contre des yuans. Et où la Banque centrale chinoise obtenait-elle assez de yuans pour racheter des milliers de milliards de dollars ? Elle devait les créer. Dans le monde entier, à mesure que le stock de dollars mondial grimpait… il en allait de même pour les réserves de devises locales. Et ensuite, que faire avec ces dollars ? Avant 1971, les banques centrales les auraient présentées au Trésor US et reçu une once d’or pour 41 dollars papier. Afin de protéger l’or national, les banquiers centraux auraient fermé le bar et éteint les lumières. Les taux auraient grimpé ; les étrangers auraient été encouragés à garder leurs dollars (plutôt que de les échanger contre de l’or) ; les Américains auraient été découragés de dépenser leurs dollars — ce qui aurait étouffé les dépenses de consommation US et ramené les comptes courants dans le vert.

Mais en 2001, les autorités financières américaines, menées par Alan Greenspan, se crurent confrontées à une crise. Elles paniquèrent — et donnèrent encore plus de mou monétaire aux Américains. Sans rien pour l’arrêter, la masse de liquidités et de crédit grimpa à un rythme encore plus rapide. Et c’est ainsi que les Américains se passèrent leur bonne fortune au cou comme un noeud coulant. Au lieu de mettre en pratique la vertu qui les avait rendus riches — épargner de l’argent, construire de nouvelles usines et apprendre de nouvelles techniques — ils empruntèrent plus lourdement qu’auparavant.

A présent, leurs maisons sont saisies et les factures pleuvent. Pire, leur actif le plus important — leur temps — se dévalue en même temps que le dollar. Selon nos sources, le travailleur américain moyen de la fin du 19ème siècle gagnait déjà considérablement plus qu’un Anglais — 25 onces d’or par an, plutôt que 14. Il devint aussi bien plus riche à mesure que la Révolution industrielle avançait. En 1971, il gagnait l’équivalent de 82 onces d’or, soit 76 000 $ aujourd’hui. Mais il oublia ensuite sa leçon. Il cessa d’épargner… son revenu chuta… et son dollar aussi. Si l’on ajuste son salaire horaire moyen à l’inflation des prix à la consommation, il gagne un peu moins aujourd’hui que sous l’administration Carter. Et si l’on ajuste son salaire à l’évolution de l’euro, on découvre que l’Américain moyen gagne moins que le Français moyen. Enfin, si l’on ajuste son salaire à l’or, on voit qu’il a perdu un demi-siècle de progrès salariaux. Aujourd’hui, il ne gagne que l’équivalent de 40 onces d’or — soit environ 38 000 $ seulement.

Meilleures salutations,

Bill Bonner
Pour la Chronique Agora

(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres "L’inéluctable faillite de l’économie américaine" et "L’Empire des Dettes".

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