La Chronique Agora

La course folle pour conquérir de nouvelles terres (1)

Oubliée la conquête de l’Ouest ! Les nouveaux territoires convoités sont au sud. Il ne s’agit plus vraiment de nouvelle frontière, d’installation sur des territoires inoccupés où même de l’apparition d’embryons de sentiments de nation. Non, la conquête du sud est beaucoup plus prosaïque mais n’en est pas moins problématique : elle concerne l’acquisition de terres agricoles par des pays… dans d’autres pays. Un phénomène dont vous avez peut-être déjà entendu le nom anglais — fort révélateur : land grab. [de l’anglais to grab : saisir, attraper, s’emparer de, ndlr.]

"30 ans plus tôt, ça aurait été un parfait exemple de néocolonialisme", martèle Stefanuméro Manservisi, directeur général pour le développement à la Commission européenne, à propos du land grab. D’ailleurs, savez-vous d’où vient l’expression "république bananière" ? Elle faisait référence à des dictatures qui acceptaient de voir leur pays dirigé par des compagnies, principalement occidentales, qui exploitaient les grandes plantations de fruits.

Aujourd’hui, c’est moins de l’Europe que l’on parle. Les nouveaux locataires de terres sont l’Arabie Saoudite, la Corée, la Chine… Selon l’IFRI, un think tank américain, depuis 2006, 20 millions d’hectares de terres agricoles ont fait l’objet de transactions impliquant un acteur étranger.

Une idée de ce que cela représente ? La totalité des terres arables françaises, un cinquième de celles de l’Union européenne. En termes financiers, le total de ces deals se chiffrerait entre 20 et 30 millions de dollars. Soit 10 fois plus que le programme d’aide à l’agriculture récemment prévu par la Banque mondiale.

La version moderne du troc
Concrètement, que se passe-t-il ? Des entreprises, comme la Suédoise Alpcot Agro, la Coréenne Hyundai Heavy, ou même la bien connue banque américaine Morgan Stanley, achètent ou louent des terres agricoles à l’étranger afin de les exploiter. Si ce ne sont pas des entreprises qui signent les contrats, ce sont souvent les Etats eux-mêmes : Koweït, Soudan, Qatar… les Etats du Golfe compensent leur manque de terres fertiles en allant s’implanter à l’étranger.

Car voilà le fond du problème : souvent le pays acheteur/ locataire ne dispose pas de suffisamment de terres pour nourrir sa propre population, mais sa situation financière lui permet de remédier — pour l’instant — au problème. Avec la flambée des matières agricoles en 2008, nombre de pays ont pris conscience de l’enjeu de l’approvisionnement alimentaire, d’où cette ruée vers les terres. Pour les pays africains — principaux loueurs — la manne financière est appréciable et les contrats s’accompagnent souvent de petits plus : construction d’une école, d’une route, etc.

Pourtant, la situation est loin d’être idyllique. Croyez-vous vraiment que ce soit des Africains qui travaillent les terres louées par la Chine ? La plupart du temps, non. Les populations sont même chassées des terres qu’ils occupaient depuis des lustres. Ce sont souvent les meilleures terres, celles qui possèdent un accès à l’eau. Car, oui, nous en revenons ici à un problème bien connu : celui de l’accès à l’eau. Nous verrons comment et pourquoi dès demain…

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile