La Chronique Agora

L’Amérique était au top au 3ème trimestre… si, si !

** L’économie américaine carburait donc du feu de Dieu au troisième trimestre 2007 ! Après une révision en hausse de la croissance à près de 5% — mais qu’est-ce qui a donc crû si fort cet été, en dehors des pertes colossales liées au subprime ? Le département du Travail américain annonce en tout cas que la productivité non-agricole a bondi de 6,3% (contre 4,9% en première estimation) entre juin et septembre, ce qui représente sa plus forte progression en quatre ans.

Nous aimerions connaître le détail de ces chiffres prodigieux qui ne manqueront pas d’alimenter la légende selon laquelle les Etats-Unis demeurent l’un des pays les plus compétitifs et les plus prospères au monde. Et Wall Street considère avec une évidente satisfaction que hausse de la productivité = hausse maîtrisée des prix.

Le seul élément tangible qui corrobore cette équation idyllique, c’est le repli du dollar au troisième trimestre, lequel a plongé de 6% face à l’euro et face au yen, sans que l’inflation n’explose.

Nous pouvons également démontrer, sans grand risque d’être démenti, que l’usage intensif de la planche à billet depuis la mi-août a facilité la vie de beaucoup d’entreprises basées sur le sol américain. Sans cela, et compte tenu des difficultés (que vous connaissez bien) rencontrées par les banques, le renchérissement et la raréfaction du crédit auraient pu coûter très cher à l’économie américaine et plomber son apparente productivité.

** Dès la publication du fameux chiffre, la molle progression des indices européens (0,6% à 0,8% en moyenne entre 9h00 et 14h30) s’est transformée en un impétueux mouvement de hausse, les gains doublant en moins d’une heure. Le CAC 40 est repassé de 0,8% à 2%, alors que Wall Street affichait dès les premiers échanges une solide progression de 1,5%, en faisant la moyenne du S&P 500 et du Nasdaq.

Alors que pas un seul secteur de la cote n’avait terminé la journée de mardi dans le vert, pas un seul n’affichait de performance négative ce mercredi. Vers 16h00, le CAC 40 ne comptait pas moins de 39 hausses sur 40 (contre 37 replis et une inchangée la veille). Les acheteurs se sont rués avec la même ferveur sur les banques et les valeurs automobiles — prime écologique oblige — que sur les industries de base et les valeurs énergétiques.

Comment les marchés sont-ils repassés de façon aussi prompte et univoque de la déprime la plus complète à l’euphorie la plus débridée ? Mais c’est évident voyons ! Wall Street nous a déjà fait le coup à cinq reprises depuis le 16 août dernier : la Fed va baisser ses taux dans une semaine et tout va miraculeusement aller pour le mieux d’ici le 31 décembre prochain.

En l’occurrence, nous assistons à une petite variante sur le même thème, puisque les investisseurs s’enflamment pour un article du Wall Street Journal qui écarte formellement le scénario d’un statu quo de la Fed le 11 décembre prochain. Seule l’ampleur de la baisse à venir entretient encore un semblant de suspens, selon le quotidien américain.

L’hypothèse des -50 points — déjà intégralement pricée par les marchés obligataires depuis mercredi dernier — semblait tenir en début de semaine mais les bons chiffres publiés au cours des dernières heures pourraient alimenter des anticipations moins ambitieuses.

** Les dernières données disponibles concernant l’emploi — si l’on en croit l’étude du cabinet Automatic Data Processing (ADP) — sont à tomber à la renverse et prennent totalement le contre-pied des rapports hebdomadaires sur le chômage publiés au mois de novembre. Selon les statisticiens d’ADP, le secteur privé américain a créé 189 000 nouveaux emplois le mois dernier.

Nous admettons volontiers que novembre est un mois faste pour l’emploi, puisque les géants de la distribution recrutent à tour de bras pour les caisses enregistreuses en prévision des foules de Thanksgiving et des achats de fin d’année. Mais c’est de l’embauche temporaire et cela ne traduit pas une tendance à laquelle les économistes peuvent se fier aveuglément.

Qu’importent nos doutes et notre réserve, le département américain du Commerce apporte lui aussi sa pierre à l’édification d’un sentiment plus positif concernant l’économie américaine. Après une hausse (révisée) de 0,3% en septembre, la production industrielle aurait grimpé de 0,5% en octobre, au lieu de stagner comme l’anticipait Wall Street.

Nous ne demanderions qu’à nous en réjouir mais nous sommes troublé par la décrue symétrique des commandes à l’industrie américaine au cours de la même période, tandis que le taux de rotation des usines (stable en octobre) contredit le rapport publié ce mercredi. Certaines subtilités de calcul ont dû nous échapper… mais nous voyons défiler tellement de chiffres !

Vous en voulez encore une preuve ? Examinons l’une des toutes premières statistiques concernant le mois de novembre. Selon l’enquête mensuelle de l’Institute of Supply Management (ISM), l’indice d’activité du secteur tertiaire — qui représente 80% de l’activité économique des Etats-Unis — rechute vers 54,1 (contre 55,8) en novembre ; le sous-indice des entrées de commandes plonge vers 51,1 (contre 55,7) alors que la composante emploi recule à 50,8, contre 51,8 en octobre.

** Novembre, c’est en effet plus proche de nous que le mois de septembre qui concluait en beauté un troisième trimestre de rêve, si nous occultons la crise du subprime. Ben Bernanke et ses collègues se sont trop impliqués dans la défense d’un scénario de ralentissement économique au quatrième trimestre pour renoncer à réduire le principal taux directeur mercredi prochain.

Mais comment va réagir Wall Street si les -50 points espérés ne sont pas au rendez-vous ?

Les gérants ne préfèrent-ils pas mieux tenir que courir en arrachant les cours à la hausse avant la dernière réunion annuelle de la Fed ? Autant habiller les bilans quand les vents sont porteurs et ne pas prendre le risque de voir le Dow Jones buter sous les 13 450 points ou le Nasdaq 100 échouer une nouvelle fois sous les 2 102,5 points.

Le soupçon d’une vague d’achats reliée essentiellement à des opérations de window-dressing opportunistes est renforcé par un net tassement des volumes (-10% à 5,85 milliards d’euros sur le CAC 40) par rapport à la veille. Chiffre d’affaires en baisse, volatilité accrue, occultation de toute information propre à remettre en cause la (sur) valorisation des actions, autant d’indices concordants qui incitent à faire preuve de prudence et de discernement.

Nous avons notamment toujours autant de mal à justifier le retour du Dow Jones à 4% de son record historique, compte tenu de ce que nous savons tous de l’éclatement de la bulle immobilière : Fannie Mae prévoit un doublement des pertes liées aux incidents de crédit et une chute supplémentaire de 10% à 12% du prix moyen des logements en 2008. Pensons également au ralentissement — la locution « coup d’arrêt brutal » serait plus réaliste — du taux de croissance des bénéfices l’an prochain : Goldman Sachs prévoit +0,7%, autant dire zéro !

Mais Wall Street fait comme si le troisième trimestre 2007 devait se prolonger indéfiniment… Oserez-vous parier que non ?

Philippe Béchade,
Paris

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