Les grandes crises couvent pendant plus d’an an, durant lequel le temps paraît comme suspendu. C’est ce temps que vous devez mettre à profit pour sortir au mieux.
Si vous avez déjà vécu une situation périlleuse, du genre accident de voiture, déraillement de train ou chute libre (j’espère que non), alors vous avez probablement remarqué que le temps a l’air de freiner. Vous voyez votre situation périlleuse se dérouler au ralenti. Le film Matrix en offre un exemple mémorable : le héros, Néo, parvient à esquiver les balles car le temps est presque suspendu pour lui.
Selon les meilleures informations scientifiques, le temps ne ralentit pas réellement, bien sûr, lorsque nous sommes en danger, et nos perceptions non plus. Voici ce qui se passe : le stress et la nouveauté de l’expérience poussent le cerveau à créer de nouvelles couches de mémoire. Selon le chercheur David Eagleman, « plus on a la mémoire d’un évènement, plus on a l’impression qu’il a duré longtemps ». Alors oui, le temps a l’air de ralentir, en situation de crise, mais ce n’est qu’une illusion cognitive.
Il est important de conserver cet effet de « ralenti » à l’esprit, en ce 20ème anniversaire de la crise financière russe-LTCM (septembre 1998) et de 10ème anniversaire de la crise financière Lehman-AIG (septembre 2008). Les investisseurs ont ressenti ces évènements comme l’équivalent d’une chute libre, ou le fait de voir votre voiture déraper sur de la glace et la sortie de route se rapprocher. Si vous avez vécu ces évènements, vous vous rappelez que les minutes s’apparentaient à des heures.
Bien entendu, les investisseurs se rappellent à quel endroit ils se trouvaient et ce qu’ils faisaient au paroxysme de ces crises, les 28 septembre 1998 et 15 septembre 2008. La plupart d’entre eux ne savent peut-être pas que chacune de ces crises s’est en fait déroulée sur 15 mois. Les investisseurs qui observaient de près les signes précurseurs de difficultés ont eu tout le temps de se sortir de la trajectoire de la crise. Mais en fait, la plupart des investisseurs ne se sont pas rendu compte de ces signes précurseurs.
LTCM et la crise russe se sont étalés sur 15 mois
La crise Russe-LTCM de septembre 1998 a débuté en juin 1997, soit 15 mois plus tôt, lorsque la Thaïlande a dévalué sa monnaie et instauré le contrôle des capitaux. Pendant plusieurs années, la Thaïlande avait maintenu un taux de change fixe face au dollar américain.
L’argent avait alors afflué dans l’immobilier et les stations balnéaires du pays, rapportant de hauts rendements assortis d’un taux de change garanti. Lorsque les investisseurs ont commencé à récupérer leur argent, une vague de retraits bancaires s’est produite. La Thaïlande n’a pas pu maintenir sa garantie de change face au dollar, et a dévalué sa monnaie, provoquant des pertes colossales chez les investisseurs américains. A partir de là, la panique s’est propagée à l’Indonésie, la Malaisie, la Corée du Sud et d’autres pays. Le sang s’est littéralement répandu dans les rues lors d’émeutes financières.
Les marchés se sont apaisés au cours de l’hiver, mais la contagion a réapparu au cours de l’été 1998. En août, la Russie a fait défaut sur ses obligations, dévalué sa monnaie et instauré le contrôle des capitaux. Cela a provoqué une crise de liquidité mondiale, entraînant des pertes colossales pour le hedge fund Long-Term Capital Management. La Fed et Wall Street se sont unis pour sauver LTCM mais, en réalité, elles se sont sauvées elles-mêmes. Les marchés du monde entier venaient de passer à quelques heures de l’effondrement total, lorsque l’opération a été conclue.
Lehman AIG a couvé 15 mois aussi
La crise Lehman-AIG de septembre 2008 a débuté en juin 2007, soit 15 mois plus tôt. HSBC venait de publier des résultats décevants par rapport aux attentes, en raison d’un taux de défauts élevé dans le secteur des crédits hypothécaires à risque (subprime).
En juillet 2007, deux hedge funds appartenant à Bear Stearn s’étaient effondrés, ne parvenant pas à refinancer à court terme des titres adossés à des crédits hypothécaires.
