La troisième semaine de novembre démarre sur les chapeaux de roues… Prenons un exemple emblématique : Valeo a rebondi sur les 37,25 euros en début de matinée vendredi. Dès la séance suivante, le titre s’envole de 3,25% et repasse au-dessus des 39 euros, malgré un contexte qui s’annonce beaucoup plus difficile dans le secteur automobile en Europe et aux Etats-Unis pour les 12 à 18 prochains mois.
Mais les programmes d’achats informatisés sont ainsi conçus : ils répètent les mêmes schémas, insensibles au contexte, jusqu’à ce qu’une reprise de contact avec le réel fasse basculer les paramétrages et engendre une correction qui devient à son tour irréversible.
Les programmes de trading, quel que soit leur niveau de sophistication, manquent totalement d’originalité. Ils respectent tous l’axiome (ou « postulat de Panurge ») selon lequel il est toujours plus payant de confier son sort à la tendance du moment que d’anticiper un retournement… même au prix d’une totale déconnexion avec les performances prévisibles de l’entreprise concernée.
▪ Ce qui vaut pour Valeo pourrait être vrai d’un large éventail de valeurs du SBF 120, du S&P 500 ou du Nasdaq. En l’occurrence, la proximité du zénith d’octobre 2007 ne semble pas constituer un frein psychologique puisque les robots de gestion indicielle sont à la manoeuvre.
Ils ignorent l’absurdité que constitue le retour de certaines valeurs industrielles cycliques à des niveaux constituant des records absolus établis fin octobre 2007, lorsque croissance, crédit facile et plein emploi étaient à leur zénith.
Les robots se contrefichent que les ventes de véhicules neufs régressent cet automne presque partout dans le monde alors que les mesures de soutien gouvernementales ont disparu.
Renault a flambé de +20% en octobre alors que les immatriculations chutaient symétriquement de -20% au cours de la même période. En effet, depuis plus d’un an, les programmes de trading achètent aveuglément les constructeurs automobiles dès que les indices boursiers s’orientent à la hausse.
Et un cours qui surperforme, c’est la garantie d’un maintien quasi-éternel dans la liste des « favorites » des robots. Ils ont pour seul objectif de prédéterminer un cours, pas une valeur ayant un sens économique.
Il suffit de jeter un oeil à l’étrange élasticité de certains PER pour s’en convaincre. Les analystes cravachent ensuite pour rattraper les scores à coup d’extrapolations de profits délirantes ou inventent au besoin une « Nouvelle économie » qui met au rancart les grilles de lecture habituelles.
Mais ils ne pourront jamais rattraper cette autre réalité : c’est le cours de la veille, de l’heure, de la minute, de la nano-seconde précédente qui détermine ce que sera celui de la prochaine seconde, du prochain quart d’heure, de la séance suivante.
Le marché produit essentiellement un prix qui fluctue plus rapidement que ce que peut percevoir l’oeil humain ; un prix qui ne procède plus que de lui-même et devient une anticipation d’anticipations basées sur une psychologie de synthèse.
Le cours ne reflète même plus un rapport de force — même ponctuel et relatif — entre l’offre et la demande. Les carnets sont saturés à 98% d’ordres d’achat ou de vente factices qui baignent dans un flou quantique, un même titre pouvant appartenir simultanément à plusieurs indices servant de support à un contrat à terme ainsi qu’à une infinité de trackers ou d’ETF.
Nous abordons là le domaine réservé des supercalculateurs de trading qui sont de très proches cousins de ceux qui simulent l’évolution de l’atmosphère terrestre en temps réel. Leurs concepteurs ont fait les mêmes écoles d’ingénieurs, les meilleurs d’entre eux — ou les plus malins — se sont fait embaucher par les banques ou les hedge funds.
▪ Ils sont certainement beaucoup plus malins que nous, car nous sommes incapables d’expliquer les hausses de cours qui précèdent. Surtout compte tenu de la spectaculaire remontée du dollar au-dessus des 1,37/euro (indifférent à ce phénomène, l’Euro-Stoxx 50 a terminé au contact des 2 850 points, pratiquement au plus haut du jour).
A Wall Street, le Dow Jones s’offrait une progression de 0,8% à la mi-séance avant d’effacer ses gains à contrecoeur — alors que le billet vert grimpait par delà les 1,36/euro (1,3565 en fin de soirée).
Pour mémoire, le dollar valait moins de 1,4070/euro lundi dernier et 1,42 il y a tout juste sept séances. Cela fait plus de 4% d’écart… mais les indices américains n’ont reperdu que 2,5% à 3% dans l’intervalle.
Il y a une évidente dissymétrie entre l’effet de levier à la hausse lorsque le dollar chutait graduellement face aux autres devises fin octobre et les effets négatifs d’un rebond d’intensité supérieure depuis les chiffres de l’emploi publiés le 5 novembre dernier.
▪ Notre véritable étonnement provenait hier de ce qui relève à nos yeux d’un véritable prodige : soit les marchés ont perdu la raison (ils l’ont troquée contre une panoplie d’algorithmes et un gros chèque de la Fed)… soit nous voyons malice derrière la moindre variation anachronique qui met notre bon sens au supplice.
A vous de juger. Nous sommes simplement incapables d’expliquer pourquoi Valeo a pu prendre 3,25% et le CAC 40 jusqu’à 1% — alors que le rendement des bons du Trésor US a explosé de 20 points de base en 48 heures sur le 10 ans (de 2,73% vers 2,93%), et 15 points de base sur le « 30 ans » (de 4,245 vers 4,395%).
Sur une semaine, l’écart apparaît spectaculaire. Il dépasse les 45 points de base, comme si la Fed venait de prévenir Wall Street d’un durcissement imminent de sa politique monétaire — le taux directeur passant de 0,08% à 0,50%. Et ce en dépit du fait qu’elle vient tout juste d’injecter 105 milliards de dollars d’argent frais dans le système (les 75 milliards du « QE2 », plus 30 milliards d’opérations de refinancement plus « classiques »).
Le résultat du premier volet de l’assouplissement quantitatif est à l’exact opposé des anticipations du marché… Cependant, cela n’impacte guère le Dow Jones ou le Nasdaq ; ce dernier affiche encore 15% de gain depuis le 1er janvier et +20% depuis le 31 août dernier.
Cela n’a peut être rien à voir… mais il y a une semaine, les commentateurs expliquaient que si le CAC 40 tutoyait les 4 000 et le Nasdaq les 2 600P, c’est parce que le « QE2 » de la Fed nous garantissait des taux proches des planchers historiques pour encore deux ou trois trimestres. D’où la perspective d’une hausse de type « haricot magique » du compartiment actions ou des matières premières.
Leur maigre rendement de 2% ou 2,25% les rendait incomparablement plus attractives que des Bons du Trésor américains à 12 mois (0,2%) ou même à 5 ans (1,20%).
Comment aurions-nous pu les démentir ? Il n’y avait plus que des idiots comme Allan Greenspan, Jean-Claude Juncker où Angela Merkel pour prétendre que Ben Bernanke ne sait plus ce qu’il fait et qu’il prend ses désirs pour la réalité.