La Chronique Agora

La Fed confirme qu'elle va continuer de raser gratis très longtemps

▪ Tout semble sous contrôle depuis une dizaine de jours. La "main invisible" a soigneusement refermé toutes les issues du marché afin qu’aucun courant d’air intempestif ne crée la moindre vague à la surface des indices.
 
La volatilité continue de fondre, comme si la sérénité était le sentiment le mieux partagé par tous les opérateurs. L’indice VIX rejoint son plancher annuel des 17,5% — ce qui induit l’absence quasi intégrale d’anticipation baissière à court ou moyen terme.
 
Nous observons depuis un mois un ratio surréaliste de cinq séances positives pour une de consolidation ; ce ratio monte même à sept contre un sur le Nasdaq 100, qui aligne 21 journées de hausse sur une série de 25. Tout cela ne suscite aucun commentaire, n’engendre aucun étonnement.

Tout va si bien sur tous les fronts (emploi, immobilier, pouvoir d’achat, endettement) que de telles phases de progression irréversibles apparaissent la chose la plus naturelle au monde.
 
Le refrain unique que reprennent en choeur tous les médias économiques est le suivant : "la crise est terminée, on a eu chaud, et même si la reprise est lente, tout va bien se passer".
 
Il ne subsiste que quelques empêcheurs de sourire béatement en toutes circonstances comme Bill Bonner et les équipes de la Chronique Agora et MoneyWeek pour rappeler quelques réalités qui dérangent.
 
▪ Le marché, heureusement pour lui, est vacciné contre les effets nocifs de la vraie vie. Il n’éprouve jamais d’insomnie, ne médite jamais sur ses erreurs (il change simplement d’avis quand ça lui chante), ne vieillit pas (ce qui pourrait parfois le rendre plus sage) et récite avec la foi du charbonnier le catéchisme haussier qu’il a lui-même rédigé pour voir la vie en rose.
 
Le marché n’envisage pas que l’embellie boursière des 12 derniers mois ne constitue que l’oeil du cyclone. Il fait grand soleil, tout le monde est heureux — enfin… tous ceux qui ont comme seule préoccupation de regarder leurs actions grimper — et les médias annoncent que le ciel devrait rester bleu au-dessus de Wall Street, même si Manhattan enchaîne tempêtes de neige et pluies diluviennes.
 
▪ Ils se basent sur le bulletin météo de la Fed, qui confirme ce mardi le maintien de "taux très bas, très longtemps". Le contenu du communiqué final était déjà connu de longue date et pratiquement à la virgule près par les initiés. La seule minuscule inflexion sémantique concerne l’emploi qui se stabilise au lieu de demeurer anémique : une toute petite retouche en milieu de page et le texte de début février est de nouveau bon pour le service.
 
Vous savez bien, à force de nous lire, que Ben Bernanke n’écrirait pas une ligne qui soit susceptible de surprendre la poignée de très gros intermédiaires qui font la pluie et le beau temps à Wall Street — il s’agit de ceux qui participent chaque mois au placement des milliards d’émissions de bons du Trésor mis aux enchères par la Fed.
 
L’actualité du jour sert tout juste de toile de fond ou d’illustration sonore pour un film dont la trame et le dénouement final sont parfaitement scénarisés.
 
Mais il y a parfois des exceptions. Cette séance de mardi en fournit l’illustration : les places européennes semblaient vouées à stagner très à plat et très longtemps, après un rebond technique de 0,6% ou 0,7% à l’ouverture. Elles ont toutefois soudain accéléré à la hausse vers 15h45 sans que Wall Street y soit pour rien car à ce moment-là — le Nasdaq et le S&P grappillaient 0,3%, le Dow Jones 0,1%… et cela n’a guère changé jusqu’à 17h35.
 
▪ Le doublement des gains de l’Euro-Stoxx 50 ou du CAC 40 n’a cette fois-ci pas la moindre relation avec le calendrier macro-économique du jour ou une actualité concernant les entreprises. C’est en fait l’agence de notation Standard & Poor’s qui a rassuré les marchés en annonçant en fin d’après-midi le maintien de la notation de la dette grecque avec une perspective "stable", ce qui a immédiatement fait grimper l’euro vers 1,3750 $.
 
Le recul symétrique du dollar (-0,5%) s’est accompagné d’un net rebond du pétrole (+2% à 81,5 $). Cela a soutenu les valeurs du secteur "produits de base" et par conséquent donné un petit coup de pouce mécanique aux indices américains — ce qui a été perçu comme un signe positif.
 
Le CAC 40, qui semblait voué à osciller toute la journée entre 3 915 et 3 925 points, s’est envolé de 25 points en une poignée de minutes sur le communiqué de S&P… mais dans le vide !
 
Mais où sont donc passés ces opérateurs gavés de cash — et notoirement sous-investis — que les médias nous décrivent comme l’armée de réserve qui n’attend qu’un signe pour arracher les actions vers de nouveaux sommets ?

Il semblerait que les bataillons de féroces acheteurs soient toujours en permission. Le volume d’échanges observé ce mardi atteint en effet tout juste 2,8 milliards d’euros : c’est une activité digne d’un mois d’août, alors qu’un écart de +1,25% justifierait au moins 3,8 ou 4 milliards d’euros de transactions.
 
Tout monte — parfois fortement — parce que les vendeurs restent obstinément sur la touche : pas question de sortir du marché tant que la tendance demeure positive. La seule préoccupation du moment est de maximiser les gains d’ici vendredi (journée des "Quatre sorcières") en laissant faire les autres, dans la mesure du possible, pour clôturer le premier trimestre 2010 en beauté.
 
▪ Alors que l’Europe terminait la journée en pleine euphorie apparente (+1,23% pour l’E-Stoxx 50, +1,15% à Francfort), Wall Street se montrait beaucoup plus prudent une demi-heure après la parution du communiqué de la Fed. Le fait accompli semblait jouer et les scores ne dépassaient pas +0,3%, au mieux — le Dow Jones luttant pour préserver l’équilibre.
 
Les indices américains n’avaient pas réagi initialement à la publication du nombre mensuel des mises en chantier : elles se sont contractées de 5,9% le mois dernier, un niveau globalement conforme aux estimations des spécialistes. Par ailleurs, les permis de construire chutent de 1,6% après -4,7% en janvier… Toujours aucune embellie à l’horizon dans l’immobilier aux Etats-Unis.
 
En Europe, la nouvelle déception causée par l’indice ZEW du moral des milieux d’affaire allemand (-0,6 points à 44,5 contre 47,2 au début de l’année) était complètement éclipsée par l’évolution du dossier grec.

Oserons-nous écrire que ce n’était pas encore dans les cours ?

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