La Chronique Agora

Le "ça va mieux" est-il toujours d'actualité à Saint-Brieuc ?

** "Bon, alors, ça va mieux… non ? Le CAC a repris 30%, le système bancaire n’a pas fait faillite et ‘ton’ or [j’aimerais bien que des piles de lingots dont je vante les vertus défensives soient effectivement ma propriété] est encore loin des 2 000 $ que tu évoquais en novembre dernier".

Certains de mes amis aiment bien me taquiner au sujet de mes anticipations souvent très à contre-courant du consensus médiatique. Ils ne manquent pas une occasion de me prouver que les marchés préfèrent l’optimisme à la déprime, les "jeunes pousses" plutôt que les tapis de feuilles mortes. Je leur rétorque en souriant que cela fait deux ans que les discours officiels à l’eau de rose débouchent sur la ruine des épargnants et le chômage de masse.

Le "copain de 20 ans" — profession libérale, très belle clientèle et des bureaux dans les beaux quartiers de Paris — qui me rappelait au moment du café la teneur très sombre de mes propos en début d’année cherchait d’avantage, je l’ai vite compris, à se rassurer qu’à me reprocher mon pessimisme. Peu après notre dernier déjeuner, qui remonte à la mi-janvier, le CAC 40 sombrera de 20% avant de rebondir dans les circonstances que vous connaissez.

Mais si les bourses mondiales ont bien repris entre 30% et 50% sur leurs planchers 2009, cela ne concernait guère mon convive. Il avait en effet liquidé 90% de son portefeuille lorsque je lui avais expliqué — bien après coup — les dessous de l’affaire Kerviel ainsi que les raisons de la faillite imminente de Countrywide Financial. C’était il y a un an presque jour pour jour, et c’était un très bon moment pour vendre le marché à découvert.

** Il m’avait expliqué à l’époque qu’il comptait mettre en vente sa résidence secondaire à l’automne (2008) pour en acheter une nouvelle située plus près du lieu de résidence des ses enfants, partis travailler dans la région lyonnaise.

C’est une bien belle propriété, et cela fait maintenant neuf mois qu’elle attend un nouveau propriétaire, amateur de calme et de verdure mais également de vieilles pierres… et de golf (il y a un splendide 18 trous à trois minutes en voiture).

Oui, cela fait neuf longs mois que les acheteurs potentiels déplorent que le prix — pleinement justifié et fixé plutôt dans le bas de la fourchette — apparaisse dissuasif aux yeux de leur banquier. Rappelons que l’investissement représente un bel appartement de 100 m2 dans les beaux quartiers de Paris.

Les Anglais qui faisaient encore flamber les prix en 2007 dans la région de Binic/Saint-Brieuc sont en train de plier bagage par dizaines. Des biens immobiliers qui apparaissaient bon marché pour des traders britanniques nouvellement fortunés (la Bretagne, c’était moitié moins cher que le sud de l’Angleterre… et la gastronomie y est incomparable) restent hors d’atteinte pour les "locaux", même dans l’optique d’en faire une résidence principale.

Les banques ne veulent plus prêter sans un minimum de 15% ou 20% d’apport personnel… et 150 000 euros d’économies disponibles, cela représente une grosse somme pour 95% des Français qui cherchent un bien "dans leurs moyens".

Conclusion, les agences immobilières de Saint-Brieuc commencent à baisser un peu les bras. Le problème, ce n’est pas la gourmandise des vendeurs — ceux qui veulent conclure une transaction acceptent de lâcher du lest — mais l’absence d’acheteurs solvables dans la gamme de prix en question… car les banquiers refusent désormais de prêter au-delà de 90% du coût d’acquisition. Et c’est sans compter l’épouvantail du chômage qui interdit l’accès au crédit pour bien des professions.

** Cet ami me fit part au cours du même déjeuner des difficultés d’un de ses neveux pour trouver du travail dans le secteur de l’assurance. Il avait passé un an en Allemagne dans la filiale d’un grand groupe français… qui ne disposait pas de poste équivalent en France, malgré des "états de service"  très satisfaisants.

