La Chronique Agora

Le plus grave, ce sera quand la Chine prendra vraiment le dollar en grippe !

** La journée du lundi 27 avril s’est soldée à Paris par un score nul et par un effritement de 0,1% de l’Euro Stoxx 50. Ces résultats nous laissent tout le loisir de commenter la principale variation indicielle du jour, celle du pétrole.

Le baril n’a pas tardé à plonger de 6% jusque vers 48 $. Il a été plombé par la perspective d’avions cloués au sol sur l’ensemble de la planète pendant des semaines après les mesures de restriction sur les déplacements aériens prônées par l’OMS — qui juge le problème "très sérieux" — afin de lutter contre la pandémie de grippe porcine (swine flu en anglais).

Les opérateurs sur le NYMEX ont pris conscience que des centaines de millions d’Américains étaient priés de rester sagement sur le sol de la mère patrie durant les vacances, et si possible dans leur région de résidence habituelle pour éviter de disséminer le virus dans des états échappant encore à la contamination (soit 47 sur 50).

Le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire approuvé par la Maison Blanche dimanche, l’annulation de la tournée de l’orchestre de Boston en Europe au mois de mai et les images de l’armée mexicaine ne se déplaçant plus qu’avec des masques filtrants dans la capitale confirmaient que l’épidémie de SRAS de 2003/2004 et la "réplique" de 2006 en Asie du Sud-est n’ont été qu’une simple répétition du terrible scénario qui menacera l’humanité au cours des prochaines semaines.

Il n’a pas fallu longtemps pour voir fleurir sur les blogs — repris par les médias anglo-saxons — des messages apocalyptiques évoquant la mise en quarantaine du Mexique, du Texas et de la Californie. Et pourquoi pas une restitution du Nouveau-Mexique à sa nation d’origine pour cause de trop grande proximité par rapport à l’épicentre de l’épidémie ?

** Tout ceci a très vite ressemblé à un début de psychose que Barack Obama s’est empressé d’enrayer par un appel au calme. Il a rappelé qu’aucun cas mortel n’avait été recensé aux Etats-Unis, que des traitements efficaces existent — même s’il n’y a pas encore de vaccin préventif — et que la contamination restait circonscrite à quelques cas.

Nous pourrions objecter que c’est toujours comme cela que débute une pandémie — c’est-à-dire par "quelques cas" — mais il faut effectivement relativiser. En effet, le swine flu — le terme le plus tapé sur Google depuis 36 heures –, ce n’est pas la peste bubonique ou le choléra avant la naissance de Louis Pasteur.

La maladie n’est en revanche pas si récente que la thèse du virus mutant — qui prévaut aujourd’hui — le présuppose. Un cas mortel aurait été recensé dans une caserne de l’armée américaine il y a 33 ans de cela. Il avait donné lieu à une campagne de recherche sur un vaccin qui fit beaucoup plus de victimes que la grippe elle-même — laquelle ne s’avéra guère contagieuse à l’époque, c’est peut-être cela qui a changé aujourd’hui.

En tous cas, l’intervention de Barack Obama semble avoir rétabli un peu de calme dans les esprits. Il faut en outre louer le sang-froid de Wall Street qui n’a guère perdu plus de 1% au cours des premiers échanges avant d’effacer en l’espace de 90 minutes ses pertes initiales et repasser positif.

** Un sage exemple que le NYMEX a tenté de suivre puisque la chute du baril s’est interrompue à l’approche de l’ex-résistance technique des 48 $ (de mi-décembre 2008 à mi-mars 2009). Le WTI est remonté jusque vers 51 $, limitant sa perte à 1% en fin d’après-midi, avant de rechuter vers 50,5 $ en début de soirée.

Nous vous renvoyons aux articles de nos spécialistes Thomas Chaize et Isabelle Mouilleseaux qui ont démontré au cours des derniers mois que l’or noir conserve un énorme potentiel de hausse. Comme l’expliquait Thomas Chaize vendredi dernier : "Avec un baril de pétrole à 50 $ (159 litres), cela fait 0,31 $ le litre, soit 0,23 euro le litre de pétrole. C’est moins cher qu’un litre d’eau dans une grande surface, c’est une anomalie à laquelle nous nous sommes tous habitués".

