La Chronique Agora

La Fed, déjà en faillite…

Et si l’ultime victime du tsunami nippon était le Trésor américain ?

Bonjour,

▪ Débordée par ses multiples missions, la Réserve fédérale américaine s’est placée sous la protection du Trésor. Ce dernier prendra désormais en charge les pertes de la Fed. Ce qui signifie que la Banque centrale américaine n’est plus capable de faire face à ses engagements. En langage courant, cela s’appelle être en faillite.

La raison de ce changement est toute simple : la Fed a acquis tellement de titres de créances immobilières pourris qu’une modeste baisse de ces derniers lui serait fatale. La seule solution consistait donc à trouver quelqu’un d’autre pour payer les pots cassés. Et qui a été l’heureux élu ? Le contribuable américain, bien sûr, par l’intermédiaire du département du Trésor US.

Cette petite révolution annoncée le 6 janvier dernier, en toute discrétion bien sûr, nous rappelle les pires heures de la crise financière et le plan de sauvetage de Wall Street à 300 milliards de dollars de l’automne 2008. A l’époque, la plupart des banques commerciales avaient été sauvées de la faillite grâce à l’argent public — à part Lehman Brothers ou Bear Stearns notamment.

Mises à part ces deux exceptions, les requins de Wall Street avaient donc été récompensés pour leurs excès et leur aveuglement. Cette fois, la Fed est récompensée pour avoir racheté trop de titres pourris ; cela sent l’Allemagne de l’entre-deux-guerres… avec ses conséquences funestes d’abord sur l’économie, ensuite sur la paix.

Pour ne parler que des mortgage-backed securities, les fameux MBS (des titres de créances adossées à des crédits immobiliers), la Fed en a acquis pour 1 250 milliards de dollars depuis le printemps 2008. Et, surtout, elle les a achetés à leur valeur nominale, et non à leur valeur de marché ; c’est comme si quelqu’un acceptait de payer le prix plein pour un lot de denrées avariées.

▪ Donc la Fed a racheté aux banques qui étaient techniquement en faillite les créances pourries que personne ne voulait plus leur rembourser (ce qui allait les mettre sur la paille, justement). Mais comme personne ne voulait de ces instruments financiers, leur valeur a diminué, voire même s’est évaporée pour certaines catégories, puisqu’il n’y avait plus d’acheteur. Vous pouvez clamer haut et fort que vos vieilles chaussettes valent 100 euros si vous les avez payées ce prix-là, si plus personne n’en veut — même les organisations caritatives –, elles ne valent pas 100 euros. Et si vous n’arrivez pas à les vendre du tout, leur valeur tombe à… zéro !

Mais les chaussettes de la Fed, qui sentent la mouffette effarouchée, n’auront pas besoin de tomber en lambeaux pour que les problèmes deviennent abyssaux. La Banque centrale américaine dispose de 50 milliards de dollars de fonds propres. Ses engagements liés aux MBS  — de 1 250 milliards, je le rappelle — représentent donc 23 fois ses fonds propres. Ou 40 fois si l’on compte les autres actifs financiers qu’elle a récupérés. Voilà un effet de levier qui aurait fait rêver plus d’un banquier quand tout allait bien ! Plutôt que l’aigle, le logo du banquier central devrait plutôt faire apparaître un sconse abscons.

Bref : il suffit donc que son portefeuille de MBS perde plus de 4% de sa valeur pour que l’équivalent du capital de la Fed soit absorbé. Avec ses réserves, il suffirait probablement une baisse de 10% de la valeur des MBS pour que la Réserve fédérale soit à sec.

Et 10%, nous y serons vite, à voir les prix immobiliers qui n’ont pas beaucoup progressé depuis 2008, malgré le triplement de la masse monétaire (ce qui correspond, ceteris paribus, à une perte de 67% pour l’immobilier). Les MBS ont de toute évidence déjà perdu plus de 10% de leur valeur. Et donc la Fed est déjà en état de faillite technique. Faillite virtuelle, car les pertes à venir sur ces actifs pourris seront transférées au Trésor US. Plus exactement converties en dette à long terme de la Fed envers le Trésor US. Ce qui revient au même.

Le Trésor US, donc le contribuable, a intérêt à avoir les reins solides. Le 2 janvier, il s’est engagé à fournir un soutien illimité à Fannie Mae et Freddie Mac, les organismes publics qui garantissent les crédits hypothécaires aux Etats-Unis.

Le mécanisme est similaire à celui mis en oeuvre pour la Fed. Normalement, les banques commerciales ayant émis ces MBS devraient les racheter à Freddie et Fannie. Ce qui provoquerait probablement des faillites du côté de Wall Street. Mais Freddie et Fannie n’en peuvent plus de supporter ces milliards de titres pourris dans leur bilan.

