▪ Les grands illusionnistes — et manipulateurs patentés — qui sévissent de Wall Street à Francfort en passant par la City ne prennent même pas la peine de laisser les marchés se comporter de façon crédible. En effet, face à une déferlante de statistiques décevantes en Europe (le chômage tutoie les 11%) et surtout aux Etats-Unis, vous comprenez bien qu’il n’y a pas d’autre option que la hausse !
▪ Les statistiques américaines ne sont pas au top
Le plus mauvais des trois chiffres publiés mardi aux Etats-Unis concernait la confiance des consommateurs. Elle était attendue en nette hausse à 68 points après 65,8 au mois de décembre mais elle rechute brutalement de 4,7 points à 61,1. Impossible cette fois de nous faire le coup du « c’est moins pire que prévu ». Mais peu importe, le S&P et le Nasdaq affichaient des scores inchangés à la mi-séance (vers 19h15).
Ils avaient à peine tressailli vers 15h45 avec la parution de l’indice PMI de l’activité dans la région de Chicago, lequel s’inscrivait en recul de deux points à 60,2, alors qu’il était attendu en hausse à 64.
L’embellie du secteur immobilier dont Wall Street se gargarise depuis deux mois n’a peut-être été qu’un heureux concours de circonstances (taux hypothécaires très bas, météo exceptionnellement clémente), comme le démontre l’indice S&P/Case-Shiller.
Démentant les discours bien rôdés sur le rebond du secteur de la construction, Wall Street découvrait un troisième repli consécutif de l’indice qui mesure l’évolution du prix des maisons individuelles aux Etats-Unis.
Les prix ont baissé de 0,7% en novembre dans les 20 principales zones métropolitaines. Sur les 12 derniers mois, le recul atteint 3,7% alors que le consensus anticipait -3,3% après -3,4% en octobre.
Les ventes de logements neufs ont également subi un sévère coup d’arrêt. Elles affichent une baisse de 2,2% en rythme annuel à 307 000 unités, contre 320 000 attendus en décembre. A la clé, on observe une chute de 2,5% du prix médian, lequel ressort en baisse de 12,8% sur an.
▪ Une hausse coûte que coûte pour clôturer janvier
Mais oubliez ce qui précède, cela n’a pas plus d’influence sur Wall Street que le résultat des primaires républicaines en Floride lundi soir.
Le message est clair : les indices boursiers devaient monter coûte que coûte jusqu’à 17h35 ou 22h en ce 31 janvier, peu importe la teneur de l’actualité économique et politique.
Nous avions compris depuis une bonne dizaine de jours que quelques très gros brasseurs d’argent avaient décidé d’instaurer le marché à sens unique. Inutile donc de se fatiguer à expliquer le pourquoi du comment de la hausse somnambulique de cette fin janvier.
Plus personne n’ose s’opposer à eux depuis que la Fed leur a offert les clés de Wall Street en déversant dans leurs coffres des centaines de milliards de dollars d’argent à zéro pourcent. Pendant ce temps, les superordinateurs « travaillent » les carnets d’ordres et multiplient les arbitrages sur les ETF de façon à verrouiller la tendance et éliminer toute opposition.
Ils décident souverainement du niveau des cours de Bourse en fonction de leurs stratégies sur les marchés dérivés. S’il est plus payant d’écraser la volatilité, les indices montent dans le vide et ne rebaissent jamais… Les faiseurs d’opinion (complices objectifs ou complices tout court) assurent qu’il faut « acheter tous les creux », même si cela n’a aucune justification économique.
S’il redevient plus payant d’orchestrer un mouvement directionnel et de doper la volatilité, alors un titre peut voir indifféremment son cours divisé ou multiplié par deux en quelques semaines, sans qu’il soit besoin d’évolutions concrètes des résultats ou du business model.
Une action qui sert de support à une multitude d’ETF finit par ne valoir que ce que quelques opérateurs influents décident souverainement. De nombreuses sociétés cotées (petites et moyennes) qui ont souvent un statut de sous-traitant ou de cocontractants se trouvent à leur tour soumises à un régime de douche écossaise absolument non maîtrisable.
▪ Les petites valeurs veulent claquer la porte des marchés
Faut-il s’étonner alors que nombre de ces small et mid caps (elles sont 16% d’après le tout dernier sondage dévoilé ce mardi) songent à se retirer du marché, dans la mesure où une valorisation durablement absurde leur interdit de trouver en Bourse ce qu’elles sont venues chercher, c’est-à-dire des fonds propres pour se développer ?
Les seules qui n’auront aucun mal à lever de l’argent, ce sont une fois de plus les banques !
▪ Vers une nouvelle recapitalisation des banques ?
Car ce qui euphorise les marchés depuis 10 jours, c’est la rumeur de la mise en oeuvre d’un second plan de recapitalisation des banques. Cela serait mis en place via un nouveau LTRO à trois ans (et avec un taux unique de 1%) mais qui serait cette fois-ci d’ampleur illimitée !
Un millier de milliards d’euros (d’après certains économistes de banques) pourraient être déversés d’ici fin février dans le système bancaire européen — après 490 milliards d’euros le 20 décembre. En revanche, il n’y a aucune garantie qu’ils s’investiront dans l’économie réelle puisqu’il reste infiniment plus rentable de l’employer pour spéculer sur des produits dérivés de taux comme les fameux carry trade où l’on empruntera à 1% pour se placer sur de la dette à 6%.
A l’évidence, cette dernière séance du mois de janvier était placée dès hier sous le signe de la hausse à Wall Street. Ce mois de janvier sera donc le meilleur observé depuis 15 ans pour les indices américains.
On se demande bien ce qui dans la conjoncture réelle et dans les perspectives 2012 justifie un tel emballement des indices boursiers (+8% pour le Nasdaq, plus de 10% pour Francfort).
▪ Les marchés se racontent des histoires pour s’endormir
Le marché s’ingénie à se raconter en boucle de belles histoires. Parmi les plus contées, il y a le pseudo-accord entre la Grèce et ses créanciers, toujours pas signé mais qui est cité quotidiennement comme une source d’optimisme. Notons tout de même que les négociations pataugent depuis 15 jours et qu’il devient évident que les partenaires européens devront ressortir leur chéquier pour prêter de l’argent qu’ils ne possèdent pas d’ici la date butoir du 13 février prochain.
Et vous avez pu découvrir plus haut ce qu’il en est de l’amélioration réelle de la conjoncture aux Etats-Unis dont on nous a rebattu les oreilles tout au long du mois de janvier. L’essentiel de la hausse de 2,8% du PIB résulte du rebond très technique de la variable restockage.
Tout allait beaucoup mieux pour les Etats-Unis et beaucoup moins mal pour l’Europe début 2011. Mais Wall Street vient de renouer avec ses sommets de mai dernier alors que la Fed injectait 75 milliards de dollars par mois dans le système financier.
Pour paraphraser une célèbre publicité, nous pouvons résumer la situation boursière en ce début de mois de février 2012 par un « ça va moins bien, mais c’est plus cher ».