La Chronique Agora

L'autre "Homme de l'Année" (1)

Par Adrian Ash (*)

"… Qui souffre le plus de l’inflation ? Qui souffre le plus de la hausse des prix ? Ce sont les pauvres, non les riches. Les riches peuvent se protéger contre l’inflation. Les pauvres, non…"
Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE)

Le Financial Times vient de choisir Jean-Claude Trichet — président de la BCE — comme "Homme de l’Année 2007".

Certes, TIME a dû se contenter de Vladimir Poutine — l’ancien spectre du KGB qui entretient désormais sa technique de marionnettiste au Kremlin. Mais la liste de candidats du Financial Times était-elle vraiment si courte que personne ne pouvait dépasser Trichet ? Britney Spears n’aurait-elle pas pu consacrer une heure de son emploi du temps pour venir prendre le titre ? Au moins la jeune fêtarde s’est-elle montrée fidèle à sa réputation l’an dernier, endommageant le bon goût uniquement. La célébrité mal gagnée de M. Trichet, par contre, menace à présent de coûter très cher à quiconque croit à la valeur de l’euro.

La première tâche de M. Trichet, en tant que président de la BCE, consiste à assurer la "stabilité des prix" pour les 320 millions de citoyens de la Zone euro (Malte et Chypre ont rejoint la fête le Jour de l’An).

En d’autres termes, sa cible d’inflation de 2% signifie que ce qui coûte un euro aujourd’hui ne devrait pas coûter plus de 1,02 euros l’an prochain à la même époque. Mais quiconque a fait ses courses en euros à Noël dernier a pu se rendre compte que le coût de la vie était 3,1% plus élevé qu’en décembre 2006 — c’est du moins ce qu’affirme l’agence EuroStat.

L’inflation festive de l’Europe a même dépassé le record de sept ans atteint en novembre. Cela a quasiment ruiné 14 ans de lutte menée contre l’inflation par la BCE et ses ancêtres pré-euro. Alors que les choses allaient si bien !

Pour 2007 dans l’ensemble, l’inflation des prix à la consommation en Europe atteignait en moyenne 2,14%. Mais ce taux a grimpé en flèche à l’approche de Noël. Pourquoi ?

C’est la faute de la crise du crédit américaine… ou plutôt, la réaction de Trichet.

"L’une des forces [de Trichet], c’est sa capacité à gérer une crise — il aime ça", déclare Olivier Garnier, conseiller du président de la BCE durant son ancienne vie à la tête du Trésor français au début des années 90. Et on peut dire que Trichet a eu une crise digne de ce nom l’an dernier ! Alors qu’il se reposait dans le tranquille petit port de Saint-Malo, Jean-Claude Trichet s’est réveillé un beau matin d’août pour s’apercevoir que "la première crise financière combattue au BlackBerry depuis la plage" était en train de se ruer vers lui depuis l’autre côté de l’Atlantique, s’extasie le Financial Times.

"Alors que les conséquences de l’effondrement du marché hypothécaire subprime aux Etats-Unis faisaient caler la finance mondiale", explique le Financial Times, "la BCE a annoncé qu’elle injecterait unilatéralement des liquidités illimitées : en fin de compte, elle a ajouté près de 95 milliards d’euros… Le choc initial devant cette intervention étonnamment radicale a cédé le pas à l’admiration devant la main sûre [de la BCE]", continue le journal, qui a du mal à réfréner son enthousiasme.

"Alors que les événements suivaient leur cours, la BCE a semblé donner le rythme aux autres banques centrales. Ultime compliment, la vénérable Réserve fédérale US et la non moins respectable Banque d’Angleterre ont copié la tactique d’une institution qui n’a même pas 10 ans d’existence".

Hourra pour Trichet ! Triple hourra pour les liquidités illimitées ! En inondant Paris et Francfort de prêts court terme, M. Trichet s’est assuré une place dans l’histoire "comme l’une des rares personnes dont la réputation est sortie grandie de la tempête", déclare le Financial Times.

Mais notre courageux petit pompier a en fait injecté tant de cash sur les marchés monétaires européens que depuis, il a ressenti le besoin d’éponger les flaques à 14 reprises lors des 14 dernière semaines, aspirant un total de 390 milliards d’euros du marché du prêt court terme d’Europe rien que durant la semaine de Noël. Pour remettre les choses dans leur contexte, durant les 456 semaines séparant la naissance de la BCE et le mois d’octobre dernier, la Banque n’a vidé "l’excès" de liquidités en Europe que… 21 fois au total.

Durant le règne du premier président de la Banque européenne, Wim Duisenberg, les enchères de liquidités atteignaient en moyenne 4,6 milliards d’euros. Depuis que Trichet a pris les rênes, le 1er novembre 2003, le montant a plus que triplé.
 
De plus, après la crise des marchés du crédit l’été dernier, Trichet a accéléré le rythme des enchères ; elles atteignent désormais 7,8 par mois en moyenne, contre 5,5 durant les huit années précédentes. La valeur moyenne de chaque vente, pendant ce temps, est passée à 136 milliards d’euros, contre 130 milliards entre 1999 et 2007.

Ce flot de liquidités à court terme a peut-être fourni des bénéfices de long terme aux marchés du crédit mondiaux. Mais ces sparadraps ne sont pas gratuits. Dans la mesure où ils font gonfler la masse monétaire, ils peuvent également déchaîner les ravages de l’inflation… et c’est précisément ce qui commence à se passer — comme nous le verrons plus précisément dès demain.

Meilleures salutations,

Adrian Ash
Pour la Chronique Agora

(*) Correspondant du Daily Reckoning à la City de Londres et intervenant régulier dans les pages du magazine MoneyWeek, Adrian Ash est également le rédacteur en chef de Gold News et directeur de la recherche chez BullionVault.

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