La Chronique Agora

L'argent commence à émettre une drôle d'odeur

** Bill Bonner avait conclu sa Chronique de mercredi en citant David Rosenberg, l’économiste en chef de Merrill Lynch : "on trouve désormais 12,5 millions demandeurs d’emploi aux Etats-Unis — un sommet de 25 ans. C’est bien plus de chômage que n’en produit une récession typique".

"En cinq mois seulement, nous avons perdu 50% de plus que ce que nous perdons habituellement durant une récession classique de 10 mois".

Nous trouvons ce décompte un peu court. Que deviennent les 2,5 millions d’ex-salariés qui ont renoncé à chercher du travail après l’envoi de 500 CV (en moyenne) et la réception d’autant de réponses négatives ? Comment comptabiliser les quatre millions d’Américains qui travaillent quelques heures par semaine afin de gagner juste de quoi se nourrir ?

Est-il besoin de préciser que ces "salariés" n’ont pas choisi de travailler moins pour mieux profiter de leur temps de loisirs, de leurs enfants ou d’une opportunité de retourner sur les bancs de l’université pour acquérir une formation complémentaire avec un précieux diplôme à la clé. En effet, comment financeraient-ils tout cela ?

Nous pourrions même aller plus loin en ajoutant les centaines de milliers de soldats qui ont déjà quitté ou qui quitteront l’Irak avec des traumatismes psychologiques nécessitant un long traitement, ce qui signifie qu’ils resteront inaptes à l’occupation d’un emploi "classique" — pour cause d’incapacité à gérer le moindre stress ou de troubles relationnels invalidants — pendant plusieurs années, voire définitivement.

** Le taux de chômage "vrai" aux Etats-Unis est plus proche des 16% que des 8% annoncés officiellement vendredi dernier. C’est une situation sans précédent — non pas historiquement puisque de 1931 à 1933, ce fut largement pire. Mais il faut noter qu’aucun Américain ayant fait une carrière aussi longue que Warren Buffett, toujours sur la brèche à 78 ans, n’a jamais été confronté à un marché du travail aussi dégradé au cours des 60 dernières années — mettons 65 ans pour ceux qui auraient commencé à 13 ans, ce qui n’était pas si rare juste après la Seconde Guerre mondiale.

Ces quelques mises au point ont pour but de vous prouver que Bill Bonner ne noircit pas le tableau — certains de nos plus fidèles lecteurs se posent parfois la question. Et c’est encore pire en Angleterre !

Nous avons encore en mémoire ce récent reportage diffusé sur une grande chaîne nationale début mars et repris par le zapping de Canal+. Il montrait une file de 350 demandeurs d’emploi sur-diplômés devant le zoo de Londres — contre 50 à 60 en moyenne les années précédentes. Ils postulaient pour une vingtaine de "jobs d’été" non-qualifiés, la plupart d’entre eux consistant à changer la litière des hyènes, à pelleter des quintaux de crottes d’hippopotames ou à porter des seaux remplis de poissons nauséabonds jusqu’au bassin des manchots et des otaries.

Allez ensuite prétendre que l’argent gagné n’a pas d’odeur !

** Mais revenons-en aux déclarations de David Rosenberg. Le jeune économiste, décidément très en verve, a été invité à livrer son sentiment hier soir sur CNBC — les nouvelles sont donc toutes fraîches. Il ne s’exprimait plus cette fois au sujet du marché du travail — y a-t-il encore un marché avec quatre demandes en moyenne pour un poste proposé ? — mais au sujet de l’évolution de Wall Street.

Sa réponse peut sembler paradoxale mais il estime que 90% de la baisse des actions est déjà faite. S’il a raison, nous ne ferons pas partie de ceux qui vont jouer les 10% qui manquent pour que les indices atteignent leur plancher théorique !

Vendre à découvert pourrait être réservé à des opérateurs solidement motivés ou aimant par-dessus tout le frisson que procurent des stratégies "risque-tout".

