La Chronique Agora

Les investisseurs individuels désertent les marchés boursiers

▪ Nous n’observons plus un "marché complaisant", nous vivons Alice au Pays des Merveilles ! Le rendement du 10 ans espagnol (2,57%) est tombé lundi sous celui des T-bonds américains (2,62%). Autrement dit, du BBB- ibérique se paye plus cher que du AAA made in Etats-Unis.

Des junk bonds d’émetteurs privés (risque de défaut élevé, restructuration imminente) se négocient avec 5% de rendement — c’est-à-dire avec une rémunération moindre que celle des subprime quand leur notation était au zénith… Autrement dit, du B- ou du CCC d’aujourd’hui rapporte moins que du AA d’il y a sept ans, et les rendements amorcent une nouvelle phase de chute libre depuis jeudi dernier.

La BCE semble avoir transformé le plomb en or, et cela se ressent également dans le vocabulaire des investisseurs. Ils n’achètent plus une créance pourrie mais une dette en cours de réhabilitation. De même, on ne parle plus d’une action qui se paye 50 fois les bénéfices… mais d’un titre dont le cours se situe en-deçà de son potentiel d’appréciation à moyen terme (on dit qu’elle a "de l’upside" pour faire plus chic).

Une charogne nauséabonde devient un bouquet de senteurs corsées ; un chat mort, ça vaut beaucoup d’argent… si on se donne la peine de l’empailler et de lui mettre collier en strass !

Les investisseurs invités par les médias financiers n’achètent plus des "actions" ou des "dossiers prometteurs" : désormais, ils achètent "du risque".

Ils remettent "du risque" dans leurs portefeuilles (c’est-à-dire dans les OPCVM que vous détenez)… Ils augmentent leur exposition sur les valeurs "à fort beta" (souriez, des PER de 35 vous feront le plus grand bien)… Ils jouent un "écrasement de la volatilité" appelé à se poursuivre inexorablement (plus de levier = plus de gain et plus aucun repli dans un avenir prévisible, cela coule de source).

Les banques centrales comme la Bundesbank demandent à rapatrier leur or des coffres américains et français.

Ce qu’elles ne savent pas, c’est qu’elles risquent fort de ne jamais revoir leurs lingots !

Découvrez pourquoi sans plus attendre : il pourrait y avoir de spectaculaires profits à la clé.

 

Il y a cinq siècles, ce haut clergé de la finance aurait vendu non pas du risque, mais des "indulgences"

▪ Indulgences et fausses liquidités
Il y a cinq siècles, ce haut clergé de la finance aurait vendu non pas du risque, mais des "indulgences". Cela consistait à plumer les fidèles crédules en leur faisant croire à l’approche de leur trépas que des dons en espèces à l’Eglise rachetaient leurs péchés.

Aujourd’hui, ils se projettent dans un au-delà de prospérité par la grâce de la protection divine des banques centrales. Elle va leur permettre de traverser les flammes de l’enfer (de la déflation, de la paupérisation générale, de l’écrasement des marges) sans même que cela fasse rougir leurs joues.

Cette confiance qui s’appuie sur l’air du temps — et des tombereaux de fausses liquidités virtuelles — se traduit par une culmination du VIX, le célèbre "indice de la peur et de l’avidité", à 92 (sur une échelle de 100) contre 78 à la veille de la conférence de la BCE jeudi dernier.

Un score supérieur à 92 n’a été observé qu’à deux reprises depuis le début du 21ème siècle: en octobre 2007 puis en mars 2012. L’indice de l’avidité avait alors culminé à 94, égalant le précédent record de mai… 1987.

Lors de ces trois culminations historiques, la participation du grand public était massive ; les records s’appuyaient sur des flux d’investissement colossaux de la part des particuliers.

▪ Aujourd’hui, il n’y a plus personne…
La cathédrale de la finance est déserte (à part une poignée d’archevêques regroupés devant l’autel de la Fed) et ce n’est pas une image.

Le marché se résume à l’intervention de quelques centaines d’acheteurs : de richissimes family offices, des fonds souverains, des banques d’investissement équipées de super-robots. Ils jouent tous la même partition avec les banques centrales à la baguette — ou plutôt à la manette de l’imprimante à billets.

Il n’y a plus de contrepartie solvable : les big players sont condamnés à se revendre entre eux des milliers de milliards d’actifs gonflés à l’hélium, dans le cadre d’une fuite en avant où aucune correction ne peut être tolérée.

Tous les initiés savent que l’effet richesse ne fonctionne pas et que les fausses liquidités ne se diffusent pas dans l’économie réelle

Tous les initiés savent que l’effet richesse ne fonctionne pas et que les fausses liquidités ne se diffusent pas dans l’économie réelle — mais débouchent sur une hyperinflation des actions et des dettes souveraines.

Une statistique en dit plus long qu’une savante démonstration : la part des actifs financiers détenus par des investisseurs particuliers aux Etats-Unis (en direct ou au travers d’OPCVM ou de fonds de retraite) est tombée à 37%, au plus bas depuis le milieu des années 70. Les quelques milliers de riches et ultra-riches de la planète possèdent plus de 63% du stock et ont poussé les valorisations vers des niveaux stratosphériques : qui souhaite les en soulager à ce prix ?

J’entends de nombreux stratèges affirmer qu’à force de voir les cours ne plus jamais rebaisser, les épargnants non-avertis finiront par venir miser leurs économies dans ce casino de l’absurde "où l’on gagne à tous les coups"… ce qui signera la fin de la hausse.

Comme d’habitude.

Ils ont raison : combien de fois avons-nous vu le prix des Picasso, des Modigliani, des sculptures de Giacometti se mettre à chuter lorsque les retraités de l’éducation nationale ou les infirmiers de l’assistance publique sont venus en masse faire exploser les enchères chez Christie’s ou Sotheby’s !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile