** Ce qui me frappe le plus avec les entreprises en difficulté, que ce soient des constructeurs de véhicules automobiles, des entreprises aéronautiques, des banques, des courtiers ou des GSE, c’est qu’elles ont tendance à reproduire constamment la même erreur. J’appelle ça "le Cycle du condamné". Les investisseurs qui distinguent cette erreur suffisamment tôt peuvent éviter les valeurs dangereuses… ou essayer de faire des bénéfices en les vendant à découvert.
– Le premier indice inquiétant, c’est lorsque l’entreprise annonce des bénéfices ou une bonne nouvelle, quelle qu’elle soit, et que le cours chute. Un autre indice, c’est lorsque le prix des obligations de l’entreprise chute. Suite à quoi, l’entreprise va en général annoncer que "tout va bien", ou que les choses se passent tellement bien qu’elle va racheter des titres. Vient ensuite la phase "d’acceptation", durant laquelle les pertes sont annoncées. Mais peu après, un fonds souverain ou une société de private equity quelconques viennent injecter des capitaux, ou une entreprise du même secteur décide d’acheter une "participation stratégique". Suite à une brève remontée, l’action va recommencer à chuter, les différentiels de taux vont commencer à exploser et les actions privilégiées vont se faire écraser. Ensuite, plus de pertes, une nouvelle levée de fonds et enfin, la baisse des dividendes pour "préserver le capital".
– Ça vous rappelle quelque chose ?…
– Tout ça continue un certain temps, jusqu’à ce que l’entreprise condamnée n’ait plus aucun moyen de lever des fonds. Les ventes de ses junk bonds et de ses actions privilégiées atteignent des rendements à deux chiffres. Plus loin, les anciens acheteurs stratégiques, les fonds souverains et les sociétés de private equity ont pris une telle raclée qu’il n’y a plus du tout d’acheteurs.
– Et pourtant, les pertes continuent, sans merci. L’entreprise prend le chemin du condamné dans le couloir de la mort.
** Il n’y a que peu de choses qui puissent arriver à une entreprise dans le "couloir de la mort". Soit elles prennent place sur la chaise électrique et cessent d’exister, soient elles tombent dans les bras d’une institution mieux capitalisée. Je m’attends à ce qu’au fil du temps, on assiste à un mélange de ces deux options, mais surtout de la deuxième.
– (Au final, peut-être que dans plusieurs années, beaucoup de banques et de courtiers fusionneront sur une liste internationale des "bonnes banques" ou des "vivants". Qui seront-ils ? Certainement la Bank of America, la Bank of New York, JP Morgan Chase, Northern Trust, State Street, US Bancorp, ABN Amro, Deutsche Bank, BNP Paribas, Royal Bank of Scotland, Barclays, Allianz et quelques autres).
– Utilisons Lehman Brothers comme figure emblématique du Cycle du condamné. J’ai récemment rédigé un article qui distinguait National City, Washington Mutual et Lehman Brothers. Avant que la crise ne commence, la banque Lehman, connue à l’époque pour son bon sens, s’est brusquement tournée vers les marchés avec cinq milliards de dollars d’obligations de long terme, même si elle prétendait ne pas avoir besoin de capitaux. L’année dernière, avec les premiers signes de la crise du crédit, Lehman a annoncé un rachat de 100 000 000 $. Les cours, comme vous vous en doutez, ont grimpé, mais évidemment, aucune action n’a jamais été rachetée. Alors que le cours commençait à baisser, Lehman a continué à prétendre n’avoir pas besoin de capitaux.
– Puis, le 9 juin 2008, l’entreprise a vendu pour 143 000 000 $ d’actions, à 28 $ le titre. Comme l’a dit le gestionnaire de hedge fund David Einhorn, "ils ont levé des milliards de dollars dont ils disaient n’avoir pas besoin pour remplacer des pertes qu’ils n’avaient pas faites". Entre temps s’est produite une gigantesque transaction d’actions privilégiées – 75 900 000 actions à 25 $ l’action, à un taux de 7,95%. Cette action privilégiée s’échange désormais à 8,80 $ le titre, pour un rendement indiqué de 23%. Difficile de faire des bénéfices quand votre coût de financement est deux fois plus élevé que celui du Pakistan.
– D’une manière générale, nous restons prudents en ce qui concerne le secteur du crédit ; attendez vous à une baisse massive des actions jusqu’en 2010, à une consolidation dans l’industrie des services financiers… et à de la douleur, que vous le vouliez ou non. Je me demande seulement d’où va bien pouvoir venir le capital qui va renflouer tout le monde simultanément. Même si ce capital se montrait, il serait certainement d’un coût indécent et serait dilutif pendant de très longues années.
– En attendant nous devrions positionner nos portefeuilles de façon à ce que, si nous faisons fausse route, le pire que nous ayons à perdre soit des opportunités, non des capitaux.