La Chronique Agora

Le grand complot des avatars met la finance mondiale au rencard

** Bill Bonner évoquait hier la visite de notre belle planète bleue par de gentils voyageurs de l’espace. Il y a fort à parier qu’ils reprendront leur vaisseau interplanétaire juste avant d’être tentés de s’enrichir à bon compte en profitant du manque de jugeote de la plupart des habitants de la Terre s’agissant des questions d’argent.

D’ailleurs, qu’auraient-ils pu faire de liasses de dollars fraîchement imprimées ?

Tous les membres de l’alliance intergalactique savent bien que la valeur des billets verts est aussi crédible que la légende des petits martiens de la même couleur.

Le portrait de notre grosse orange bleue inclinée à 23,4° sur son axe serait incomplet si nous n’évoquions pas d’autres visiteurs invisibles mais influents, de type mauvais plaisantins. Ils sortent en catimini des entrailles du globe dans le seul but de semer la consternation et la ruine à la surface… afin que finisse par y régner un chaos comparable à celui des profondeurs infernales décrites dans certains ouvrages hermétiques du bas Moyen Age.

Ces êtres, aussi immatériels que malfaisants, ont compris que l’argent était un bon serviteur et un très mauvais maître. Ils ont aussi bien compris qu’en inonder jusqu’à l’écoeurement quelques heureux élus, tout en en privant le plus grand nombre, serait le meilleur moyen de rendre la planète invivable, les uns inventant les stratégies les plus machiavéliques et les absurdes pour en gagner un peu plus, les autres pour éviter de s’en faire délester.

Ces avatars* des profondeurs ont répandu sur Terre la maxime selon laquelle pour gagner sa vie, il faut travailler… mais pour devenir riche — ou le rester –, il faut trouver autre chose.

Les hommes — il faut bien l’avouer — s’y entendent pour chercher, et chercher encore ! La majeure partie de leur intelligence et de leur "capital chance" est dédiée à la seule accumulation des liasses de bouts de papier filigranés.

A mesure que la fortune leur échappe, ils deviennent victimes d’une perte totale du bon sens le plus élémentaire… et redoublent d’efforts, tout aussi vains et encore plus ruineux que les précédents.

** C’est pour assister à un cycle de destructions massives de "fausse valeur spéculative" que Bill Bonner a fait effectuer un petit crochet d’une poignée d’années lumières à son vaisseau spatial, équipé du dernier "kit antigravité" monté sur socle en or massif.

Désertant leurs sinistres abris dissimulés dans les replis du manteau terrestre, les avatars des profondeurs viennent eux aussi jouir du spectacle du chaos financier qu’ils avaient créé en prenant — comme à leur habitude — le contrôle du lobe préfrontal de certains hôtes choisis pour leur faux air innocent et leur silhouette passe-partout.

De 1996 à 2001, ils avaient déjà fait très fort en en usant par exemple de leur "talent" sur Andrew Fastow, Kenneth Lay et Jeffrey Skilling, les patrons adulés par Wall Street devenus les fossoyeurs d’Enron. Pendant qu’ils distrayaient l’attention des marchés financiers avec ces trois malheureux êtres humains transformés en escrocs surmédiatisés, ils permettaient à leurs trois autres pièces maîtresses de poursuivre en toute discrétion leur travail de sape des fondements de l’organisation économique de la race humaine.

Ils étaient parvenus à prendre le contrôle du président des Etats-Unis et à le faire passer pour une andouille manipulée par Dick Cheney, ce qui donnait symétriquement à leur atout maître, Alan Greenspan, l’aura d’un génie incontestable — ce qui ne nous empêcha pas de le vilipender sans relâche ces dernières années !

Le rôle consistant à donner une apparence de respectabilité à l’hyper-richesse, provenant dont on ne sait où… mais que chacun rêverait de posséder, fut confié au pseudo-philanthrope Bernard Madoff.

Maintenant que Mister "Bulles" Greenspan a terminé son grand oeuvre de destruction du système fondé sur le crédit adossé à une monnaie de singe baptisée dollar, le rideau peut retomber sur le cinquième et dernier acte de l’aventure ultralibérale. Il est vrai qu’elle va se dérouler sans George Bush ; l’humanité n’aurait pu aller aussi loin dans l’absurdité du mythe de la "main invisible" qui dirige le monde des affaires… et indique la direction du centre commercial le plus proche aux consommateurs surendettés.

Fin 2008, il était grand temps de faire tomber à son tour le masque plein de sympathique bonhommie de Bernard Madoff, afin de prouver que les esprits les plus éclairés et les individus les plus généreux ne pouvaient échapper aux escrocs et à la ruine.

** Les avatars des profondeurs n’ont pas oublié que les déboires de l’Amérique pouvaient réjouir toutes les populations qui se pensaient à l’abri des turpitudes de Wall Street, de la City ou de la bureaucratie de Bruxelles. Pas question de laisser quiconque espérer échapper au funeste destin réservé à tous ceux qui ne songent qu’à s’enrichir.

