La Chronique Agora

IPO : en 2021, faites vos jeux !

Le deuxième trimestre n’est pas encore achevé que l’année 2021 affole déjà les compteurs. Au cours des quatre premiers mois de l’année, les introductions en Bourse se sont multipliées à un rythme encore jamais vu jusqu’ici.

A l’échelle de la planète, ce sont plus de 870 entreprises qui ont sollicité les faveurs des investisseurs cette année dans le cadre d’IPO. Elles ont levé, entre janvier et avril, pas moins de 230 Md$ – un record depuis les années 2000 et la folie des dot-com.

Ce début d’année en fanfare peut sembler d’autant plus surprenant que l’économie reste, pandémie oblige, atone. Pourtant, force est de constater que la vague d’IPO de ce début d’année est faite de succès à répétition – et ce sur toutes les places boursières majeures.

Les USA donnent le ton

C’est aux Etats-Unis que le succès des nouvelles cotations est le plus fulgurant. Les USA ont hébergé, à eux seuls, près des deux tiers des fonds levés dans le monde sur le début d’année avec 155 Md$ récoltés. Ce montant dépasse même le précédent record établi sur la même période en 1999.

La plus connue des IPO du début d’année est certainement celle de Coinbase (NYSE : COIN) qui a vu l’entreprise valorisée plus de 86 Mds$ lors de sa première cotation.

Et dans le reste du monde, alors ?

Loin derrière mais bon deuxième, le continent européen totalise pour sa part un peu plus de 30 Md$ récoltés grâce aux Bourses de Londres (9,4 Mds$) et Amsterdam (8 Mds$). La City a notamment vu arriver la cotation des célèbres Deliveroo et autres Dr Martens.

Quand le risque n’existe plus

Ces chiffres sont rendus possibles par une conjonction de facteurs. Le premier est bien sûr lié à l’abondance de liquidités accumulées durant la pandémie.

Entre les achats de grosses mains, les entreprises ne sachant plus que faire de leur trésorerie et les particuliers désœuvrés qui se découvrent une âme de trader Robinhood (parfois avec les aides publiques reçues durant les confinements), les flux de capitaux vers les marchés action ne tarissent pas.

Cette marée d’argent est, sans conteste, à l’origine de la hausse quasi ininterrompue des indices depuis le mois de mars 2020. Le MSCI World Index, qui regroupe les plus grandes entreprises mondiales à l’exception des marchés émergents, s’octroie +37% sur 12 mois. L’EuroStoxx, +34%.

Même dans nos frontières, le CAC40 GR, qui réplique un portefeuille des plus grandes actions françaises en réinvestissant les dividendes, est sur ses plus hauts historiques et culmine désormais à plus de 18 000 points.

Pour autant, certains compartiments semblent désormais totalement déconnectés de la notion de risque ou de retour sur investissement.

Les SPAC, ces véhicules on-ne-peut-plus risqués dans lesquels les investisseurs font un chèque en blanc à des dirigeants sur la seule base de leur CV, ont connu un essor fulgurant. Sur les 155 Md$ levés aux USA, 90 Md$ l’ont été par des SPAC.

Cela signifie que plus de 58% des montants levés outre-Atlantique l’ont été à l’aveugle. Les investisseurs qui ont décidé de « mettre au pot » l’ont fait sans savoir dans quoi ils investiront, ni de quelle société ils deviendront actionnaires.

L’euphorie gagne les valeurs étrangères

Même les entreprises étrangères ne sont pas immunisées contre l’optimisme inconditionnel. Est-ce une nouvelle manifestation de la surabondance de liquidité ? Une anticipation de la normalisation des relations sino-américaines après quatre ans d’administration Trump ? Une confiance aveugle dans le rebond de la consommation mondiale ?

Toujours est-il que les valeurs chinoises ont connu elles aussi un début d’année en fanfare.

Sur la seule place new-yorkaise, les entreprises basées en Chine nouvellement cotées aux USA ont récolté en ce début d’année 11 Mds$. On notera par exemple l’arrivée au NYSE de RLX Technology (fabricant d’e-cigarettes), ou l’éditeur de logiciels Tuya.

Plus que le montant brut (qui représente tout de même la moitié des montants levés en Europe sur la période), c’est la valorisation de ces entreprises qui interroge.

Vous trouvez le PER de moyen de 14 de la Bourse de Shanghai un peu cher ? Celui de 24 de Wall Street délirant ? Sachez que l’indice Nasdaq Golden Dragon, qui regroupe les valeurs chinoises cotées au NYSE, affiche pour sa part un PER de 41.

Cela signifie que l’investisseur prudent qui « achèterait l’indice » aujourd’hui pour limiter son risque rentrerait, au rythme actuel, dans ses frais en 2062. Patience et chance seront de mise pour faire de ces valeurs un investissement rentable !

Le risque est d’autant plus important que l’administration américaine n’est pas revenue sur les mesures prises sous l’ère Trump qui imposent aux entreprises chinoises de se plier à des audits menés par des commissaires aux comptes américains suivant les GAAP (pratiques comptables en vigueur outre-Atlantique). A défaut, les sociétés risquent de se voir radiées du NYSE du jour au lendemain, et les investisseurs se retrouver avec des titres non-cotés, donc totalement illiquides, sur les bras.

De son côté, Pékin interdit la pratique pour des questions de souveraineté. Outre leur valorisation délirante, ces entreprises font ainsi peser à leurs actionnaires occidentaux un risque politique important.

La fin de la récréation n’a pas encore sonné

Les prochaines semaines nous diront si les investisseurs reviennent à des pratiques plus prudentes ou s’ils continuent à confier leur argent à quiconque le leur demande.

Les premières semaines de cotation de Deliveroo, durant lesquelles l’action a eu l’outrecuidance de ne pas monter verticalement ont donné quelques sueurs froides aux permabulls. En perdant 40% entre ses plus hauts et ses plus bas du mois d’avril, elle a rappelé qu’il reste encore des vendeurs sur le marché.

Pour autant, le climat des affaires reste au beau fixe et les projets d’IPO d’ampleur continuent d’affluer.

D’ici la fin de l’année, les opérateurs s’attendent à voir arriver à New York le groupe de divertissement Endeavor, l’entreprise d’articles du quotidien éco-responsables Honest Company (fondée par l’actrice Jessica Alba) et surtout Robinhood, la plate-forme en ligne bien connue qui a popularisé le day trading auprès des moins de 30 ans. Selon Bloomberg, sa valorisation pourrait à cette occasion atteindre les 50 Mds$ – une belle somme pour une entreprise condamnée par la SEC pour avoir trompé ses clients sur son business model, et qui a dû lever en urgence 3 Mds$ en début d’année pour éviter la faillite.

La Chine ne sera pas en reste, puisque Didi Chuxing, le Uber chinois, a déjà déposé son dossier d’IPO au NYSE auprès de la SEC. Sa valorisation devrait, quant à elle, s’établir entre 50 Mds$ et 70 Mds$ pour un résultat net 2020 atteignant péniblement le milliard de dollars.

Cet été encore, la finance-casino va s’en donner à cœur joie. Faites vos jeux, rien ne va plus !

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