Seule solution : les refiler au contribuable, via le Trésor. En deux ans, celui-ci a déjà englouti 200 milliards de dollars pour soutenir Freddie et Fannie. Ce ne sera qu’une broutille face à ce qui l’attend, avec la hausse programmée des taux d’intérêt, l’immobilier qui ne se reprend pas et des emprunteurs qui continuent à ne pas rembourser leurs emprunts.

Finalement, la Fed a dû sauver un secteur financier plombé par ses excès. Mais la méthode utilisée a provoqué sa propre faillite. Comment avoir confiance dans le système après de tels événements ? Il ne faut pas s’étonner que l’or vienne de toucher un nouveau record, à plus de 1 400 $ l’once. Il ne faudra pas s’étonner non plus si le métal jaune aligne bientôt les records tel un Ben Johnson goinfré de stéroïdes.

Malheureusement, ni vous ni moi ne pouvons écouler nos chaussettes sales ni notre poisson pourri auprès du Trésor US. Mais peu importe : nous profiterons de ces turpitudes étatiques par le biais de nos investissements.

[Marc Mayor est le fondateur et président d’Inside ALPHA, une entreprise helvétique spécialiste des approches financières éliminant le risque de marché (investissements dits « ‘neutres au marché »). Depuis plus de 10 ans, Marc analyse avec humour et sagacité le comportement des initiés de la Bourse, notamment dans les colonnes de sa rubrique hebdomadaire « Le Coin des Insiders »‘, qui paraît chaque vendredi dans le quotidien financier L’Agefi (Suisse). Marc Mayor met également toute son expertise financière, ses analyses et ses recommandations au service des investisseurs particuliers dans le cadre de sa lettre d’information, La Lettre de Marc Mayor]

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La Grande Correction est-elle terminée ?

Bill Bonner

 

▪ Nous en sommes au quatrième anniversaire de la Grande Correction. Countrywide — l’un des plus grands prêteurs subprime des Etats-Unis — a fait faillite en 2007. C’est à ce moment-là qu’elle a débuté. Après plus de six décennies d’augmentation de leur passif, les Etats-Unis ont commencé à se débarrasser de leurs dettes.

A présent, nous sommes confrontés à une question essentielle : la Grande Correction est-elle terminée ?

Le New York Times nous affirme que la Grande Correction a fait son travail. En faisant défaut sur les prêts hypothécaires et en réduisant les dépenses, les Américains ont ramené leur charge de dette à son plus bas niveau en six ans :

« La dette totale des ménages, y compris les prêts hypothécaires et les cartes de crédit, a chuté pour la deuxième année consécutive en 2010, à 13 400 milliards de dollars, annonçait la Réserve fédérale [jeudi dernier]. Cela représentait 116% des revenus disponibles, en baisse par rapport au sommet de 130% en 2007, et le plus bas niveau depuis le quatrième trimestre 2004 ».

« Avec l’aide de la hausse des prix, le déclin des dettes met la valeur nette du ménage moyen à 505 000 $ à la fin 2010, soit une hausse de 5,1% par rapport à 2009 — ce qui reste bien inférieur au sommet de 595 000 $ atteint au deuxième trimestre 2007, avant le plongeon des prix de l’immobilier ».

« Les défauts de paiement sur les prêts hypothécaires et les cartes de crédit ont joué un grand rôle dans la réduction de la dette des ménages, soulignant l’ampleur des difficultés financières qui affectent encore les familles américaines. Les banques commerciales ont passé en pertes et profits 118 milliards de dollars de prêts hypothécaires, de cartes de crédit et autres dettes de consommation en 2010, selon la Fed. C’est plus de la moitié de la chute totale de 208,8 milliards de dollars de dettes des ménages, qui inclut également les nouveaux prêts hypothécaires et cartes de crédit ».

« Les gens corrigent également leurs dettes ‘à la dure’, en augmentant la part de leurs revenus consacrée au remboursement de la dette. Le taux d’épargne personnel atteignait 5,8% en moyenne en 2010, en hausse par rapport à un plus bas de 1,4% en 2005, de retour vers des niveaux qu’on n’avait plus vus depuis le début des années 90 ».

« Alors que les ménages américains réduisent leurs dettes, les obligations [des Etats-Unis] dans leur ensemble augmentent, avec des recettes fiscales faibles — tandis que les efforts visant à relancer l’économie se traduisent par de grands déficits budgétaires. La dette non-financière totale des Etats-Unis a grimpé de 4,8% à 36 300 milliards de dollars, nourrie en majeure partie par une augmentation de 20% de la dette fédérale. Les dettes des entreprises non-agricoles et non-financières ont augmenté de 5,4% à mesure que les entreprises profitaient des taux d’intérêt bas, mais une bonne partie de cet argent est allée gonfler leur trésorerie, qui est passée à 1 900 milliards de dollars ».

