▪ Le message de Wall Street vendredi soir a été on ne peut plus clair : critiquer Ben Bernanke et s’opposer à sa reconduite à la tête de la Fed est une attitude gravement irresponsable de la part de certains membres du Congrès américain. Ce serait comme priver les Rolling Stones de Mick Jagger ou l’équipe de France de Thierry Henry (dont le coup de main providentiel a assuré la participation des tricolores à la Coupe du monde en Afrique du Sud !).
Une idole des foules, même sujette à quelques écarts de conduite répréhensibles par le passé, demeure une idole. Bernanke a été élu « homme de l’année 2009 » par le magasine Times, ce n’est tout de même pas rien !
Barack Obama et les deux chefs des formations démocrate et républicaine au Congrès US l’ont bien compris. Ils soutiennent en choeur « Helicopter Ben » : ce dernier va pouvoir présider sereinement le conseil de politique monétaire qui débute ce mardi… et son nom continuera de figurer sur le pupitre du patron de la Fed durant encore quatre ans.
En ce qui concerne la charge présidentielle à l’encontre de « l’armée de lobbyistes de Wall Street qui fait le siège du Capitole pour bloquer toutes les réformes de bon sens visant à protéger le contribuable américain », il faut bien admettre que la dénonciation de cette pratique est beaucoup plus aisée que sa limitation.
En dernier ressort, c’est bien le représentant des électeurs qui décide si un soutien trop voyant aux partisans du « laisser-faire intégral » (en contradiction avec la politique de la Maison Blanche) peut ou non lui coûter son siège lors du scrutin de novembre prochain.
▪ Wall Street s’était également ému de la montée en puissance de la « ligne Volcker » (l’ex-patron de la Fed prône une séparation des activités des banques) parmi les conseillers du président… alors que Robert Rubin fait également partie de son équipe rapprochée.
En effet, c’est cet ex-patron de Goldman Sachs qui avait orchestré l’enterrement du Glass-Steagall Act par l’administration Clinton dès 1995. Il a également imposé aux pays émergents d’Asie du Sud-Est — via le FMI — une libéralisation totale des mouvements de capitaux, provoquant la folie spéculative qui s’achèvera à la fin de l’été 1997 par le krach des devises asiatiques.
Mais c’est surtout lui qui fera entrer Citigroup (à partir de 2002) dans l’ère du négoce des dérivés de crédit et encouragera toutes les prises de risques inconsidérées. Cela aurait pu alerter les autorités de régulation et les actionnaires… si Rubin n’avait également pris la précaution de faire dissimuler les énormes stocks de CDO, MBS et autres ABS (devenus subitement des actifs toxiques dès l’été 2007) dans des structures hors bilan.
Mais peut-être Barack Obama l’a-t-il recruté pour savoir exactement quoi ne pas faire en période de crise. Robert Rubin constitue une précieuse boussole indiquant infailliblement le sud. Il incarne tout ce que les marchés peuvent désirer : l’absence de régulation, l’opacité des transactions, l’approbation tacite de toutes les dérives de la finance casino.
▪ Que M. Rubin se retrouve en porte-à-faux par rapport à la ligne politique présidentielle ne l’empêchera guère de dormir : il n’a aucune fonction officielle… La position de Tim Geithner, en revanche, nous apparaît plus délicate.
Eh oui : c’est bien l’actuel secrétaire au Trésor US qui a supervisé ou orchestré, en tant que patron de la Fed de New York, les rapprochements entre Bank of America et Merrill Lynch après absorption de Countrywide. Il était également derrière le rapprochement entre Wachovia et Wells Fargo, J.P. Morgan Chase et Bear Stearns (après reprise des activités de Washington Mutual).
Ce sont ces monstres systémiques que Barack Obama a décidé de fractionner. Va-t-il demander à Tim Geithner de s’en charger et de soutenir un texte allant dans ce sens face à la commission bancaire du Sénat américain ? Vous imaginez facilement les sourires entendus de ces éminents parlementaires qui l’ont récemment passé sur le grill pour avoir allègrement puisé dans le portefeuille des contribuables afin de sauver la mise de ses amis banquiers…
Autant demander à un pompier pyromane d’aller réclamer aux officiers qui dirigent la caserne les clés du tout nouveau véhicule de lutte anti-incendie !
Vous conviendrez que quelques tensions pourraient surgir au sein de l’actuelle équipe gouvernementale US et qu’une redistribution des rôles risque de s’imposer… ce dont Wall Street peut légitimement s’inquiéter.
▪ L’état d’esprit général semble d’ailleurs en train de changer. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître après six mois d’un optimisme digne d’une injection permanente d’azote dans la ventilation des salles de marché, voilà que les mauvaises nouvelles passent soudain pour de… mauvaises nouvelles !
La tentative de rebond observée sur les places européennes dès le début de la matinée de lundi a tourné court à 16h00 avec la publication du chiffre des reventes de logements anciens aux Etats-Unis au mois de décembre. Elles rechutent de 16,7% — au lieu d’un repli de 10% anticipé, un chiffre conforme aux « normales saisonnières », surtout après prolongement de la prime fiscale de 8 000 $ qui permet de ne pas se précipiter avant mars/avril 2010.
C’est une déconfiture immobilière d’ampleur historique et le pire score observé depuis 1968 ! Le léger rebond des prix (+1,5%) le mois dernier ne fait pas oublier le repli annuel de 12,5%. La valeur moyenne des maisons est tombée à 178 300 $, contre plus de 250 000 $ au sommet de la bulle immobilière à l’automne 2007.
Wall Street tentait de digérer cet os : à mi-séance, les indices américains gagnaient 0,5% en moyenne, avec +0,4% sur le Nasdaq et +0,75% sur le S&P 500. Cela constitue une bonne performance relative compte tenu des 1% de repli des indices européens.
Paris a clôturé pratiquement au plus bas du jour (-1,02%), dans des volumes voisins de 3,5 milliards d’euros — plutôt étoffés pour un lundi. Le CAC 40 ne parvient pas à préserver le seuil des 3 800 points. Il en a même terminé sous ses niveaux d’ouverture, soit 3 781 points. Cela ne peut guère surprendre, dans la mesure où le crédit à la consommation a enregistré une contraction record de 13,3% selon l’Association française des sociétés financières (ASF).
Et pendant que l’Europe voyait le mirage de la reprise se dissiper, Wall Street se préparait à confirmer la règle du lundi haussier : 13 sur 15 consécutifs. Même si les indices américains ne gagnent que 0,25% au final, les pessimistes n’ont pas réussi à remporter une quatrième manche. Il est fort possible que beaucoup d’opérateurs aient fait confiance à la loi des séries… Cependant, après 5% de repli en ligne droite, nous pensons que ce sont surtout les vendeurs à découvert qui ont cherché à protéger leurs gains. La façon dont Wall Street célèbrera — ou non — l’annonce d’un second mandat de Ben Bernanke sera riche d’enseignements !