Les bears, déjà gavés de plus-values à la baisse, attendront leur heure pour compléter le remplissage de leur estomac avec quelques douceurs faciles à glaner du côté des statistiques immobilières. Mais la plupart d’entre eux sont déjà partis faire une petite sieste réparatrice après une fin de repas un peu agitée mardi.

** Hier, le CAC 40 a donc aligné une seconde séance de hausse, ce qui n’était arrivé qu’à deux reprises depuis le début de l’année. L’indice s’adjuge +0,39% après que la hausse a dépassé 2% en début d’après-midi. La clôture est intervenue au même niveau que le 4 mars dernier, le CAC 40 avait alors repris 4,75%… mais en pure perte.

Wall Street avait pris un bon départ puisque la barre des 7 000 points avait été franchie au bout d’un quart d’heure. Cependant, la Bourse américaine a connu plusieurs accès de faiblesse successifs hier soir, le dernier survenant à moins d’un quart d’heure la clôture. Le Dow Jones rechutait alors de 0,8%, de 6 990 points jusque sur 6 930 points.

Les géants Alcoa et General Electric rechutaient respectivement de 5,9% et 4,3%, McDonald’s de 3%, Exxon et Wal-Mart de 2,5%. Les valeurs défensives ont été les plus malmenées — c’est peut-être bon signe — et cela n’a fait que dupliquer le scénario observé en Europe quelques heures plus tôt.

Paris a en effet réduit son avance en seconde partie de séance à mesure que les dégagements s’accéléraient sur les utilities. Veolia et Suez Environnement perdaient ainsi plus de 4,1% alors qu’EDF et GDF-Suez lâchaient 2,4%.

Les valeurs financières demeuraient bien orientées : AXA gagnait 7,8%, Natixis 4,5% et Dexia 33%. La possibilité de l’abandon de la règle uniforme du mark to market s’impose à l’ensemble des classes d’actifs — la question pourrait être débattue lors du prochain G20 début avril. Cet abandon éloignerait fortement l’épée de Damoclès des dépréciations d’actifs obligataires qui dévorent mécaniquement les fonds propres sans que de sinistres majeurs ne se soient matérialisés.

Il faudrait bien une mini-révolution de cet acabit pour faire oublier la déferlante des indices négatifs qui se poursuit en Europe avec le plongeon des commandes à l’industrie en Allemagne en janvier (-8%) après le pire mois de décembre de la décennie (-7,6%).

Les économistes qui conseillent Angela Merkel ou qui gravitent dans les plus hautes sphères de la Bundesbank anticipent une forte contraction de l’activité économique outre-Rhin au premier trimestre 2009, de l’ordre de 2,5% au premier trimestre 2009.

** Le ton des membres les plus conservateurs de la BCE — les mauvaises langues affirment qu’ils ont surtout "conservé" leur bandeau sur les yeux et des bouchons dans les oreilles depuis 18 mois — est en train de changer. Le scénario des taux zéro n’est plus rejeté avec une fermeté teintée de mépris comme c’était encore le cas début janvier lorsqu’un journaliste avait eu l’outrecuidance d’évoquer la stratégie volontariste poursuivie par la Fed et la Banque d’Angleterre.

Que les taux de la Zone euro soient abaissés on non de 100 points ou 150 points d’ici fin 2009 n’a plus guère d’importance. Chacun sait déjà que les pays du G7 et du G20 se battent pour échapper à la déflation.

La remontée du rendement des T-Bonds 2019 à 3,03% lundi pouvait apaiser les craintes d’un syndrome "à la japonaise" aux Etats-Unis. Cependant, les taux longs américains viennent de se détendre de 0,10% en 48 heures (à 2,92%), en même temps que Wall Street rebondissait de 6%. Il y a deux ans, cela aurait constitué le scénario idéal, mais cela n’a plus rien de rassurant en 2009.

Les détenteurs de métal précieux surveilleront également avec une certaine appréhension les tergiversations de l’or à proximité des 900 $. Une accélération de la consolidation sous les 880 $ pourrait signifier que le stress général retombe d’un cran sur les marchés financiers tandis que l’inflation ne peut être considérée actuellement que comme une menace assez lointaine.

Philippe Béchade,
Paris

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