Lorsque nous fîmes la synthèse de nos échanges au moment de l’addition, il finit par convenir qu’à part les cours de Bourse, il n’avait constaté aucune amélioration d’aucune sorte, ni dans le secteur immobilier, ni dans le monde de l’entreprise. L’un de ses clients, gros exportateur de matériel électrique, lui a fait part juste avant le week-end dernier, d’une situation absolument désastreuse en Espagne… où le taux de chômage réel atteindrait 25% de la population en âge de travailler.

Non, à part les titres des articles économiques ou les discours de quelques gérants ouvertement haussiers (mais qui cherchent peut-être à nous revendre du papier au plus haut de la vague), rien ne va mieux dans l’économie réelle.

Oui, nous parlons bien de l’économie que finance — à contrecoeur — votre banquier, celle des régimes de retraite au bord de la banqueroute, celle de la Sécu dont le déficit se creuse parce que l’Etat siphonne ses ressources depuis des années, sachant par ailleurs que les recettes fiscales assises sur les salaires et les cotisations des entreprises vont s’effondrer.

Mais rassurez-vous, si vos impôts sur le revenu ou votre patrimoine (ISF) n’augmentent pas, c’est la fiscalité locale qui va exploser en 2009/2010 — mais personne n’en parle.

De toute façon, les Français, les Européens et les Américains auront bientôt moins d’argent à dépenser : le financement des retraites, des soins médicaux, l’indemnisation des chômeurs de longue durée va coûter de plus en plus cher.

Nous le savons, vous le savez, les marchés le savent (même s’ils sont payés pour faire semblant que tout va bien) — et c’est peut-être ce qui a conduit à l’inscription d’une troisième semaine de correction consécutive.

** Le bilan hebdomadaire de -2,8% à Paris a été alourdi par la chute verticale de Sanofi-Aventis (-8,1% avec des craintes relatives aux effets secondaires du Lantus) ainsi que celle de Peugeot (-5,4% sur un risque d’abaissement de la notation de la dette) et EDF (-2,1% alors que de nouvelles émissions obligataires sont jugées probables).

Le CAC 40, venu tester par deux fois les 3 200 points jeudi puis vendredi matin, a chuté de 1,05% (sous les 3 130 points), soit deux fois plus fortement que la moyenne des places européennes.

Elles ont toutes viré au rouge dès qu’il est apparu évident que Wall Street ne parviendrait pas à préserver les 2% gagnés la veille, malgré des chiffres pourtant conformes ou supérieurs aux attentes.

** Les derniers indicateurs démontrent que les dépenses des ménages américains n’ont progressé que de 0,3% au mois de mai, conformément aux attentes, alors que leurs revenus ont augmenté de 1,4% (principalement grâce à la hausse et à l’allongement de la durée des prestations pour cause de chômage).

C’est l’effet le plus visible des nouvelles mesures gouvernementales dans le cadre de l’American Recovery and Reinvestment Act orchestré par l’administration Obama.

Les économistes qui ne s’intéressent qu’aux revenus du travail anticipaient une petite progression de 0,1% en moyenne (au lieu d’une contraction de -0,1%) ; la masse des salaires versés aux Etats-Unis a reculé de -0,2% en mai en rythme annuel.

Le chiffre le plus spectaculaire et le plus significatif concernait le taux d’épargne des ménages américains : il bondit à 6,9%, à comparer à 5,6% le mois précédent.

Wall Street s’attendait à ce que la hausse de la confiance puis la hausse du revenu disponible dope la consommation. Cependant, il n’en a rien été le mois dernier malgré la forte hausse confirmée de l’indice de l’université du Michigan, révisé en hausse à 70,8 pour le mois de juin, contre 69 en estimation préliminaire.

Dernière preuve de la morosité économique aux Etats-Unis : l’indice des prix PCE hors énergie est ressorti en hausse limitée de 0,1%, contre une augmentation de 0,3% en avril.

Dans un contexte de plafonnement global du compartiment actions depuis le début du mois de mai, chaque jour qui passe accroît le risque de voir la tendance s’infléchir à la baisse sous le poids des ventes de lassitude. Dans 48 heures, les derniers habillages de bilans semestriels seront achevés : il vous reste peu de temps pour liquider vos derniers "bon, alors, ça va mieux !" à l’occasion d’un déjeuner en ville.

Philippe Béchade,
Paris

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