La Chronique Agora

Keynes et Pharaon, leçons d'économie

▪ Nous avons dit que nous réfléchissions sérieusement, cette semaine. Peut-être est-ce dû à la saison. Mais nos pensées deviennent de plus en plus grises. Moins noires. Moins blanches. Moins dures. Moins douces.

Il y a quelques années de ça, il nous semblait que le système financier mondial était parti en guerre. Nous attendions avec impatience le défilé de la victoire. Nous pensions que M. le Marché administrerait une bonne raclée aux autorités. Pour l’instant, ce n’est pas encore arrivé.

On trouve d’un côté les forces d’une correction naturelle des marchés… suite à une très longue période d’expansion. Plus l’argent devient facile, plus les gens tendent à le dépenser et l’investir à mauvais escient. Ensuite, inévitablement, leurs erreurs doivent être corrigées. C’est ce à quoi servent les marchés baissiers et les récessions.

▪ Mais les autorités n’aiment pas les marchés baissiers ou les récessions. Et depuis que Keynes a élaboré sa théorie générale au début du 20ème siècle, elles pensent qu’elles peuvent s’en dispenser. Keynes s’est inspiré de l’Ancien testament. Le gouvernement devrait agir comme un pharaon égyptien éclairé — cette comparaison n’est pas de Keynes, mais elle pourrait l’être. Bref, les autorités devraient enregistrer des surplus durant les bonnes années et des déficits durant les mauvaises années… lissant ainsi le schéma boom/krach.

Pharaon n’était pas un idiot. Il a stocké son grain durant sept ans, lorsque les récoltes étaient abondantes. Puis, lorsque les sept années de vaches maigres sont arrivées, il a distribué le grain au peuple. Problème résolu.

Keynes pensait qu’un gouvernement moderne pouvait faire la même chose. Mais Pharaon n’était pas à la tête d’une démocratie. Il n’avait pas à répondre à ses électeurs. S’il voulait amasser du grain durant les bonnes années, il pouvait le faire.

En théorie, les gouvernements pourraient faire de même. En réalité, ils n’accumulent jamais de surplus significatifs. On trouve trop de gens voulant trop de pain et trop de jeux. Et on ne gagne pas de voix en refusant aux électeurs ce qu’ils veulent. En pratique, les autorités enregistrent donc des déficits même durant les années grasses ! L’an dernier, avant que la crise ne commence vraiment, le gouvernement fédéral américain présentait le plus grand déficit de son histoire — près d’un demi-millier de dollars.

Imaginons ce que cela donnerait pour un mauvais Pharaon. Il distribuerait le grain durant les années d’abondance. Cela encouragerait les paysans à produire moins. Lorsque les années difficiles viendraient, Pharaon n’aurait donc plus de grain à distribuer… et les fermiers auraient moins de grain à leur nom, puisqu’ils auraient moins cultivé durant les années de boom. La famine serait pire que jamais.

Imaginons aussi que l’Egypte faisait du commerce avec la Chine, à l’époque. Peut-être que Pharaon pourrait emprunter du grain à la dynastie Zhou pour aider à diminuer la douleur de son peuple. Peut-être pourrait-il hypothéquer les pyramides. Quoi qu’il en soit, Pharaon — et le peuple égyptien avec lui — aurait été en bien meilleure position s’il avait commencé par faire ce que Joseph lui avait dit… stocker des réserves quand tout va bien, les exploiter quand les choses vont mal. Est-ce si difficile que ça ?

Mais Bernanke n’a pas vu arriver la famine. Pas plus que Geithner. Ou Greenspan. Ou tout autre savant appelé par Pharaon pour interpréter ses rêves. Aucun d’entre eux ne s’attendait à une période difficile. Aucun d’entre n’eux n’a averti le public. Aucun d’entre eux n’a encouragé le gouvernement à épargner pour la récession. Nassim Taleb se demande pourquoi Bernanke a été re-nommé à son poste alors qu’il a clairement échoué à un test essentiel. Enfin… le gouvernement fédéral croit à l’égalité des chances. Il ne vire pas ses employés juste parce qu’ils sont incompétents.

▪ Mais revenons-en à nos moutons…

… nous pensions assister à une bataille — entre les forces de l’inflation (les autorités)… et les forces de la déflation (le marché). Sauf que les batailles ont en général des vainqueurs clairs. Un côté se rend maître du champ de bataille ; l’autre bat en retraite. Un côté est victorieux, l’autre défait.

Hélas, certaines guerres ne produisent ni hosannah de louanges… ni pleurs éplorés. Certaines se terminent par un match nul… par la confusion… ou par la disgrâce et la faillite des deux côtés.

Comme le mauvais Pharaon, les autorités n’ont rien mis de côté. A présent, elles doivent essayer de faire fonctionner leur magie keynésienne à crédit. Cela les met en position de faiblesse, comme un gouvernement menant une guerre avec de l’argent emprunté. Il peut continuer sa campagne tant que ses prêteurs l’y autorisent. Il ne peut pas mener ses batailles aussi efficacement qu’il le voudrait. D’un autre côté, peut-être ne les perdra-t-il pas de manière aussi spectaculaire qu’il l’aurait pu.

Pour l’instant, le crédit des autorités américaines est encore bon. Le marché obligataire prévoit un taux d’inflation de moins de 2%. Les banquiers qui prennent l’argent du gouvernement le lui re-prêtent encore volontiers.

▪ Mais les forces de la correction ne cèdent guère de terrain. Même si les actions se reprennent, l’économie réelle reste embourbée.

"Nette chute des créations d’entreprises" titrait un journal hier. La création de nouvelles entreprises est une source majeure de nouveaux emplois. Ce n’est pas bon signe.

Même l’éditeur Condé Nast est forcé de réduire ses dépenses. Il a demandé à ses employés de ne pas dépenser plus de 1 000 $ par nuit lorsqu’ils sont en déplacement.

Un économiste de Pimco annonce que les taux d’épargne américains continuent de grimper… et pourraient dépasser les 8%. Cela représente des centaines de milliards de dollars soustraits à l’économie de consommation. Bizarrement, alors que tout ça aggrave le ralentissement économique, ça aide aussi à financer la bataille contre ledit ralentissement : les épargnants achètent de la dette US (bien qu’indirectement).

La bataille continue donc… et l’issue en reste douteuse.

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