▪ Pauvres Japonais. Il ne suffisait pas qu’ils aient dû subir 21 années de récession par intermittence. Ni que leur économie, leur pays et leur race soient confrontés à l’extinction. Voilà que Mère Nature les balaie eux aussi.

La Nouvelle-Zélande a elle aussi été récemment atteinte par un tremblement de terre désastreux. En réaction, sa Banque centrale a baissé ses taux d’intérêt. Désormais, on ne fait plus appel aux banques centrales uniquement pour maintenir le plein emploi et lisser les hauts et les bas du cycle économique. On les fait intervenir comme si elles étaient l’armée.

La semaine dernière, la Banque centrale néo-zélandaise a baissé son taux directeur de 3% à 2,5%.

Mais que fera la Banque du Japon ? Son taux de prêt est déjà à zéro — il y est depuis 15 ans. Pourtant, le pays aura à coup sûr besoin de cash et de crédit pour reconstruire les infrastructures détruites par le tsunami.

Ah là là… c’est bien le problème, quand on est « à taux zéro ». Il ne reste plus rien. On ne peut pas donner d’aide quand on en a vraiment besoin.

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Et si l’ultime victime du tsunami nippon était le Trésor américain ?

Philippe Béchade

 

▪ Vous avez certainement lu et vu plus que nous ne pourrions décrire de la dévastation qui vient de frapper le Japon. Nous y avons effectué un voyage d’une quinzaine de jours à la fin de l’été dernier, et si le pays était frappé par une canicule sans précédent depuis une vingtaine d’années, l’activité sismique y fut également l’une plus calmes de la décennie.

Aucune secousse perceptible n’a été ressentie dans l’île principale durant tout le mois d’août, même pas une vibration capable de rider la surface d’une tasse de thé ou d’une soupe miso. La croûte terrestre semblait s’être assoupie sous la torpeur estivale, les plaques tectoniques faisaient de la chaise longue et la vie de tous les jours au Japon n’évoquait en rien le titre du plus célèbre roman d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements.

L’histoire autobiographique de l’écrivaine belge n’a rien à voir… mais le titre de l’oeuvre colle parfaitement aux images de l’explosion de deux des six réacteurs de la centrale de Fukushima que les caméras de la télévision japonaise ont filmé en direct durant les dernières 72 heures.

Oui… stupeur et tremblements face au risque de perte de contrôle de la situation par les exploitants des centrales endommagées par le tsunami. Tout cela pourrait déboucher sur un scénario à la Tchernobyl.

Il en résulterait une contamination nucléaire bien pire et beaucoup plus durable que celle consécutive à l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima. En effet, elle ne contenait « que » quelques kilos de plutonium alors que les réacteurs japonais contiennent chacun plusieurs tonnes de combustible hautement radioactif de type « MOX ».

A la différence de l’Ukraine, qui présente une densité de population extrêmement faible, la côte est du Japon rassemble le plus fort taux d’habitants de la planète, juste derrière Singapour et Hong Kong (qui ne sont que des « Etats confettis »).

▪ Il suffit de poser le pied à l’aéroport de Narita (situé à 80 km de la capitale) et d’entreprendre un voyage vers le sud (Osaka ou Kobe, c’est égal) pour se rendre compte que les provinces du Kanto et du Tango (incluant Kyoto est ses environs) sont une sorte de ville qui ne s’arrête jamais. Seule la couleur des bus et des trains de banlieue indique que l’on change de préfecture ou de communauté urbaine.

Imaginez une sorte de New York qui s’étendrait de Portland jusqu’à Baltimore — si cher au coeur de Bill Bonner — avec des cités-dortoirs aux immeubles peu élevés ainsi que des quartiers d’affaires de format La Défense tous les 20 kilomètres.

Pratiquement tous les habitants ont vue sur la mer depuis les tours panoramiques fichées au milieu des communes de plus de 100 000 habitants — c’est-à-dire plus de la moitié de celles traversées entre Chiba (nord de Tokyo) et Hiroshima.
Fait surprenant : les Japonais ne bâtissent rien sur les collines ou les contreforts des montagnes qui plongent vers l’océan Pacifique, là où ils seraient pourtant bien à l’abri des tsunamis.

