** Voilà, il va falloir s’y faire, une nouvelle façon de travailler s’est instaurée à Wall Street. Compte tenu du fléchissement de 30% à 40% des volumes quotidiens, il n’y a manifestement plus assez de place pour tout le monde… il va donc falloir s’habituer au marché alterné ! Une semaine pour les bulls (taureaux — les investisseurs haussiers), une semaine pour les bears (ours — les opérateurs qui misent sur la baisse).
Afin de maintenir un peu de suspense, les différents acteurs se sont entendus pour mettre chaque mois quatre billes de couleur (deux rouges et deux vertes) dans un gobelet à café en polystyrène isotherme doté d’un couvercle opaque… et un tirage au sort a lieu chaque vendredi soir après la clôture de Wall Street.
Vous ne serez pas étonnés que le rouge soit sorti le vendredi 13, ce qui permet aux ours de tabler sur une seconde semaine de baisse consécutive — les bulls avaient bénéficié de deux tirages favorables fin janvier puis début février.
** Cette semaine étant écourtée, les ours n’ont que quatre séances pour faire le maximum de dégâts. Bien conscients de ce petit handicap inscrit dans le calendrier — qu’ils doivent à la journée de congé de lundi dernier pour cause de President’s Day — ils se sont fortement mobilisés hier… et avec quelle efficacité !
Ils sont parvenus à combler en quelques heures le retard accumulé sur des places asiatiques comme Hong Kong ou Séoul (-4,5%). Ils ont en grande partie rattrapé le terrain perdu sur Bombay (-6,3% en 48 heures), laissant littéralement sur place la Bourse de Tokyo qui n’a perdu que 1,75% en 48 heures. Pourtant, le ministre des Finances japonais a visiblement noyé ses soucis conjoncturels dans l’alcool le week-end dernier avant de répondre à une interview complètement bourrée… de pessimisme en marge du G7.
Rejoindre les places européennes — qui perdaient 3% à la mi-journée en agrégeant les 1% perdus lundi dernier — fut un "vrai beurre". L’Euro Stoxx s’est cependant bien accroché en fin d’après-midi et n’a rien voulu céder aux indices américains, d’où une chute de 3,4% légèrement supérieure à celle de Paris qui affichait un très honorable -2,94% — ce qui suffit à effacer la totalité des gains engrangés depuis le 22 janvier.
Nous devons le reconnaître, les bears ont fait du bon boulot sur les cinq continents ces huit derniers jours. Les indices boursiers ont effectué hier un retour express sur les planchers des 22 et 23 janvier derniers. Les deux tiers du terrain perdu l’ont été en l’espace de deux séances… il s’agit de plus précisément de deux mardis (les 10 et 17 février) de méchante déprime boursière, teintée de capitulation indicielle.
** Wall Street a subi sa seconde plus sévère correction de l’année 2009 mais surtout la plus lourde de conséquence : le Dow Jones plonge de 3,8% à 7 552 points et pulvérise ainsi son plancher annuel 2009.
L’indice phare rejoint ses plus bas absolus de l’année 2008, mais ce n’est pas le pire : le Nasdaq dévisse de 4,15% et le S&P 500 de 4,55% à 789 points. Tous les indices américains qui ont tenté de limiter la casse à une demi-heure de la clôture n’ont en fait repris de la hauteur que pour mieux rechuter et terminer la séance au plus bas.
Si le mois de janvier 2009 avait beaucoup ressemblé à celui de l’année dernière (-9% de repli), le mois de février s’en distingue par une accélération à la baisse qui constitue le symétrique du mouvement de reprise de la mi-février 2008.
Pas moins de 29 composantes du Dow Jones sur 30 ont clôturé en territoire négatif, à l’exception de Wal-Mart qui surfe sur ses bons trimestriels pour gagner 3,8%.
Au sein du Nasdaq 100, seul le titre Teva Pharmaceutical restait dans le vert avec un gain de 4% — peut-être parce que les épargnants vont avoir besoin d’aspirine quand ils recevront la prochaine évaluation de leur portefeuille…
** Les ours y sont allés toutes griffes dehors sur des titres tels que Steel Dynamics ( -13%), NII Holdings et Liberty Global (-11%), Lamar Advertising, Applied Materials et Expedia (qui chutaient de 9% à 9,5%) ou Research In Motion (le fabriquant du BlackBerry a plongé de 7%).
Ils ont bien profité de la publication d’un indice Empire State d’activité industrielle (compilé par la Fed de New York) en chute libre de -22 jusque vers -34 en février.
Ce très mauvais chiffre se double d’une nette dégradation de la composante emploi, laquelle plonge de -26 vers -39 (un plancher historique).
Il nous semble utile de rappeler que juger de la santé économique de la région de New York par le biais de la production manufacturière est aussi pertinent que de préjuger de la santé du secteur agricole en Hollande au travers de la culture de l’olivier — ou de celle l’Angleterre en fonction de la production du vignoble en Cornouaille. Mais devons-nous encore le rappeler, c’est la semaine des bears, alors pas question pour eux de gâcher une occasion de mettre les actions au tapis.
Le K.-O. technique semble général sur les indices américains mais le Nasdaq 100 fait mieux que résister. La preuve, sa performance annuelle était encore positive à une demi-heure de la clôture, avant qu’il ne rechute de 2% en une vingtaine de minutes. Le Dow Jones accuse de son côté une chute de 14% que Barack Obama ne sait plus comment endiguer.
** Obama vient d’ailleurs de signer la version définitive du texte du plan de relance de 787 milliards de dollars validé par le Congrès US. Il a déclaré à cette occasion qu’il s’agit du commencement de la fin de la crise. Cependant, les investisseurs attendent déjà avec impatience de connaître la teneur du prochain plan de 1 000 milliards de dollars — en dessous de ce montant, ce sera au mieux du colmatage, du bricolage cosmétique pour atténuer un peu le chômage.
Pour l’heure, Wall Street ne compte plus sur la Maison Blanche — ni sur la Fed, qui promet pourtant de se lancer dans un traitement quantitatif de l’offre d’argent — pour trouver une solution permettant de consolider définitivement le bilan des banques américaines avant que les prochaines pertes semestrielles ne réduisent à néant leurs fonds propres.
** L’aversion au risque refait surface suite à une note alarmiste publiée par l’agence de notation Moody’s qui met l’accent sur les risques qu’encourent les banques occidentales exposées sur les économies émergentes d’Europe de l’Est.
Les gérants de portefeuilles se sont livrés à un véritable ménage par le vide sur le compartiment bancaire. Bank of America, American Express, JP Morgan et Citigroup ont plongé de 12% en moyenne, Wells Fargo et Morgan Stanley dévissaient de 13%. Sur le front de l’énergie, baromètre avancé de l’activité économique, les géants pétroliers Exxon (-4,5%) et Chevron (-5,1%) subissaient également le contrecoup de la rechute du baril sous les 35 $.
Ces dégagements massifs sur les actions s’accompagnait hier soir d’un plongeon du rendement des T-Bonds à 10 ans de 2,88% jusque sur 2,665% et de celui à 30 ans de 3,68% à 3,485% (-25 points de base en deux séances. Dans le même temps, la poussée haussière sur l’or lui permet de pulvériser tous ses records — une fois sa cotation exprimée en euros — et culmine à 3% de la barre des 1 000 $ l’once.
Vous le constatez, les bulls ont également droit à leur semaine… une semaine en or massif.
Philippe Béchade,
Paris