La Chronique Agora

Le Père Noël en mission spéciale à Wall Street

** La plupart des petits enfants habitant les pays occidentaux situés dans l’hémisphère nord savent que le Père Noël habite quelque part en Scandinavie, à la frontière du cercle polaire arctique, dans des contrées peuplées de troupeaux de rennes qui broutent paisiblement au pied de majestueux conifères enneigés.

Heureuse région si éloignée de tout, mais préservée de l’agitation et de la pollution qui règnent autour du 45ème parallèle. A part quelques tempêtes de neige un peu longuettes l’hiver et des étés parfois gâchés par une surabondance ponctuelle de moustiques, les habitants de Christmas Land n’ont guère de raisons de se plaindre des turpitudes engendrées par la mondialisation, ni des désastres financiers occasionnées par les brasseurs d’argent.

Le Père Noël ne s’y est pas trompé. Il a choisi d’oeuvrer à l’écart du monde, loin des soucis de ses clients, loin des « usines à sueur » asiatiques où sont fabriqués 90% des jouets qu’il s’efforce de distribuer en temps et heure un beau soir de décembre.

Ses seules contraintes quotidiennes se limitent à ouvrir son courrier, très abondant en cette saison. Et jamais les sympathiques postiers des villages voisins n’ont eu à lui délivrer un  recommandé avec accusé de réception, un avis de passage ou quelque autre missive sur-tarifée à caractère officiel, de quelque nature que ce soit…

Mais patatras! La quiétude et la sérénité des régions arctiques sont soudain brisées net, comme une stalactite atteinte par une boule de neige bien tassée !

Des petits villages norvégiens dont vous n’aviez jamais entendu parler — et dont vous seriez incapables de prononcer les noms — viennent de découvrir que près de la moitié de leur trésorerie municipale vient de partir en fumée comme un vieux stock d’écorce ou de pommes de pin. Cette trésorerie était principalement constituée d’argent mis de côté pour les retraites et les dotations régionales pour l’entretien des routes forestières et des installations portuaires.

Oui, le budget de certaines localités nordiques s’est évaporé en quelques mois à hauteur de la moitié des sommes investies dans des produits de trésorerie dynamique.

C’est un vrai scandale, un scénario inimaginable pour un pays aussi prospère que la Norvège et dont le système des retraites — assis sur les revenus pétroliers — semblait invulnérable.

Invulnérable, certes, mais à condition de ne pas investir l’épargne des ménages ou des communes dans les subprimes américains !

Nombre de financiers locaux n’ont pas résisté à l’attrait exercé par les dérivés de crédit américain, et la manne pétrolière s’est retrouvée convertie en ABS, CDO, MBS plutôt qu’en bons du Trésor ronronnants, à peine mieux rémunérés que l’inflation.

Le Père Noël vient donc de recevoir une lettre recommandée de la mairie, l’avertissant que la commune qui héberge ses activés est en faillite et que les services postaux ne sont plus assurés à compter de ce jour, faute de pouvoir payer l’équipe de facteurs mushers qui brave chaque jour les intempéries pour venir lui délivrer ses nombreux sacs de courrier en traîneau à chiens.

Il en sera ainsi jusqu’à ce que la municipalité ait réussi à mobiliser de nouvelles sources de financement. Etant entendu qu’il est hors de question d’espérer que les sommes déjà perdues par les fonds dynamiques (45% en moyenne) soient jamais remboursées par les émetteurs.

Vous ne croyez pas au Père Noël ? Les banquiers norvégiens non plus… et pourtant, ils ont cru au mirage des rendements élevés, éternels et sans risques. Ceci s’avère plus lourd de conséquence que d’envoyer de simples requêtes, avec une naïveté enfantine, à un gentil barbu en habit rouge prêt à exaucer tous nos souhaits.

