La Chronique Agora

La nouvelle guerre Chine/Etats-Unis

"C’est logique : quand on a une pénurie de matières premières dans le monde, cela entraîne généralement une guerre". Voici ce que disait le motard de l’investissement et vétéran de Vancouver Jim Roger lors d’une récente conférence à l’Institut Mises en Alabama.

Il y a quelques générations, le Japon a attaqué Pearl Harbor dans les mois qui ont suivi un embargo américain sur le pétrole. Lundi, la Chine a lancé un embargo sur les exportations d’éléments de terres rares vers les Etats-Unis.

Les terres rares, si vous avez besoin que je vous rafraichisse la mémoire, sont une classe de 17 éléments utilisés un peu partout : téléphones portables, batteries de voitures hybrides, télévisions à écran plat, systèmes de missiles téléguidés, turbines éoliennes…

Dès qu’il s’agit de technologie moderne, il y a des chances pour que cela implique les terres rares.

Alors où est le hic? Actuellement, la Chine contrôle 93% à 97% de l’offre mondiale, selon la source que vous choisissez de citer durant votre prochain dîner en ville.

Mais la décision chinoise de cesser les exportations vers les Etats-Unis marque l’un des embargos sur les exportations les plus étranges de l’histoire récente.

▪ Quand la Russie a interdit les exportations de céréales en août, le Premier ministre Vladimir Poutine l’a annoncé lui même et a déclaré qu’il craignait que les Russes meurent de faim. Mais quand la Chine a interdit les exportations de terres rares vers les Etats-Unis, un journaliste du New York Times a dû le deviner par le biais de "trois dirigeants du secteur des terres rares, qui ont tous insisté pour conserver l’anonymat, de peur de représailles de la part des autorités chinoises".

Personne ne sait combien de temps va durer cet embargo ; un quatrième dirigeant a déclaré qu’il semblait qu’une ou deux cargaisons allaient quand même parvenir à passer à travers les mailles du filet.

Tout ça met les dirigeants de Washington dans une position délicate : "nous avons lu l’article", a déclaré une porte-parole du département US du Commerce extérieur, "et cherchons à obtenir de plus amples informations".

Ils semblent totalement dénués de leur indignation habituelle. On pourrait croire qu’ils n’ont rien vu venir… Hmmm…

Quand la Chine a cessé les exportations de terres rares vers le Japon le mois dernier, le motif était évident : le Japon avait capturé des bateaux de pêche chinois dans des eaux que les deux pays se disputent. Mais qu’en est-il de l’embargo avec les Etats-Unis ?

Bien évidemment, la tension est palpable entre les conseillers politiques de Washington et les apparatchiks du parti à Pékin, au sujet de la valeur du renminbi… ce qui a, en retour, nourri une série de désaccords commerciaux : le gouvernement américain a imposé des frais de douane sur les pneus chinois. Les dirigeants chinois ont imposé des frais de douane sur les poulets américains. Et ainsi de suite… Les bureaucrates se disputent : à quoi d’autre pourraient-ils bien passer leurs journées?

▪ En regardant plus en détails, nous avons trouvé un motif un peu plus inquiétant derrière tout ça.

Vendredi dernier, le département du Commerce extérieur a annoncé l’ouverture d’une enquête concernant les subventions chinoises sur l’énergie verte. Le syndicat américain des sidérurgistes a fait un sacré tapage à ce sujet, bien évidemment — et avec les élections qui s’annoncent, plus d’un électeur lambda est prêt à le soutenir.

Le syndicat affirme que les Chinois ont adopté "des politiques qui protègent et soutiennent injustement les producteurs chinois d’énergie éolienne et solaire, de batteries pour les véhicules verts… puisque la Chine cherche à devenir le premier fournisseur mondial de ces produits".

Qu’est-ce qu’il y a dans les turbines éoliennes? Des terres rares. Qu’y a-t-il dans les batteries des véhicules verts? Des terres rares.

Tout à coup, l’affaire devient plus claire. Une fois encore, l’enquête américaine aurait simplement pu donner une excuse à Pékin pour faire quelque chose qu’elle avait prévu de faire depuis longtemps.

"La Chine possède 97% des terres rares", explique Jim Rogers, "et la Chine est en plein boom. Alors la Chine réduit les exportations de terres rares, et je suppose que n’importe quel autre pays ferait pareil s’il était en plein boom et qu’il voyait que l’offre est limitée".

"Depuis 2006", explique The Economist, "la Chine s’est comportée de la même façon que l’OPEP, le cartel des producteurs de pétrole, qui réduit ses exportations de 5% à 10% par an. En juillet, le quota d’exportations a été réduit de 40%. Les prix ont explosé". Et ils ont explosé au moment où la demande a augmenté : "on prévoit une augmentation de la demande de près de deux tiers au cours des cinq prochaines années".

"Si vous pouvez trouver une façon viable d’investir dans les terres rares", conclut Jim Rogers, "vous allez gagner une fortune".

Alors qui sont les gagnants et les perdants dans tout ça ? Reuters nous a donné une liste intéressante hier matin. Les perdants, ce sont les fabricants qui dépendent des terres rares. Aux Etats-Unis, ce sont principalement les fabricants de pots catalytiques et les secteurs de préparation d’alliage de métaux et de fabrication de céramique.

Les gagnants, ce sont les producteurs de terres rares… et ils existent en dehors du système clos de la Chine. En réalité, 65% des réserves sont en dehors de la Chine. Elles n’ont pas encore été exploitées, c’est tout. Les Etats-Unis, le Canada et l’Australie possèdent tous des gisements que de minuscules entreprises minières tentent de mettre en production.

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