Des écologistes pourraient objecter que le pétrole ne se boit pas et pollue gravement l’atmosphère de la planète. Mais justement, et contrairement à ce liquide si vital qu’est l’eau douce, il ne se recycle pas et il ne peut pas s’extraire des océans par des précédés de distillation "propres" comme l’énergie solaire par exemple. Le pétrole n’est donc pas renouvelable, quel que soit le génie des ingénieurs chimistes qui tentent de le synthétiser à partir de la biomasse — ce qui génèrerait de toute façon de grosses émissions de gaz carbonique s’il fallait reconvertir les raffineries existantes pour le produire en quantité industrielle.

Le rebond du pétrole n’a guère ému Wall Street. La Bourse américaine a en fait concentré son attention sur le plan de restructuration de General Motors qui comprend la conversion de la dette en actions. Les actuels détenteurs de titres GM ne posséderont plus au final que 1% du capital. Le constructeur a aussi annoncé la suppression progressive de la marque Pontiac et la réduction de 40% du nombre des concessionnaires aux Etats-Unis ; il prévoit par ailleurs six fermetures d’usine supplémentaires, sans oublier l’élimination de 7 000 à 8 000 postes salariés de plus que prévu en février. Les coûts de main-d’oeuvre seraient ainsi réduits à cinq milliards de dollars en 2010 contre 7,8 milliards de dollars en 2008.

** Nous ne savons pas si la confiance affichée par Wall Street malgré un environnement économique et sanitaire qui ne respirait pas — et c’est peu de l’écrire — une santé éclatante est due à un réel optimisme des investisseurs ou à des motifs plus techniques mais nous jugeons plus confortable de rester en dehors du marché aux niveaux actuels.

Parmi les explications avancées pour justifier la fermeté persistante des indices américains depuis le 17 avril dernier, il nous est difficile d’éluder la thèse d’un retour de l’appétit pour les actifs à rendement variable (les actions), ce qui induit une désaffection pour les placements de sécurité et donc les bons du Trésor.

** Le thème de la bulle obligataire est un peu passé de mode et c’est tant mieux car l’accroche commerciale sonnait faux dès le départ. Le fond du problème, c’était l’aversion au risque et l’absence de véritable alternative face à la débâcle du système financier.

La recherche éperdue de sécurité se retournera contre les épargnants — et principalement les futurs retraités américains — car le Trésor américain ne s’est pas gêné pour surfer sur cette demande aveugle et imprimer des centaines de milliards de dette-papier dont les Chinois ne veulent plus, et le font savoir.

La plupart des commentateurs affirment qu’ils sont piégés avec leurs 1 400 milliards de dollars de réserves de change mais rien n’interdit à Pékin de dépenser ces dollars qui leur brûlent les doigts. Pour abonder dans le sens de Thomas Chaize et d’Isabelle Mouilleseaux, nous faisons le pari qu’ils pourraient les échanger contre des matières premières et des biens d’équipement qui leur font défaut. Ils transféreraient ainsi leur risque vers leurs principaux fournisseurs, au premier rang desquels figurent les Etats-Unis.

L’Iran — principal exportateur de gaz vers la Chine — a déclaré à de nombreuses reprises qu’il ne voulait plus être réglé avec des billets verts, sous quelque forme que ce soit. Tous les pays qui ont voulu suivre cet exemple — l’Irak, le Venezuela… — ont connu quelques mésaventures censées dissuader d’éventuels imitateurs.

Il en faudra davantage pour intimider Pékin… ou alors consentir à une hausse de la rémunération du dollar, c’est-à-dire du prime rate. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les retraités et futurs retraités américains qui paieront l’addition, en plus de l’ardoise de 13 000 milliards de dollars d’une crise qui est loin d’être terminée.

Philippe Béchade,
Paris

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