Ainsi, l’Inde, le pays des avatars, a découvert — médusée — que certains de ses héros du capitalisme local ne valaient pas mieux que les ex-patrons d’Enron : c’est-hier qu’a éclaté le scandale Satyam.

Ramalinga Raju, le fondateur et patron de Satyam, quatrième groupe indien de logiciels et services informatiques, vient de démissionner après avoir avoué une falsification des comptes sur plusieurs exercices. Ces falsifications avaient pour objectif de gonfler artificiellement les bénéfices et verser à l’équipe dirigeante des revenus qualifiés d’"indécents" par la Banque mondiale.

Le groupe Satyam — qui emploie 50 000 personnes et revendique des clients dans 65 pays (dont General Electric et Nestlé) ainsi qu’une place de leader à la Bourse de Bombay — a perdu en quelques minutes 80% de sa capitalisation et 99% de sa crédibilité vis-à-vis des analystes financiers internationaux et des agences de notation.

L’impact sur l’indice BSE a été dévastateur puisque le principal baromètre de la bourse indienne s’est effondré de 7,5%.

** Mercredi soir, c’était au tour de Wall Street de chuter de 3%. Le S&P 500 termine tout juste au-dessus des 900 points et le Nasdaq Composite (-3,2%) rechute sous le seuil des 1 600 points, à 1 599,06 points.

Après une série de hausses d’une longueur sans équivalent depuis mars 2007, la correction s’est amorcée de façon brutale vers 14h25 sur les futures — qui permettent de travailler hors séance sur les indices américains — dès la publication de l’enquête mensuelle du cabinet ADP Employer Services/Macroeconomic Advisers.

A 48 heures de la publication mensuelle des chiffres de l’emploi et du taux de chômage, les investisseurs ont eu la désagréable surprise de découvrir que le secteur privé américain aurait détruit le nombre vertigineux de 693 000 emplois en décembre.

Le secteur des services aurait perdu un nombre record de 473 000 postes salariés, celui de la production 220 000 postes (c’est également le 23ème mois de baisse consécutif) et le secteur manufacturier 120 000. Alcoa vient ainsi d’annoncer une sévère réduction de 13% du nombre de ses salariés, soit 13 500 licenciements et la suppression de 1 700 postes en sous-traitance dans le monde. Le titre a perdu 10% mercredi soir.

Les places européennes ont également très mal réagi puisque Londres chutait de 2,85%, Francfort de 1,7% Madrid et Amsterdam de 1,6% et Paris de 1,5%.

** La journée du 7 janvier a également été marquée par une chute historique de 12% du pétrole de 48,5 $ jusque vers 42,4 $. Elle a pour cause la publication des stocks américains de brut en hausse 6,68 millions de barils en début d’année 2009 (les réserves d’essence ont également bondi de 3,3 millions de barils), et ce malgré la coupure totale des approvisionnements en gaz russe à destination de l’Europe, via l’Ukraine.

Nous ne savons pas si Vladimir Poutine a été lui aussi victime d’une prise de contrôle de son esprit par les avatars — pour George Bush, cela avait été trop facile. Il leur apporte cependant un précieux concours en créant une difficulté politique supplémentaire qui se surajoute à la déprime économique, alors que le Proche-Orient est toujours en pleine crise.

Souvenez-vous que dans l’une de nos dernières Chroniques de 2008, nous avions affirmé que le véritable maître de la Russie — même si nous ne voulons pas mésestimer l’influence du président en titre, Medvedev — ne resterait pas les bras croisés si le pétrole et le gaz (qui font sa fortune ainsi que celle d’une garde rapprochée d’oligarques devenus milliardaires en une décennie) voyaient leurs cours durablement divisés par trois par rapport au milieu de l’été dernier.

** Oui, décidément, ce mercredi fut une journée comme les avatars des profondeurs les aiment. L’OPEP voit ses revenus rechuter de 12% en quelques heures, l’Europe ne reçoit plus un atome de gaz russe en pleine vague de froid et l’Amérique découvre que le mois de décembre pourrait se solder par la plus colossale destruction d’emplois de son histoire (plus d’un demi-million).

Pour terminer en apothéose, Barack Obama est venu confirmer presque simultanément que les Etats-Unis allaient connaître en 2009 un déficit budgétaire record de 1 200 milliards de dollars, soit 8,3% du PIB. Et ce avant même de comptabiliser le poids du plan de relance et de la baisse de la pression fiscale (évalués à 310 milliards de dollars).

Nous espérons que Bill Bonner a laissé un mouchard sur Terre avant de reprendre son voyage à travers les galaxies, sinon il va rater "le meilleur du pire", foi d’avatar des profondeurs !

 

* Le terme "avatar" désigne l’incarnation d’une divinité protectrice ou destructrice dans le panthéon hindou.

Philippe Béchade,
Paris

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