Si les habitants des villages du cercle arctique avaient un seul vœu à adresser au Père Noël, ce serait qu’il ne dépose aucun jouet au pied de leur sapin cette année, mais qu’il embarque dans sa hotte tous ces maudits papiers commerciaux émis par des banques américaines. Le but étant qu’il les déverse sur les marchés de Wall Street afin que les spéculateurs qui viennent de faire remonter le Dow Jones de 700 points en quatre séances s’en fassent des cataplasmes, pour rester courtois…

** Et Wall Street peut se vanter d’avoir adressé ces neuf derniers mois un magnifique pied de nez au destin. En effet, le Dow Jones, par exemple, s’est adjugé 5% par rapport au zénith de la fin du mois de février (12 750 points) inscrit juste avant l’éclatement de la crise du subprime.

Depuis cette date, les pertes directes supportées par les banques américaines et leurs filiales spécialisées (les SIV) liées aux créances titrisées, sont estimées par les plus optimistes à 250 milliards de dollars. Les pertes générées par les activités de crédit immobilier pourraient s’élever à 1 000 milliards de dollars.

Selon Moody’s, pas moins de 16,5% des dossiers de prêts — soit deux fois le ratio constaté en novembre 2006 — ont déjà été victimes d’incidents ou de défauts de paiement durant deux mois. Dans les trois quarts des cas, cela signifie le commencement des vrais problèmes pour l’organisme créancier et la fin de l’aventure immobilière pour les emprunteurs…

Ce genre de statistiques — sans précédent depuis les années 1930, période de la Grande Dépression aux Etats-Unis –, cela se fête dignement ! D’autant que les prix du neuf ont plongé de 13% en rythme annuel, de l’inédit depuis 1970 ! Wall Street a donc repris 3% sur la semaine et le Dow Jones ou le Nasdaq ont affiché pas loin de 5% sur les récents planchers d’avant Thanksgiving.

Malgré ce spectaculaire sursaut, le mois de novembre s’achève dans le rouge pour les indices américains, mais les dégâts ont été largement limités.

Le CAC 40 s’est adjugé 2,7% d’un vendredi sur l’autre. Sa progression, ainsi que celle des autres indices boursiers, ont été dopées par la spectaculaire rechute de 11% (ou -10 $) du cours du pétrole sous les 90 $ puis les 89 $. Un niveau qui n’avait plus été observé depuis les 29 et 30 octobre dernier… ce qui éloigne les craintes d’accroissement des pressions inflationnistes, alors que les prix ont grimpé de 3% dans la zone euro au mois d’octobre.

** Jeudi soir, depuis Charlotte (Caroline du Nord), Ben Bernanke a confirmé le changement d’attitude de la Fed vers plus de pragmatisme et de souplesse — plus d’agilité, prônait même son bras droit, Donald Kohn avant-hier. Le message a été reçu cinq sur cinq par les marchés qui intègrent déjà non pas une, mais bien deux baisses de taux de 25 points de base dans les trois mois à venir.

Dans son allocution, le patron de la Réserve fédérale a souligné que les risques de ralentissement économique avaient été fortement accrus au cours du dernier mois par un regain de turbulences sur les marchés financiers, lesquelles découlent de la forte correction qui frappe le secteur immobilier.

La solvabilité des banques américaines, aux yeux des autorités de tutelles et des agences de notations, est menacée. Le principal danger réside dans leur réticence à émettre de nouveaux prêts, ce qui affecterait lourdement la consommation. Les banques doivent donc se recapitaliser au plus vite.

La réduction du loyer de l’argent attendue le 11 décembre devrait leur permettre de le faire à moindre coût. Mais il est fort possible que ce soit un message incitatif adressé à de nouveaux partenaires potentiels — des investisseurs disposant d’excédents de trésorerie en dollars — désireux de recycler leurs billets verts tout en s’offrant un strapontin au conseil d’administration de banques américaines au bord de l’asphyxie financière.

Peuvent-ils espérer rentrer dans leurs frais ou peser sur certaines orientations stratégiques ? Il ne faudrait tout de même pas se mettre à croire au Père Noël… à moins de lui rembourser les 45% perdus par ses impôts locaux !

Philippe Béchade,
Paris

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