La Chronique Agora

Lapidation économique

** "Jetez-lui des pierres jusqu’à ce que mort s’ensuive !"

* Sans rire. La lapidation pourrait revenir à la mode. C’est ce qu’une des victimes de Madoff a proposé devant le tribunal.

* Nous sommes au stade de la "colère", écrit John Authers dans le Financial Times. Terminé, le déni… maintenant, les gens veulent du sang.

* Après l’explosion de la bulle des Mers du Sud, au XVIIIe siècle, le gouvernement Walpole s’est trouvé confronté à une colère similaire. Les autorités saisirent la propriété des directeurs de la société pour rembourser les victimes. Le Parlement proposa ensuite de mettre les banquiers impliqués dans des sacs remplis de serpents et de les jeter dans la Tamise.

* Jusqu’à présent, le Congrès américain n’a pas encore proposé de lapider Fannie Mae ou de noyer les directeurs d’AIG au fond du Potomac. Mais l’idée doit commencer à sembler attirante.

* "Le Congrès cherche des têtes à couper", annonce la presse française.

* Un membre du Congrès américain — le sénateur Grassley — est revenu sur ses déclarations demandant aux dirigeants d’AIG de se suicider. Tout irait bien pour lui s’ils montraient un peu de contrition, déclare-t-il à présent.

* Mais partout dans le monde — et surtout à Washington DC — les foules sont dans les rues, une bouteille d’alcool dans une main et une corde dans l’autre.

* La cause de cette colère, ce sont les primes versées par AIG — après que la société a reçu un renflouage de 170 milliards de dollars de la part des contribuables. Selon le New York Attorney General, 73 cadres d’AIG ont reçu des chèques de plus d’un million de dollars.

* "Les démocrates, livides de rage, demandent à ce qu’AIG restitue les primes provenant du renflouage", titrait la presse financière hier.

* Nous espérons que vous réalisez, cher lecteur, que tout cela n’est qu’un petit spectacle cynique. C’est une distraction… un caprice complaisant ; la véritable histoire est ailleurs… et nous y reviendrons dans une minute.

** Le rebond se poursuit. Mais n’oubliez pas : ce n’est pas un nouveau marché haussier. C’est un piège à bears… un rebond dans un marché baissier. Une fois cette phase de colère passée… les gens penseront probablement que le pire est derrière eux. Ils cligneront des yeux et verront "une lumière à la fin du tunnel". Plus tard, ils réaliseront que la lumière en question est un train de marchandises arrivant à pleine vitesse !

* Toutes les nouvelles ne sont pas favorables. Les taux de non-paiement des prêts automobiles sont 9% plus élevés que l’an dernier. Thornburg Mortgage est apparemment en route pour le dépôt de bilan. Caterpillar annonce le licenciement de plus de 2 000 employés ; moins de construction, cela signifie moins de besoins en équipements lourds. AMEX annonce que même ses meilleurs clients prennent du retard sur leurs factures.

* Mais revenons dans le théâtre, et reprenons nos sièges : les politiciens donnent de l’argent à leurs projets favoris… puis font semblant d’être scandalisés lorsque les entreprises l’utilisent pour rembourser leurs factures. Parmi les factures en question, on trouvait des milliards à verser à d’autres entreprises — notamment Goldman Sachs, ancien employeur et source de richesse majeure pour l’homme qui a conçu le renflouage, Hank Paulson — et des milliers de contrats pour les salariés d’AIG.

* Que croyaient les autorités lorsqu’elles ont donné cet argent à AIG ? Qu’elles faisaient un don à une bonne oeuvre ?

* Non, cher lecteur… la partie était truquée. Et c’est toujours le cas. Tandis que la presse et les politiciens s’émeuvent de quelques millions donnés en prime aux rond-de-cuir d’AIG, des milliards supplémentaires sont versés aux partenaires d’AIG.

* Non seulement c’est un gâchis d’argent, déclare notre vieil ami Jim Rogers, mais les renflouages retardent en fait la reprise. Comment ça ? C’est évident. Ils poussent les gens à continuer à faire ce qu’ils faisaient — aussi improductif que ce soit. Au lieu de laisser AIG, ses dirigeants et ses partenaires faire faillite, les autorités donnent à ce système en état végétatif une transfusion d’argent des contribuables. Les dirigeants n’ont donc pas besoin d’aller chercher un nouveau travail. Et AIG peut continuer à fourguer ses assurances hypothécaires et immobilières. Ses clients et ses partenaires sont aussi protégés de leurs erreurs.

* Bien entendu, le gouvernement américain ne veut pas augmenter les impôts pour que ces incompétents restent en activité, si bien qu’il saigne la prochaine génération de contribuables — qui ne sont pas encore là pour protester. Au lieu de laisser la dette être réduite par le processus naturel des faillites déflationnistes, en d’autres termes, le gouvernement en rajoute.

* On trouve déjà environ 20 000 milliards de dollars de débris de dette qui doivent être balayés avant que l’économie puisse se reconstruire sur une base solide. Au taux d’épargne actuel, cela prendra près de 45 ans. Ce qui nous laisse à penser que cela n’arrivera pas. Nous ne pensons pas que les autorités puissent rester immobiles aussi longtemps. Elles ne sont pas immobiles aujourd’hui. En fait, elles augmentent la dette publique plus rapidement qu’on ne rembourse la dette privée.

* Selon nos calculs, l’économie privée rembourse environ 420 milliards de dollars — nets — par an (si l’on se base uniquement sur des taux d’épargne plus élevés… sans compter les dévalorisations et les faillites). Mais le déficit fédéral américain devrait atteindre 2 000 milliards de dollars ! En d’autres termes, les autorités ajoutent de la dette quatre fois plus rapidement que le secteur privé la rembourse.

* Ce n’est pas une formule permettant de réduire le problème. Elle ne fait que l’augmenter.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile