La Chronique Agora

Qu’est-ce que « le marché » signifie pour vous ? (1)

▪ Quoi de neuf sur les marchés ? Plus important encore, de quel genre de marché parlons-nous ?… Et en quoi cela nous intéresse-t-il ?

Avant de répondre à ces questions, voici une réponse conventionnelle, de celles que l’on peut s’attendre à lire ou à entendre dans les médias.

Ce matin, on enregistre une baisse des actions US après la capitulation d’hier après-midi qui a marqué la fin de deux jours consécutifs de hausse pour les trente plus grosses capitalisations américaines. Le Dow a clôturé à 13 197 points hier, en baisse de 44 points sur la séance, même s’il est en hausse d’environ 8% sur l’année. Les investisseurs ont vendu leurs actions de façon généralisée dès l’ouverture hier après un rapport sur les biens durables moins bon que prévu. Au moment où nous écrivons ces lignes, les douze secteurs, des Biens d’équipement aux Services publics, dévissent ; notamment l’Energie et les Matériaux de base, en baisse de 1,7 et 1,8% respectivement.

Zzzzzzzzz… Zzzzzzzzzz….

Voilà. Qu’est-ce que ça nous apprend ? Rien. On a là une espèce de charabia soporifique juste bon à endormir les enfants le soir. Rien qu’à le retranscrire, j’ai failli m’assoupir. Remarquez, la fatigue intellectuelle et la régurgitation de données inutiles n’ont guère d’effets dissuasifs suffisants pour éviter, de la part des principaux médias, des pronostics tellement enthousiastes qu’ils en deviennent embarrassants. Voici deux titres sur lesquels je suis tombé cette semaine :

« Les futures US réduisent leurs gains après une déception sur les commandes de biens durables » — Wall Street Journal.

« Wall Street à l’équilibre à l’ouverture après la publication des commandes de biens durables » — CNBC.

Pfff. J’ai même vu un quotidien qui prétendait pouvoir connaître l’inconnaissable et titrait : « pourquoi le Dow a chuté aujourd’hui ».

Qu’on se rassure, je n’ai pas infligé de bon matin à mon esprit pré-caféiné la diatribe omnisciente qui sous-tend cette affirmation.

« Les informations sont systématiquement trompeuses. Elles rapportent ce qui est facile à percevoir et ignorent ce qui est plus profond, plus subtil. Elles sont fabriquées pour attirer notre attention, pas pour nous informer de ce qui se passe dans le monde. Par conséquent, elles nous donnent un sens erroné du fonctionnement du monde, masquant les probabilités d’événements plus vrais », observait mon collègue Chris Mayer dans une de ses dernières chroniques.

Chris cite un essai écrit par un entrepreneur suisse, Rolf Dobelli, explicitement intitulé Evitez les infos :

« Nous ne savons pas pourquoi la Bourse agit comme elle le fait. Trop de facteurs varient avec de telles amplitudes. Le journaliste qui écrit ‘Le marché a bougé parce que X’… est stupide ».

▪ Une question cruciale
Ce qui nous amène à notre seconde question : que signifie « le marché » pour vous ? En général, lorsque les chroniqueurs intarissables parlent en long et en large « des marchés », ils font référence à un groupe d’actions que vous pouvez ou non détenir, qui s’échangent selon des fondamentaux douteux qui vous importent ou pas, et qui varient de manière que nous ne pouvons certainement ni prévoir ni comprendre.

« Le Dow en hausse sur l’annonce trucmuche », publie un journal. « Les marchés de la Zone euro ébranlés par l’annonce bidule », clame un autre. Mais en quoi cela nous affecte-t-il réellement ? De quelle manière ces informations influencent-elles notre vie ? Le mouvement de ce marché en particulier détermine-t-il ce qui arrive en bas de chez nous ou bien reflète-t-il simplement le « sentiment » général de robots de trading automatique et de services de trading haute fréquence à Wall Street ? D’ailleurs, pourquoi s’en soucier ?

Beaucoup de facteurs entrent en jeu ici. Par exemple, dans sa chronique d’hier, Dan Denning, rédacteur de la version australienne de la Chronique Agora,a calculé les conséquences de la phobie de la déflation de Ben Bernanke. Le gouverneur de la Fed a peur d’un déclin des prix des actifs, écrit Dan, ce que lui et ses naïfs acolytes définissent à tort comme de la déflation.

(En fait, la déflation — ainsi que son pendant, l’inflation — est, comme l’a correctement observé Milton Friedman, « toujours et partout un phénomène monétaire ». La hausse et la baisse des prix des actifs sont les symptômes de l’inflation et de la déflation, non les causes.)

Malgré sa définition erronée, Bernanke croit qu’en piétinant les taux d’intérêt, en imprimant sans fin des nouveaux billets et en jouant avec les manettes et rouages de la Fed, il peut décourager et punir les épargnants dans la mesure où ils seront obligés de placer leur argent dans des actions… et maintiendront donc ainsi à flot les indices que lui et ses homologues du monde entier considèrent comme des mesures de la santé et de la vitalité de l’économie.

Pour les raisons que Dan a exposées hier, ceci est au moins aussi absurde que cela le paraît. Les taux artificiellement manipulés n’encouragent pas des investissements sains… Pire, ils engendrent l’investissement à mauvais escient, fondé sur des informations dont l’exactitude est compromise et sur des distorsions de marché.

« Dommage qu’il ne puisse pas comprendre que la politique de taux des Etats-Unis est malsaine. Dans la mesure où le reste de la planète s’adapte aux taux d’intérêt américains, une politique monétaire américaine malsaine mène à une politique monétaire mondiale malsaine Par ‘malsaine’, nous entendons une politique qui maintient les taux à un niveau trop bas, qui mène à une inflation des prix des actifs et à une explosion massive de la dette », écrit Dan.

Au vu des forces nombreuses et variées — qu’elles soient naturelles ou non — qui mettent les actions sous diverses contraintes et autres pressions, existe-t-il un bénéfice pratique à commenter les indices boursiers ou, pire encore, à attribuer des agents de causalité à leurs trajectoires très imprévisibles… et seulement après les faits ? Ce n’est certes pas suffisant.

Nous continuerons le débat dès lundi…

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