La Chronique Agora

La peur et l'investisseur

** La peur fait faire aux gens des choses très étranges. Un homme peut vendre une bonne action à très bas prix, par exemple, par peur de ne plus pouvoir s’en sortir s’il ne s’en débarrasse pas immédiatement. Il peut aussi décider d’annuler un voyage parce qu’une bande de guérilleros a organisé une attaque lâche, au petit bonheur la chance, à quelques milliers de kilomètres de l’endroit où il souhaitait se rendre.

– L’attaque de Bombay, il y a quelques semaines — aussi terrible qu’elle ait pu être pour ceux qui en ont souffert — n’était pas l’opération maîtresse d’une équipe de forces spéciales à la tactique particulièrement avancée. Ce n’était pas une frappe nucléaire de précision ni même l’initiative personnelle d’une équipe hautement coordonnée de génies militaires. Il y a plus d’organisation et de rigueur intellectuelle dans la construction d’un cheval à bascule que dans la plupart des actes de terrorisme. Il faut plus de courage aujourd’hui pour boire une tasse de café qu’il n’en faut pour faire exploser un café plein d’innocents ; il faut seulement une mentalité de troupeau, une déficience morale et un manque d’imagination. L’attaque de Bombay, comme la plupart des actes de terrorisme, n’était qu’une poignée de hooligans attardés armés de mitraillettes dont le but était de semer le plus de problèmes possible.

– Quoiqu’il en soit, le pays tout entier en paie maintenant le prix. Les vols de charters vers les lieux touristiques — même à des milliers de kilomètres de Bombay — ont été annulés jusqu’à la fin du mois de janvier. Les hôtels et les stations de bord de mer ne voient plus passer le moindre Occidental. Les entreprises locales en souffrent terriblement, ces mois étant ceux pendant lesquels elles dépendent le plus du commerce.

– Lorsque nous entendons le mot "terroriste", immédiatement et involontairement, notre esprit nous envoie des images horribles de gens brûlés et de boules de feu qui traversent des cafés. Avant même que nous n’ayons eu le temps de prendre une décision réfléchie, notre réaction émotionnelle a pris le dessus et nous oublions que le risque d’être victime d’une attaque terroriste est quasi nul. Il y avait 20 millions de personnes à Bombay pendant le siège. 200 personnes très malchanceuses ont été tuées. Faites le calcul. Vous auriez sûrement bien plus risqué votre vie au cours de ces trois jours en prenant un taxi au Caire qu’en buvant une infusion dans l’un des milliers de cafés de Bombay.

** Ce sont les mêmes conducteurs émotionnels qui travaillent tous les jours sur les marchés. Quelqu’un crie "achetez" ou "vendez" et la débandade commence. Le but est à chaque fois complètement dépassé. Puis, quand quelques personnes ont gagné de l’argent et que beaucoup en ont perdu, le pendule balance de l’autre côté.

– Le marché n’est pas un rassemblement en bon ordre d’individus qui se comportent de façon rationnelle, même si nous aimerions que ce soit le cas. C’est plutôt un amalgame d’investisseurs irrationnels guidés par la peur et la cupidité. Le marché s’autocorrige mais étant donné que le flux est incessant, qu’il répond à des nouvelles données et à des variables, il n’est jamais vraiment correct. Il est toujours survendu ou sous-acheté.

– Cela rend virtuellement impossible le fait de déterminer un sommet absolu ou, comme beaucoup d’investisseurs l’ont appris cette année, un plancher absolu. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’on ne peut pas augmenter radicalement ses chances de succès en portant attention aux réponses émotionnelles qui dirigent le troupeau.

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