▪ Les places boursières exultaient lundi dernier. Avec +10,5%, l’Euro-Stoxx 50 enregistrait la seconde plus forte hausse de son histoire ; la confiance des marchés était revenue alors que les vendeurs à découvert semblaient mordre la poussière.
Ils avaient été enfin terrassés par l’union sacrée — tout autant que tardive — des Européens. Ils ont mis sur la table 500 milliards d’euros (plus 250 milliards du FMI) afin de venir en aide aux pays de la zone en délicatesse avec leurs créanciers pour cause de surendettement chronique depuis l’éclatement de la crise des dérivés de crédit il y a presque trois ans.
Mais d’où va sortir cet argent, sinon des presses de la BCE ? Cette dernière se voit autorisée à pratiquer un assouplissement quantitatif — certes de façon indirecte — par le nantissement d’un « SPV » (acronyme de special purpose vehicle) destiné à fournir des fonds en cas de besoin. Un tel procédé reste assimilé à de la création monétaire, quelles que soient les précautions de langages utilisées.
▪ La semaine passée s’est achevée dans la douleur, sur un score hebdomadaire certes positif de 4,8% à Paris… mais la dernière impression est très mauvaise : la moitié des gains de la semaine a été reperdue au cours de cette seule séance de vendredi. Il y avait également des relents de vent de panique sur l’euro (-1,2% à 1,2360 $) et sur le secteur bancaire.
Ceux qui ont conservé des positions vendredi soir, par conviction ou parce que le diagnostic technique demeurait globalement positif, ont passé un week-end relativement inconfortable. Wall Street faisait pourtant preuve d’une relative résistance, avec un S&P ne reculant que de 1,9% quand le Nasdaq lâchait 2%… c’est-à-dire deux fois moins de terrain que les indices européens quelques heures auparavant.
Nous pourrions même parler de trois fois moins en prenant comme référence la Bourse de Madrid (-6,6% en clôture) : elle a dévissé de 10% au cours des quatre dernières séances de la semaine, effaçant la majeure partie des 14% engrangés lundi dernier.
Les attaques contre les banques espagnoles ont repris — très paradoxalement — après la divulgation d’un durcissement de son plan d’austérité en milieu de semaine.
Leur chute a pesé lourd dans la débâcle de l’Euro-Stoxx 50. Il a dévissé de pratiquement 5% vendredi, une chute bien plus sévère que celle, déjà abyssale, de 4,25% le 7 mai. Et comme nous l’observions dès jeudi dernier, d’importants arbitrages entre les actions cotées sur les places latines au profit des valeurs cotées à Francfort se sont poursuivis au plus fort de la spirale baissière du 14 mai.
Et il est question de mouvements de capitaux portant sur plusieurs milliards d’euros, comme si certains stratèges commençaient déjà à considérer que le seul bunker capable de résister à la seconde Grande Crise de la dette, c’est l’Allemagne.
▪ Nous ne nous attarderons pas trop sur la série de rumeurs qui a affolé les marchés (dégradation démentie de la note AAA de la France par Fitch, bras de fer entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel le week-end dernier pour obtenir le plein soutien de l’Allemagne à la constitution d’un Euro-TARP) : susciter l’effroi, tout en bénéficiant d’une parfaite impunité, reste l’une des stratégies les plus efficaces en période de stress intense.
Pourquoi s’attarder sur les démentis à peine convaincants des information sur le chantage exercé par la France dans le quotidien espagnol El Pais… alors qu’il y a aussi des déclarations très concrètes et tout aussi croustillantes à se mettre sous la dent, comme celles Paul Volcker.
Le conseiller spécial de Barack Obama évoque rien moins que le risque d’éclatement de la Zone euro qui, selon lui, « a échoué à s’ajuster en période de turbulences pour tomber dans un piège qui lui était tendu depuis le début ».
De son côté, le FMI estime que le problème de la dette publique des pays avancés du G20 va en s’aggravant : elle passerait de 104,4% (en moyenne) du PIB en 2010 à 115,5% en 2014. Même si c’est inférieur aux 118,4% prévus en novembre dernier, chacun a bien conscience que les politiques d’austérité vont bouleverser la donne en alourdissant le poids relatif du service de la dette par rapport au PIB au cours des trois prochaines années.
▪ La crainte de voir l’euro plonger sous les 1,2350 $ vers les 1,20 $ ou même les 1,17 $ (cela se joue sur le fil du rasoir) a relégué au second plan les chiffres américains du jour. Il y avait notamment les ventes de détail, qui ont augmenté de 0,4% le mois dernier. La production industrielle a pour sa part augmenté de 0,8% en avril, un rythme globalement conforme aux attentes des économistes qui prévoyaient en moyenne une progression de 0,7%.
Le chiffre le plus important à notre sens était l’indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan. Il est ressorti à 73,3 pour le mois de mai contre 72,2 en avril, confirmant le consensus des économistes.
Lorsque l’enquête a été réalisée, Wall Street était au zénith et cinq des principales banques américaines n’étaient pas encore menacées de procédures d’enquête concernant une collusion avec les agences de notations pour tromper leurs clients sur la solidité financière des dérivés de crédit destinés à être placés auprès d’un public non averti.
▪ A Paris, les bancaires ont été laminées. Elles subissent de plein fouet la perte de confiance dans la Zone euro — d’autant plus que Crédit Suisse a publié une note consacrée aux banques européennes, d’où il ressort qu’un renforcement des régulations à venir pourrait coûter à terme 250 milliards d’euros au secteur.
Aux Etats-Unis, Barack Obama ne lâche pas l’affaire. Il met la pression sur le Congrès US pour faire adopter toute une série de réglementations visant à mieux contrôler et encadrer les activités des banques sur les marchés dérivés… ainsi que celles de leurs partenaires privilégiés, les hedge funds (dont nul n’ignore qu’ils sont le plus souvent immatriculés dans des paradis fiscaux et demeurent de ce point de vue pratiquement invulnérables, même en cas de succès de la Maison Blanche).
Barack Obama dénonce l’atmosphère de corruption et de collusion qui a régné entre le pouvoir et de gros intérêts financiers durant pratiquement une décennie (comme si le système était si différent avant l’arrivée de George Bush, ou alors ce n’est qu’une question d’échelle).
Mais faire revenir l’argent de la sphère du virtuel dans la sphère réelle ne sera pas chose aisée. Une des maximes très en vogue parmi ceux qui se perçoivent comme les maîtres du monde est la suivante : « si cet argent ne peut plus nous profiter, alors il ne profitera à personne ! »
Voici en guise de conclusion un petit extrait du best-seller Atlas Shrugged [« La révolte d’Atlas », NDLR.] d’Ayn Rand, l’égérie d’Alan Greenspan. A noter que ce texte est paru en 1957 et non pas en 2007 !
« Lorsqu’on constate que le commerce se fait non par consentement mais par compulsion — lorsqu’on constate que pour produire, il faut auparavant obtenir la permission d’hommes qui ne produisent rien — lorsqu’on constate que l’argent afflue vers ceux qui dispensent non des biens mais des faveurs — lorsqu’on constate que les hommes deviennent plus riches par la subornation et les pressions que par le travail, et que les lois ne vous protègent pas de tels hommes, mais les protègent au contraire de vous — lorsqu’on constate que la corruption est récompensée et que l’honnêteté devient un sacrifice — on sait alors que la société est condamnée ».