Les reliefs sont réservés à Mère Nature. Ce sont des îlots de verdure surgissant d’un océan de maisons et de bâtiments commerciaux ou industriels… Le paysage ressemble à ces jardins japonais avec des bonzaïs posés sur de grosses pierres qui émergent — telles des îles rêvées par un artiste du 15e siècle — d’une mer de graviers blancs.

Les raffineries, les centrales nucléaires, les chantiers navals, les zones de fret avec leurs grues géantes visibles à des dizaines de kilomètres : tous nous rappellent que la poésie d’un Japon intemporel et pétri d’écologie se niche désormais au sein d’une machine industrielle et économique d’une efficacité redoutable… qui apparaît aujourd’hui d’une extraordinaire vulnérabilité face au déchaînement des forces tectoniques.

Le Japon fonctionne comme une horloge parfaitement huilée où les trains arrivent à l’heure et où tout retard est perçu comme une indignité par les compagnies de chemin de fer.

Nous avions même raté un train à Osaka lors d’une correspondance parfaitement minutée. Le conducteur s’était trompé en lisant la pendule de sa machine : il n’avait pas vérifié le cadran situé sur le quai qui lui donnait l’heure exacte — et avait lancé son convoi avec 50 secondes d’avance… une erreur impardonnable !

▪ Mais comme toute mécanique de grande précision impliquant 70 millions d’habitants sur une façade maritime de 700 km, le moindre « pépin » un peu sérieux entraîne des répercussions économiques que nous avons du mal à nous représenter.

Le Japon est formidablement organisé pour faire face en 48 heures à 98% des incidents (tremblement de terre, incendies, pollution chimique, vague neigeuse…) qui jetteraient le nord de l’Europe ou les Etats-Unis dans le chaos le plus complet… Et voilà que survient le Big One, le scénario « catastrophe absolue » — le séisme a été réévalué à une puissance inouïe de 9 sur l’échelle de Richter.

Nous ne doutons pas de la capacité du Japon à redonner un toit aux dizaines de milliers de san-abri puis de ressusciter d’ici un à deux ans les zones touchées par le tsunami… si l’argent ne vient pas à faire défaut. Il serait présomptueux et prématuré d’écarter ce péril si le coût de la catastrophe dépasse les 150 milliards de dollars, ce qui devrait, hélas, être le cas.

Mais si la pollution nucléaire s’en mêle, il ne restera plus au Japon qu’à se réinventer un autre destin. Cela au prix d’une onde de choc économique et humaine dont nous ne pouvons qu’imaginer les conséquences sur les principaux partenaires de la zone Asie mais également sur l’autre grande puissance riveraine du Pacifique : les Etats-Unis.

▪ Wall Street, en tout cas, refuse d’y croire. La place américaine s’est de nouveau singularisée en affichant une résilience remarquable face aux incertitudes immenses engendrées par la catastrophe tellurique du 11 mars au Japon.

Les indices américains ont repris lundi soir plus de la moitié du terrain perdu en matinée — au lieu d’amplifier leurs pertes jusqu’à la clôture, à l’image des places européennes qui reculaient en moyenne de 1,1% (Euro Stoxx 50) à 1,2% (Eurotop 100).
Le Nasdaq a même fait l’effort d’en terminer juste au-dessus du palier des 2 700 tandis que le Dow Jones a manqué de peu d’en terminer au-dessus des 12 000 points. Cela aurait pu être le cas sans le lourd repli de General Electric — Fukushima représente déjà le deuxième plus grave accident survenu au sein de la filière nucléaire civile. GE redoute que les projets de construction de nouvelles centrales soient gelés pour longtemps sur l’ensemble de la planète.

De l’autre côté du Pacifique, le remarquable sang froid de la population était moins évident côté investisseurs, avec un indice Nikkei qui plongeait de 6,2% hier matin.

Le scénario qui se dessine à l’horizon 2012 est clairement celui d’une récession. Des coupures de courant « tournantes » (qui risquent de durer plusieurs semaines) font partie des mesures destinées à éviter l’effondrement général de l’approvisionnement en électricité face à un déficit de production qui atteint 20% des capacités globales.

Un retour à la normale n’est pas envisageable avant des mois. Le Japon choisira-t-il de s’approvisionner en matériel à l’extérieur de ses frontières… ou respectera-t-il la tradition qui consiste à ne compter que sur ses propres forces ?

Wall Street semble faire le pari que les autorités nippones se tourneront plus volontiers vers l’Amérique que vers la Chine… La Bourse de Shanghai (quasi inchangée) faisait le pari inverse lundi matin.

Et nous reposons la question qui fâche : avec quel argent ?

Le Japon a désormais une très bonne excuse pour liquider une partie des 1 000 milliards de dollars de bons du Trésor américain pour faire face aux dépenses de reconstruction.

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