La Chronique Agora

Japon : Shinzo Abe combat la dette par la dette

▪ Notre chapeau est tiré. Nos genoux pliés. Notre bouche bée.

Nous sommes stupéfait. Reconnaissant. Et consterné. Que vont encore imaginer les Japonais après ça, nous demandons-nous ?

Nous sommes stupéfait parce que nous avons vu les résultats des tests internationaux. En matière de QI, les Japonais se placent 10 points plus haut que la moyenne mondiale. Et pourtant, ils sont là… à faire les choses les plus idiotes que nous puissions imaginer.

Nous sommes également reconnaissant… parce que le Japon est leader mondial pour tout ce qui concerne l’absurdité économique… les bulles boursières et immobilières… les renflouages… le ZIRP et le QE. Or il n’y a pas de politique économique si ridicule que les politiciens américains ne veulent pas l’essayer. Où que tu ailles, ô Japon, nous te suivrons.

C’est toujours le problème, avec les bonnes âmes : elles manquent totalement d’humour

Enfin, nous sommes consterné. Quelle sorte de crétin irait croire que les fonctionnaires doivent décider quelles activités auront du succès ? Comment sauraient-ils mieux que les gens du secteur forestier si le bois rapporte ou non ? Pourquoi irait-on penser qu’encourager des jeunes femmes à s’aventurer dans les bois pour y faire un travail difficile et dangereux sera bon pour l’économie ? C’est peut-être agréable à regarder… distrayant pour celles qui veulent de l’air frais et ceux qui veulent de la compagnie féminine… mais de là à en faire une politique économique sérieuse ? Vous voulez rire, Abe ! C’est toujours le problème, avec les bonnes âmes : elles manquent totalement d’humour.

Bloomberg nous en dit plus :

"Des Japonaises armées de tronçonneuses en route pour les bois grâce au plan d’Abe.

Junko Otsuka a démissionné de son emploi à Tokyo et est allée dans les bois, échangeant son ordinateur contre une tronçonneuse et son bureau climatisé contre un flanc de montagne. Elle fait partie d’une nouvelle vague de femmes occupant des emplois dans le secteur forestier suite aux politiques économiques, sociales et environnementales qui naissent dans le Japon du Premier ministre Shinzo Abe.

[…] Moins de 70% des femmes japonaises entre 25 et 54 ans ont un emploi, le taux le plus bas des pays les plus riches du monde, selon une estimation du Cabinet Office japonais. La main-d’oeuvre du pays pourrait enfler de plus de sept millions de personnes, et le PIB pourrait connaître une hausse allant jusqu’à 13% si la participation des femmes égalait celle des hommes, déclarait Goldman Sachs Group Inc. dans un rapport daté du 6 mai".

Plus de femmes transpirant dans les champs et les forêts. Plus d’arbres abattus. Plus de papier et de scieries, leurs cheminées portées au rouge par la fournaise du commerce.

N’est-ce pas fabuleux ?

▪ Quoi, vous ne voyez pas pourquoi c’est génial ?
De toute évidence, vous n’avez pas de diplôme d’économie ! Et vous ne gérez pas l’une des plus grandes économies au monde.

Shinzo Abe, si. Avec son programme des "trois flèches", il s’est engagé à faire grimper les chiffres. Plus d’inflation. Plus de PIB. Plus de ci… et plus de ça.

Les Japonais s’en trouveront-ils mieux ? Hé, ne dérangez pas les économistes sérieux avec des questions impertinentes. Vous savez parfaitement qu’ils ne peuvent travailler qu’avec la quantité, pas la qualité. Ils sont numériques, à présent, et non plus analogues. Si ça ne se mesure pas en chiffres, ils ne peuvent rien y faire. Alors n’en parlons pas, d’accord ?

De tous les chiffres que le Japon a augmentés, cependant, un ressort plus nettement. En 1980, la dette publique japonaise ne se montait qu’à la moitié de son PIB. A présent, elle est cinq fois supérieure au PIB. En d’autres termes, il faudrait deux ans et demi de production totale pour rembourser la dette accumulée quasi-intégralement sur les 30 dernières années. Et rappelez-vous que cette dette a été contractée pour stimuler la croissance du PIB. Comme vous pouvez le constater, cette approche a échoué. Pour chaque dollar de production supplémentaire, la dette gouvernementale a augmenté de 4 $.

Et aujourd’hui, si on y ajoute la dette privée, le total se monte à 500% du PIB.

Il est clairement temps de repenser la stratégie. L’augmentation de la dette n’a pas résolu le problème de dette du Japon

Il est clairement temps de repenser la stratégie. L’augmentation de la dette n’a pas résolu le problème de dette du Japon.

Mais voilà qu’arrive le susmentionné Shinzo Abe avec un plan. Son programme ? Plus ! Plus de dette ! Plus de dépenses ! Plus de taux zéro ! Plus de QE ! Plus de femmes dans les bois. Plus de tout ce qui a mené le Japon au bord du désespoir.
           
Le rendement du bon du Trésor japonais à 10 ans est de 0,51% — c’est très maigre. Avec une telle quantité de dette, même un léger biais vers une "normalisation" des taux d’intérêt serait dévastateur. Avec un taux de financement de zéro, dans les faits, c’est à peine si le PIB augmente. Si le coût de financement devait passer à 3%, par exemple… l’économie japonaise sombrerait dans la dépression.

Et la normalisation est en chemin. Elle finit toujours par arriver. Les retraités japonais n’épargnent plus. Les exportateurs japonais ne rapportent plus de gros sous de l’étranger. Et les investisseurs (les prêteurs) réaliseront immanquablement, tôt ou tard, que le Japon ne pourra jamais rembourser ses dettes. Cela signifiera moins d’argent à prêter, des taux de financement plus élevés et, en fin de compte… l’effondrement final de l’illusion japonaise.

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