La Chronique Agora

Le brouillard se dissipe

** Le brouillard de la guerre — c’est-à-dire de la guerre entre l’inflation et la déflation — se dissipe. Nous commençons à voir plus clairement de quel côté penche la bataille.

* Le Monde de lundi dernier parlait de la nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac, en la décrivant comme le plus grand sauvetage de l’histoire.

* Mais qu’est-ce que cela signifie lorsque le gouvernement le plus libéral au monde nationalise son plus grand secteur financier ? Plusieurs choses :

* Pour commencer, les jours du "laisser-faire", et même de l’ersatz de "laisser-faire", sont terminés. Plus de dérégulation. Terminées, les baisses d’impôts. Fin des accords de libre-échange.

* Ensuite, ça veut dire que les autorités commencent à prendre peur. Elles battent en retraite. La bataille entre une correction de marché naturelle… et un boom inflationniste artificiel… tourne à leur désavantage.

* Nous avions raison depuis le début — ou presque raison ; lorsque la bulle des dot.com s’est effondrée, elle a marqué le début de la fin — la fin du marché haussier sur Wall Street… la fin de l’expansion de crédit entamée en 1982… et le pic du pouvoir et de l’influence des Etats-Unis dans le reste du monde.

* Depuis, le déclin a été retardé et déguisé — par un flot de nouvelles liquidités injectées par les autorités. Mais désormais, on ne peut plus l’arrêter. Et il est bien pire qu’il ne l’aurait été il y a huit ans de ça. Les Américains se sont de plus en plus habitués à dépenser de l’argent qu’ils n’avaient pas — si bien qu’ils ont dorénavant plus de dettes que jamais. Les Chinois et autres se sont de plus en plus habitués à vendre des choses à des gens qui ne pouvaient pas les rembourser — à présent, leurs immeubles sont vides et leurs nouvelles usines sont silencieuses. La récession est planétaire… et elle sera plus longue et plus difficile que tout le monde ou presque ne l’imagine.

** Et revoilà Le Monde, qui nous annonce une "bonne nouvelle" — selon laquelle, un peu partout, l’inflation reste sous contrôle et bat en retraite.

* Faux. Faux. Faux. L’inflation bat peut-être en retraite, mais ce n’est pas une bonne nouvelle. Cela signifie que le monde entier sombre dans la crise — pas uniquement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

* Et c’est précisément de ça que les autorités ont peur. Le secrétaire au Trésor US, Henry Paulson, a justifié la reprise de Mac et Mae par le fait que les marchés et les contribuables ont besoin de "protection contre le risque systémique".

* Quel était le risque ? Que Freddie et Fannie fassent faillite, que les maisons chutent aux niveaux qu’elles valent réellement, et que — une fois que les agences fédérales auraient cessé de rembourser leurs dettes aux prêteurs étrangers — le système financier mondial tout entier s’effondre. Poussé par la peur… Paulson a pris une décision hardie…

* Et à présent, on passe à l’acte suivant :

* L’économie américaine s’est développée ces deux dernières décennies. Mais elle s’est développée uniquement parce que les consommateurs se sont montrés prêts à s’endetter plus profondément. Ce n’était pas une bonne croissance. Ce n’était pas une croissance saine. Mais au moins, c’était de la croissance.

* La croissance, on l’obtient en dépensant de l’argent. Si le consommateur dépense — c’est de la croissance dans les ventes au détail, les biens de consommation, les services, et ainsi de suite. Si les entreprises dépensent — on obtient plus d’emplois, plus d’investissements, plus de bâtiments, de camions, de programmes informatiques, etc.

* Mais que se passe-t-il lorsque ni les consommateurs ni les entreprises ne sont prêts à dépenser ?

* La reprise du secteur du prêt hypothécaire US par le gouvernement, dimanche dernier, avait tout d’une aubaine pour de nombreux investisseurs — et pour Le Monde. Le gouvernement américain a très clairement montré — s’il restait encore des doutes — qu’il n’abandonnerait pas les deux jumeaux hypothécaires engendrés par l’Etat, Fannie et Freddie. Plus important, il a montré que les autorités étaient prêtes à mettre la main à la poche.

* PIMCO, le fonds de Bill Gross, a gagné 1,7 milliards de dollars en pariant sur les obligations de Fannie, Freddie et les autres. Vous auriez aussi pu gagner de l’argent — grâce à ce que l’on appelle la "Doctrine Paulson", qui garantissait que les obligations finiraient par être sauvées. La Doctrine Paulson affirme que les autorités laisseront les actionnaires endosser les pertes — pas les détenteurs d’obligations. Pourquoi ? Parce que ces derniers sont des pays étrangers — notamment la Chine. Et les Etats-Unis ont désespérément besoin de plus de crédit de la part de ces grands financiers étrangers. Le reste du monde détient des milliers de milliards de dollars US et de dettes libellées en dollars US. Si tous ces gens commencent à craindre que le gouvernement fasse défaut, ils s’en débarrasseront rapidement — ce qui signerait la fin du système monétaire actuel basé sur le dollar.

* La manoeuvre consistant à mettre Fannie et Freddie sous contrôle direct du gouvernement a donc été largement considérée comme une bonne chose pour tout le monde. Les prêteurs étrangers savent que les dés sont toujours pipés — si bien que leur argent est en sécurité. Les propriétaires pensent qu’ils pourront continuer à vivre aux dépens de quelqu’un d’autre. Et les investisseurs restent en pleine hallucination, croyant que le gouvernement américain a "fait quelque chose" pour mettre ce pétrin derrière nous.

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