La Chronique Agora

Le déclin du Dollar (1)

Par Addison Wiggin (*)
 
Les fameux vers d’Emma Lazarus gravés sur la Statue de la Liberté, qui décrivent le flot d’étrangers se ruant vers les côtes américaines, doivent être mis à jour. La nouvelle version donnerait à peu près : "donnez-moi vos exténués, vos riches qui en masses serrées aspirent à acheter bon marché". Sur 10 $ venant alimenter le PIB américain, la mesure de la productivité et donc de la sécurité d’un pays, sept proviennent non pas des biens et des services produits et vendus par les Etats-Unis — mais du shopping. Les Américains sont accros au crédit bon marché.

Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale de longue date, a mis les Etats-Unis sur le cap de la perdition. Ben Bernanke, qui lui a succédé à la tête de la Fed en février 2006, marche dans ses traces. Ben Bernanke n’est pas le "non-Greenspan", comme l’appelait la presse financière au début de son mandat ; c’est la réincarnation de M. Exubérance Irrationnelle lui-même, et il vante la même vieille politique monétaire : "Endetté ? Pas de problème. Dépensez plus d’argent — nous l’imprimerons pour vous".

Dans son autobiographie, Le Temps des Turbulences, publié aux Etats-Unis en septembre 2007 — assez ironiquement, c’était quelques jours avant la seconde baisse de taux de l’année — Greenspan déclarait que selon lui, il était malavisé d’approfondir la question des prêts subprime. Vous pouvez me trouver cynique, mais à mon avis, un examen plus attentif aurait pu être utile ; 52% de ces prêts risqués, accordés à des emprunteurs ayant un mauvais historique bancaire, étaient générés par des sociétés et des organisations n’ayant pas la moindre supervision fédérale. "Je n’ai pas vraiment compris avant la fin 2005/2006", déclarait Greenspan à Reuters durant un entretien, en s’excusant de la bulle immobilière qu’il avait aidé à créer, et qui a mené au bourbier des prêts subprime et à la crise du crédit.

Durant les troisième et quatrième trimestres 2007, Citigroup (11,38 milliards de dollars), Merrill Lynch (8,48 milliards de dollars), Morgan Stanley (4,68 milliards de dollars) et Barclays (2,7 milliards de dollars) ont mené la meute, avec l’aval du gouvernement, faisant passer ces prêts avariés en provisions pour pertes et profits. Rien que durant le quatrième trimestre, cela représentait la somme vertigineuse de 44 milliards de dollars.

Et les retombées ne sont pas terminées. En octobre 2007, le département du Commerce US annonçait que les permis de construire avaient chuté à un plancher de 14 ans. En tenant compte des ajustements saisonniers, il s’agit du niveau le plus bas depuis juillet 1993. Sur des marchés en détresse comme San Francisco, les constructeurs immobiliers accordent des réductions qui vont jusqu’à 150 000 $. Et les saisies ont quasiment doublé (94%) entre octobre 2006 et octobre 2007. "Nous n’avons pas vu un tel déclin national de l’immobilier depuis la Grande Dépression", déclare John Stumpf, directeur de Wells Fargo, qui pense que 2008 sera tout aussi agité. "Je ne pense pas que nous soyons en fin de partie. Et si oui, il y aura des prolongations".

Il avait raison, malheureusement. Fin 2007, les ventes de nouvelles maisons avaient plongé de 26,4%, selon le département du Commerce US — le pire ralentissement depuis 1980. Les mises en chantier ont chuté presque aussi gravement, de 24,8%. Le magazine BusinessWeek a résumé l’état du pays avec mon titre préféré pour 2007 : "l’économie sur le fil du rasoir".

Y a-t-il de bonnes nouvelles ? Absolument ! Il existe des mesures que les investisseurs avisés peuvent prendre dès maintenant pour éviter d’être vulnérables à la chute inévitable du billet vert. Le Déclin du Dollar analyse la crise et ses causes. Il vous expliquera également comment, avec un portefeuille bien positionné, l’effondrement du dollar pourrait être en fait bénéfique pour vos perspectives financières.

Commençons avec une petite leçon d’histoire, afin de comprendre pourquoi le dollar se retrouve dans l’impasse, alors qu’il était autrefois l’étalon monétaire de la planète entière. Tout se résume à un appel de marge international — et même un investisseur débutant peut deviner que les mots appel de marge n’apportent pas de bonnes nouvelles. Votre courtier vous appelle pour vous dire que vos titres, que vous avez achetés avec de l’argent emprunté, vont mal. Vous avez deux choix — qui ne sont pas des choix, en fin de compte : soit déposer plus d’argent (que vous n’avez pas) sur votre compte, soit vendre l’un de vos actifs pour rester à flot. Et c’est exactement ce qu’a fait le président Richard Nixon le 15 août 1971 lorsqu’il a décidé que la devise US n’appliquerait plus l’étalon-or.

Avant 1971, dans la majeure partie du monde, les devises s’appuyaient sur l’or depuis plus de 100 ans. Aux Etats-Unis, les dollars émis s’appelaient silver certificates — certificats en argent — parce que la devise était basée sur l’argent-métal (ou sur l’or en termes de pouvoir d’achat au niveau international). Le système américain devint ensuite une devise fiduciaire — un système dans le cadre duquel le gouvernement décrète une valeur pour sa monnaie, mais ne l’appuie pas sur des réserves d’or (ou autre). Aujourd’hui, un billet de la monnaie fiduciaire US est identifié comme une note de la Réserve fédérale — c’est-à-dire non pas un certificat pouvant être échangé contre de l’argent-métal ou de l’or, mais littéralement une reconnaissance de dette émise par la Fed. Comme nous aimons à le répéter dans La Chronique Agora, l’étalon-or était un outil économique utile et important. L’or n’existe qu’en quantité limitée : il servait donc d’inhibiteur à la croissance rapide de la devise en circulation. Le gouvernement ne pouvait simplement pas imprimer tout l’argent qu’il voulait. Examinons donc deux questions : pourquoi Nixon a-t-il pris la décision d’abandonner l’étalon-or, et comment est-ce que cela a tout changé ?

C’est ce que nous verrons dès demain…

Meilleures salutations

Addison Wiggin
Pour la Chronique Agora

(*) Addison Wiggin est le Directeur du Daily Reckoning, l’équivalent américain de La Chronique Agora. M. Wiggin étudie, commente et écrit sur les marchés depuis plus de dix ans. Avec un master de philosophie de l’université de St John, il adopte un point de vue global et contrarien sur les marchés américains et mondiaux.

Addison Wiggin et Bill Bonner ont collaboré a la rédaction de deux ouvrages, L’inéluctable faillite de l’économie américaine, paru en 2004, et L’empire des dettes, paru en 2006.

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