La Chronique Agora

La gestion du risque selon les professionnels de l'investissement

** "Je me fiche de ce que font ‘les autres enfants’ ! Tu ne le feras pas !" disait souvent la mère de votre chroniqueur. "Si tous les autres enfants sautaient d’une falaise, tu sauterais aussi ?"  Je me retrouvais souvent à court d’argument face à cette logique implacable. Il me fallait évidemment admettre que je ne sauterais pas d’une falaise, même si tous les autres enfants le faisaient. Quelque 40 ans plus tard, j’ai découvert que cette logique implacable n’est pas aussi implacable qu’elle semblait l’être quand j’étais encore enfant. Beaucoup d’enfants sautent des falaises tous les jours uniquement parce que les autres enfants le font. Nous appelons ces enfants-là des "gestionnaires de portefeuille".

– A chaque séance, les gestionnaires de portefeuille de la planète sautent du précipice de la prudence pour atterrir dans les abysses de la pensée de groupe. Ils sautent parce que tous les autres sautent. Mais ne compatissez pas avec eux ; compatissez plutôt avec leurs clients. L’imprudence met rarement en péril le mode de vie à sept chiffres d’un gestionnaire, même si elle met en péril la valeur nette du client. La plupart des gestionnaires gèrent parfaitement bien cette tension morale.

– Tout gestionnaire est sûr de recevoir son chèque de fin de mois tant qu’il ne s’éloigne pas du troupeau. Il peut perdre des centaines de millions — voire des milliards — de dollars appartenant à ses clients, tant que tous ses pairs font exactement la même chose au même instant. En d’autres termes, la gestion de portefeuille professionnelle concerne bien plus les professionnels que la gestion.

** Voyez par exemple cet évènement récent dans les couloirs d’Oppenheimer Co. :

– Sur la dernière couverture de Fortune, on pouvait voir le portrait de Meredith Whitney, analyste chez Oppenheimer Co. Elle a gagné l’admiration de ce magazine financier populaire qui l’appelle désormais "la Femme qui a annoncé la chute de Wall Street". Dommage qu’elle n’ait pas appelé ses collègues du département de gestion des investissements pour partager avec eux ses pressentiments. Il se peut également qu’elle les ait appelés et qu’ils l’aient tout simplement ignorée.

– Quoi qu’il en soit, quelques fonds d’investissement d’Oppenheimer sont restés lourdement positionnés dans le secteur financier pendant plus d’un an… et ont d’ailleurs payé un lourd tribut. Cette divergence étrange entre ce qui est dit et ce qui est fait soulève une question : qui a bénéficié des brillants dons d’anticipation de Meredith Whitney ? Si les gestionnaires de portefeuilles qui assistent aux mêmes pique-niques d’entreprise que Mme Whitney n’ont pas pris la peine de l’écouter, qui d’autre l’aurait fait ?

– Malheureusement, ce n’est pas de cette façon que se joue le jeu de la gestion d’actifs dans la finance. La prudence est aussi bien accueillie dans le secteur de la gestion que la moralité l’est dans une maison close.

– Presque aucun gestionnaire de fonds n’oserait s’éloigner de n’importe quel "désastre en puissance", uniquement pour protéger les capitaux d’un client. Après tout, le "désastre en puissance" pourrait remonter un peu avant d’imploser, tout comme l’ont fait les valeurs financières pendant la remontée de fin septembre/début octobre 2007.

– "Le risque", dans le lexique pervers des bureaux de gestion de portefeuille, signifie simplement : "performance divergente". Cela ne signifie pas : "s’engager volontairement dans une probabilité importante de destruction du capital".

– Comme s’en souviennent certainement nos fidèles lecteurs, votre chroniqueur a fait la même annonce que Mme Whitney. Mais notre annonce n’en était pas vraiment une. C’était une fuite de trouillard. Nous avons eu peur et nous avons fui. Dans des dizaines de chroniques et/ou de discours, ces 24 derniers mois, nous avons encouragé les investisseurs à éviter les valeurs financières… et également à résister à la tentation de pêcher dans ce secteur. Pas parce que nous sommes particulièrement intelligents, mais parce que nous avions peur.

– Et c’était justifié.

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