En août 2007, la crise s’est intensifiée et la Fed a abaissé le taux d’escompte, première baisse d’une longue série l’amenant à zéro. Trois OPCVM majeurs contrôlés par BNP Paribas ont fermé et suspendu les remboursements. Les Fonds communs de créance (special-purpose vehicles, ou SPV) ne trouvaient plus de financement à court terme.
Là encore, les marchés se sont calmés au cours de l’hiver, alors que des fonds souverains déboursaient des milliards de dollars d’argent frais pour soutenir les banques américaines. Mais la crise est revenue au printemps, avec la faillite de Bear Stearns en mars 2008, suivie de l’effondrement de Fannie Mae et Freddie Mac en juin. Elle s’est transformée en crise de liquidité mondiale, puis a atteint un sommet avec la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008 et, par voie de conséquence, l’insolvabilité du géant de l’assurance, AIG.
Wall Street s’exposait à la faillite en série d’autres banques, à commencer par Morgan Stanley, mais la Fed et le Congrès sont intervenus avec des milliers de milliards de dollars de garanties, swaps et capitaux permettant de les renflouer.
Le début de ces deux crises de 1998 et 2008 a eu lieu plus d’un an avant qu’elles n’atteignent le stade de crise de liquidité d’envergure mondiale. Certains investisseurs ont eu tout le temps de réduire leurs positions à risque, d’augmenter leurs compartiments liquidités et or, puis de botter en touche jusqu’à ce que la crise s’apaise.
Une fois la tempête passée, il y avait de bonnes affaires à réaliser pour ceux qui détenaient des liquidités. En 2008, un investisseur qui aurait eu des liquidités et aurait protégé son argent pendant la crise, l’aurait fait quadrupler en achetant le Dow Jones à 6 550 points (contre 26 000 points à l’heure actuelle).
Comment savoir sortir à temps ?
Relativement peu d’investisseurs l’ont fait. Au contraire, ils ont pâti de la « peur de passer à côté de quelque chose » lorsque les marchés étaient au top, et jusqu’au début de la crise. Ils ont continué de croire à tort qu’ils pourraient « sortir à temps » si les marchés se retournaient, sans se rendre compte que ces retournements se produisent plus vite que les rallys.
Ils ont maintenu leurs positions, qui étaient en perte, en espérant qu’elles « se referaient » (elles l’ont fait, mais dix ans plus tard), et ainsi de suite. C’est quasiment systématique : de simples biais comportementaux empêchent de faire ce qu’il faut.
Sommes-nous à nouveau face à un krach qui arrive au ralenti ?
Les marchés nous indiquent-ils qu’une nouvelle crise de liquidité d’envergure mondiale nous guette en 2019 ? On ne peut le savoir, mais les signes ne sont pas encourageants.
Le Venezuela est le théâtre d’une tragédie humaine et économique. La Turquie, l’Argentine et l’Indonésie, qui comptent parmi les grandes économies émergentes, subissent un effondrement intégral. L’Inde, la Malaisie, le Brésil et le Mexique sont en plein effondrement monétaire. L’Afrique du Sud est en récession. La croissance de la Chine ralentit et ses dettes ne sont pas soutenables. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine commence à faire des victimes, et cela va s’aggraver.
Et puis il y a ces poudrières, en Mer de Chine Méridionale – Corée du Nord, Syrie, Iran, Ukraine, Taïwan, notamment – susceptibles de se muer en conflits armés en un rien de temps.
[NDLR : Jim Rickards est prêt à révéler aux investisseurs particuliers les signes avant-coureurs de la nouvelle crise qu’il entrevoit afin de les aider à prendre des dispositions profitables… pour eux. Découvrez ici le dossier qu’il a constitué et envoyé à Donald Trump.]
Les investisseurs ne doivent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ils peuvent garder un pied sur le marché actions tout en augmentant leurs compartiments liquidités et or. Les faibles rendements de ces actifs seront largement suffisants, si une nouvelle crise de liquidités survient, et lorsque qu’il y aura de bonnes affaires à réaliser.
Ce qu’il faut, c’est agir dès maintenant, sans attendre que la réalité ne rattrape cette sensation de ralenti.