La Chronique Agora

L'Appel de Marge de l'Enfer

** C’était l’Appel de Marge de l’Enfer…

* "Les marchés plongés dans le chaos après la faillite d’un fonds", titrait le International Herald Tribune vendredi.

* Le prix de l’or a franchi le seuil important des 1 000 $… atteignant un nouveau record. Et l’or noir — le pétrole — a touché les 110 $.

* Dans le même temps, le dollar a chuté… passant sous les 100 yens pour la première fois depuis 1995. L’indice dollar a atteint un nouveau plancher de 71,94… et l’euro a dépassé les 1,56 $.

* Les investisseurs ont mis du temps à comprendre, mais ils semblent avoir pigé, maintenant : le grand sauvetage bancaire de la Fed n’effacera pas vraiment les pertes… et ne rendra pas Wall Street plus profitable ; cela servira simplement à sauver les banques de la faillite — si elles ont de la chance — tout en détruisant le dollar.

* "Nous sommes dans la phase de l’hélicoptère", déclare Howard Simons, stratégiste chez Bianco Research, à Chicago. Il fait allusion à la célèbre remarque de Ben Bernanke, selon laquelle ce dernier "larguerait de l’argent par hélicoptère", si nécessaire, pour éviter un effondrement déflationniste. Mardi dernier, les hélicos de Ben ont largué 200 milliards de dollars. Jeudi, les fonds de couverture faisaient toujours faillite. Pire encore, des rumeurs circulent sur une grande banque qui aurait de gros problèmes.

* Prenons quelques instants pour expliquer comment tout cela fonctionne. Les banques ont prêté beaucoup d’argent pour couvrir les fonds. Les fonds, quant à eux, n’ont rien couvert… ils ont joué. Résultat, bon nombre d’entre eux sont dans le pétrin ; ils ne peuvent pas rembourser l’argent.

* Les banques lancent des appels de fonds — demandant des liquidités aux hedge funds… des liquidités que les fonds n’ont pas. La semaine dernière par exemple, le Fonds Carlyle a reçu "l’Appel de Marge de l’Enfer" de la part de ses banquiers. Les banques voulaient 97,5 millions de dollars. Cela ne semblait pas beaucoup il y a quelques mois de ça, mais aujourd’hui, l’argent est plus difficile à trouver. Carlyle a parié 31 $ pour chaque dollar de capital. Avec ce genre d’effet de levier, les gestionnaires pouvaient gagner une fortune si les marchés allaient dans le bon sens. Mais avec des cours prenant la mauvaise direction, et des paris qui tournent mal, il ne faut guère de mauvaises nouvelles avant que le fonds fasse faillite.

* Carlyle a donc rendu l’âme. Il ne pouvait remplir l’appel de marge. Partout, d’autres gestionnaires se rongent les ongles… et refusent de répondre au téléphone. Les banquiers aussi font les cent pas. Vous connaissez le vieux proverbe : lorsque vous devez 100 000 $ à votre banque… vous n’en dormez pas de la nuit. Mais lorsque vous devez 1 000 000 $ à votre banque, c’est votre banquier qui ne dort pas. Eh bien, pas mal de banquiers sont insomniaques à Manhattan et Londres… et se demandent lesquels de leurs clients vont pouvoir les rembourser… et lesquels ne le pourront pas. La dernière chose que la Fed veut, c’est que la faillite d’une grande banque fasse la une des journaux. C’est là la première mission de la Fed, après tout. C’est un cartel bancaire… conçu pour protéger les banques de leurs propres erreurs idiotes.

* Bien entendu, la grosse erreur des banques a été de prêter de l’argent à des gens qui ont prêté de l’argent à des gens qui ont prêté de l’argent à des gens qui ne pouvaient pas le rembourser. Les prêteurs subprime ne se sont pas fait de souci parce qu’ils ont vendus ces prêts à des réhausseurs qui les ont vendus une fois encore — et ils ont souvent terminé dans les portefeuilles de hedge funds faisant jouer un effet de levier maximum, à qui les banques ont prêté de l’argent. L’agence S&P prévoit désormais que les pertes liées au subprime atteindront 285 milliards de dollars, en hausse de 20 milliards environ par rapport à leur dernière estimation. Notre propre estimation, c’est que les pertes dépasseront les 1 000 milliards de dollars… et si l’on ajoute à ça les dommages collatéraux et la baisse des prix de l’immobilier, la facture dépassera les 6 000 milliards de dollars.

* En Californie du Sud, les maisons ont perdu 17,9% au cours des 12 dernières années. Le prix médian a chuté à 408 000 $. L’été dernier, il dépassait les 500 000 $.

* Comme prévu — par nous — les ventes de détail ont ralenti le mois dernier aux Etats-Unis. Le chômage a grimpé à un sommet de deux ans et demi. Et les PDG américains pensent que le pays est déjà en récession.

* Mais la question du jour est la suivante : les autorités réussiront-elles ?

* Pour commencer, il y a un problème pratique : comment des prêts à des banques handicapées, en plein milieu d’un credit crunch, peuvent-ils stimuler l’économie réelle ? On part là du principe qu’il y a des projets valables — de nouvelles usines, des expansions, des développements technologiques, de nouveaux employés à embaucher — attendant le crédit des banques. A présent, avec leurs bilans réparés (elles ont refilé leurs crédits infectés de subprime à la Fed, en échange de bons du Trésor)… elles pourront re-prêter ; telle est la théorie.

* Mais quelles nouvelles usines ? Qui embauche ? Quelles entreprises se développent ? Le pays est dans une récession, bon sang de bonsoir. De plus, dans les dernières phases d’une bulle du crédit, peu de gens empruntent pour développer vraiment l’économie. Les emprunteurs sont plutôt des hedge funds et des spéculateurs — exactement les gens dont les banques ont peur désormais. C’est comme ça que fonctionne un cycle de crédit. Pour commencer, les emprunteurs sont solides… avec des plans sensés pour l’argent. Chaque dollar qu’ils empruntent engendre, disons, 75 cents supplémentaires pour le PIB national. Mais à mesure que le cycle se poursuit, les emprunteurs deviennent de plus en plus imprudents. Les prix des actifs tendent à grimper rapidement, si bien que les emprunteurs déduisent qu’ils ne peuvent pas perdre… et les prêteurs pensent qu’ils n’ont rien à craindre, parce que le nantissement prend de plus en plus de valeur. A mesure que la qualité du crédit décline, chaque dollar supplémentaire emprunté ajoute de moins en moins à l’économie réelle. A la fin du cycle, il peut falloir jusqu’à 10 $ de crédit supplémentaires pour produire un dollar additionnel de PIB.

* Nous tenons pour acquis, à ce stade, qu’une augmentation des prêts de la part de la Fed ne peut pas vraiment améliorer l’économie réelle. En fait, cela l’empire — soutenant des entreprises en faillite, augmentant la spéculation et la mauvaise allocation de ressources, gonflant des dettes qui devront être remboursées, d’une manière ou d’une autre, par une personne ou par une autre, à un moment ou à un autre. Il y a une meilleure question : combien de dégâts les autorités feront-elles à l’économie réelle ?

** Nous pensons que les autorités financières mondiales essaieront de mettre fin à la chute du dollar. Elle devient dangereuse… et coûteuse. La Chine, la Russie, le Japon… et les états du Golfe ont d’énormes tas de dollars. Lorsque le billet vert baisse, ils perdent des milliards. Les pays arabes, en général, ont lié leurs propres devises au dollar ; le pétrole est coté en dollars, si bien que ce sont des économies basées sur le billet vert, qu’ils le veuillent ou non. Mais ces pays commencent à se poser des questions… et à chercher des alternatives. Pendant ce temps, le Japon souffre à mesure que le yen grimpe. Non seulement le pays possède des réserves de dollars parmi les plus importantes au monde, mais c’est aussi un grand exportateur vers les Etats-Unis. La hausse du yen désavantage le pays en termes de concurrence. Ne soyez pas surpris si des rachats de dollars coordonnés par les banques centrales engendrent un rebond du billet vert.

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