La Chronique Agora

Japon : la dévaluation du yen n’aide pas l’économie

▪ L’économie américaine semble stable. Le marché boursier — qui est censé tout voir, tout savoir et ne rien comprendre — nous dit que l’horizon est dégagé. Nous sommes idiots de le croire. Mais peut-être tout aussi idiots de ne pas le croire.

En attendant, nous pouvons presque entendre le téléphone de M. Gideon Gono en train de sonner. C’est une voix avec un accent étrange… parlant de très loin.

"Pouvez-vous venir nous donner des conseils ?"

Une fois encore, l’économie a sombré dans le coma. Et une fois encore, les politiques de relance de la Banque du Japon… et du Trésor japonais… ont échoué à la ressusciter. A présent, on apprend que l’éditorialiste du New York Times et Prix Nobel d’économie Paul Krugman est allé conseiller le gouvernement de Shinzo Abe sur les moyens de gérer sa crise.

Les Japonais pouvaient-ils avoir recours à pire personne pour les conseiller ?

Oui. Peut-être. En la personne du susmentionné M. Gono.

Le Japon est la preuve invoquée par les planificateurs centraux pour affirmer que le monde est en manque de "demande". Martin Wolf en faisait l’illustration dans le Financial Times mercredi dernier. "Le fléau de la faible demande mondiale", titrait son article.

Pourquoi la demande fournie volontairement par les consommateurs et les entrepreneurs serait-elle "trop faible" ou "trop forte" ?

En quoi une demande faible est-elle un fléau ? Quelle quantité de demande faudrait-il ? Pourquoi la demande fournie volontairement par les consommateurs et les entrepreneurs serait-elle "trop faible" ou "trop forte" ? Et comment pourrait-il y avoir encore plus de demande qu’il n’y en a réellement ?

Peu importe. Quand il n’y en a pas assez à leur goût, les planificateurs centraux pensent savoir comment en obtenir plus. Wolf : "… par des choix de politiques non-conventionnelles, probablement encore moins conventionnelles que celles qu’ils ont tentées jusqu’à présent".

Nous doutons que M. Krugman ait conseillé à M. Abe des politiques encore moins conventionnelles. Il est plus probable qu’il ait plaidé pour les vieux élixirs inefficaces — ceux-là même qui ont laissé le patient raide comme une planche. Le coeur de toutes ces politiques — conventionnelles ou pas — c’est qu’elles tentent de créer de la demande là où il n’en existe pas vraiment. C’est-à-dire qu’elles fournissent de l’argent non gagné et du crédit immérité à des gens qui sont incapables de les rembourser.

▪ De Paul à Gideon…
Et ensuite ? Nous n’en savons rien, mais nous avons entendu dire qu’Abe cherche l’adresse e-mail de Gideon Gono. Si vous nous lisez de longue date, vous connaissez bien Gono : c’est l’homme qui a transformé le Zimbabwe en cas d’école pour aficionados des catastrophes hyper-inflationnistes. Ce qu’il ne sait pas au sujet de la création de demande factice ne vaut certainement pas la peine d’être connu. Pendant des années, nous avons gardé dans notre portefeuille un souvenir de son oeuvre — un billet de 10 000 milliards de dollars zimbabwéens. Que pouvait-on acheter avec ça ? Rien du tout ! Il n’avait aucune valeur.

Les conseils de Gono seraient probablement moins chers que ceux de Krugman. Qui plus est, l’ancien banquier central du Zimbabwe serait bien plus distrayant. Selon un article de la presse people du Zimbabwe, il avait trois épouses dans sa demeure de Harare et couchait également avec la femme du président. Si l’économie du Japon manque des "instincts animaux" cher à Keynes, peut-être qu’une dose de Gono serait utile.

Cependant, après avoir eu le souffle coupé par les dernières mésaventures de Tokyo avec la politique monétaire, nos jambes se sont raffermies et un point de vue plus clair se dégage.

Le dessein affirmé de la nouvelle politique de QE plus agressive, c’est les sottises habituelles sur l’augmentation du taux de croissance. Une dévaluation du yen est censée pousser les consommateurs à vouloir s’en débarrasser plus rapidement… augmentant ainsi la vélocité de la devise, menant à l’inflation, à des ventes, des profits, des embauches… et toutes les bonnes choses de cette vie éphémère.

Le yen dévalué — ainsi qu’une augmentation des taxes sur les ventes — a fait grimper le coût de la vie des consommateurs et réduit leurs revenus réels

Ce qui s’est passé jusqu’à présent, c’est que le yen dévalué — ainsi qu’une augmentation des taxes sur les ventes — a fait grimper le coût de la vie des consommateurs et réduit leurs revenus réels. Pas exactement ce que M. Abe recherchait.

Mais plus on observe les chiffres de près, moins ils ont de sens.

Les revenus fiscaux stagnent depuis 30 ans… tandis que les dépenses ont grimpé de près de 100%. Actuellement, pour chaque yen que les autorités japonaises encaissent en recettes fiscales, elles en dépensent deux. Et 25% des recettes fiscales doivent être utilisés rien que pour payer l’intérêt sur la dette — même à des taux frôlant le zéro.

Vous voyez vers où tout ça se dirige, n’est-ce pas ? Les revenus des ménages chutent. Les surplus commerciaux se sont transformés en profonds déficits commerciaux. Les taux d’épargne approchent le zéro. Tout le peuple nippon est engagé dans ce qui pourrait être une auto-extermination, avec une population censée chuter de 127 millions à 87 millions au cours du prochain demi-siècle. Et les efforts de relance les plus agressifs et les plus tenaces sur une période de 25 ans se sont révélés incapables de stimuler la production réelle d’un seul yen.

Se sortir de ses problèmes économiques par la croissance ? Le Japon n’a pas une chance.

Il a trop de dette. Il ne peut pas la rembourser. Il doit la faire disparaître par l’inflation.

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