Il semble logique de se préparer à la facturation des dépôts à vue, le temps d’y préparer les esprits |
▪ J’ai récemment été invité à m’exprimer lors d’une conférence sur les perspectives monétaires ouvertes par les politiques expérimentales des banques centrales. Suite à mon intervention, quelques participants m’avaient interpellé au sujet du risque de ponction sur les liquidités inemployées détenues en banque à un horizon de six mois à un an. Les rendements étant négatifs sur pratiquement un tiers des émissions obligataires achetables sur le marché secondaire en Europe et le taux de prise en pension de la BCE étant fixé à 0,2%, il semble logique de se préparer à la facturation des dépôts à vue, le temps d’y préparer les esprits.
Cette conférence se tenait à Genève début décembre 2014 ; les taux helvétiques n’étaient alors négatifs que d’un mois à sept ans. Quatre mois plus tard, les emprunts à 10 ans coûtent désormais de l’argent à ceux qui en prêtent à la Confédération. Cependant, c’est un sacrifice que de nombreux investisseurs étrangers sont heureux de consentir pour avoir le privilège de détenir une devise capable de prendre 20% en quelques secondes un certain 15 janvier… et qui devrait continuer de s’apprécier dans un contexte où une dizaine de pays occidentaux s’acharnent à détruire la valeur de leur monnaie pour ne pas se laisser distancer par le Japon.
▪ Vers quoi se tourner ?
Sachant que j’avais en face de moi des investisseurs avertis privilégiant les actions (rendement relatif oblige) et l’immobilier (qui ne se désintègre pas en quelques secondes pour cause de "flash krach", sauf explosion au gaz), le questionnement de mes interlocuteurs concernait des pistes de placements alternatifs comportant aussi peu de risque que possible et des espoirs de plus-values raisonnables.
"Les résultats du suivi de vos conseils sont les suivants: +39,51% en 3 mois… +45% en 5 mois… +20% en 1,5 mois… +170% en 5 mois !" De quels conseils parle ce lecteur comblé… et comment faire pour engranger le même genre de performances que lui ? |
Dans un contexte de liquidités surabondantes et de stratégie délibérée de destruction de la valeur de la monnaie, il apparait logique de se tourner vers les métaux précieux (l’or et l’argent ne s’impriment pas et on extrait de moins en moins)… Nous savons tous, toutefois, que les quantitative easings n’atteignent aucun des buts qui leur sont assignés dans l’économie réelle : ni croissance, ni inflation, ni création d’emplois rémunérateurs et pérennes.
S’il n’y a pas d’inflation, acheter de l’or pour s’en prémunir ne sert à rien |
S’il n’y a pas d’inflation (faute de hausse des salaires réels depuis six ans), acheter de l’or pour s’en prémunir ne sert à rien.
Les 1% — ou plutôt les 0,1% — les plus riches convertissent leurs liquidités en parts d’entreprises. Le prix payé et le rendement leur importent au fond assez peu car si la monnaie se désintègre, le savoir-faire, l’outil industriel, le patrimoine immobilier demeureront.
▪ L’emploi en trompe-l’oeil
Une entreprise a cependant besoin de clients et la course à la profitabilité maximum aboutit à la destruction de salariés. Si les Etats-Unis se vantaient jusqu’en février de créer 3,3 millions d’emplois par an, cela revient en fait à entériner le fait de laisser sur la touche 500 000 citoyens en capacité de travailler.
L’expansion naturelle de la démographie américaine requiert la création de 3,8 et 4 millions d’emplois, juste pour stabiliser le taux de population active. Il faudrait 330 000 à 350 000 postes supplémentaires par mois (et non 275 000, un chiffre largement surestimé en réalité par le BLS comme nous l’avons constaté en mars) pour que la machine économique s’alimente d’une demande intérieure solide.
Donc si les riches et ultra-riches se gavent d’actions, même sans espoir de hausse des bénéfices, même sans croissance à moyen terme (la multiplication des OPA et fusions prouve que les initiés savent que les QE ne revitaliseront pas l’économie, l’exemple du Japon le démontre) — c’est qu’ils sont mus par d’autres motivations.
Ils ne peuvent pas compter sur les banques centrales pour faire grimper éternellement les cours de bourse et les émissions obligataires souveraines avec de la fausse monnaie. Cela ne se peut pas alors que les valorisations sont déjà vertigineuses.
C’est une fuite en avant qui s’achèvera par un chaos financier total |
Nous percevons tous que c’est une fuite en avant qui s’achèvera par un chaos financier total — aussi total que la déconnexion par rapport à l’économie réelle.
▪ Les banques centrales, décidées à aller jusqu’au bout
La Fed, la Banque du Japon, la banque centrale chinoise et maintenant la BCE alimentent sciemment des bulles dont il devient impossible d’orchestrer le dégonflement en douceur. Janet Yellen est l’otage des marchés et d’une conjoncture qui s’étiole pour cause de hausse du dollar. Un premier resserrement monétaire est déjà repoussé à début 2016… Encore quelques mauvais chiffres du côté de la consommation et de l’emploi US et la Fed ne tardera pas à envisager un QE4 !
Les banquiers centraux ont clairement choisi d’aller jusqu’au bout dans leur tentative de dissoudre les dettes frauduleuses des années 2004/2007 avec encore plus de dette frauduleuse. Des émissions de liquidités qui ne correspondent à aucune contrepartie tangible dans l’économie réelle : ni investissement, ni soutien à la consommation… elles se transforment en pure bulle financière.
C’est la Chine qui repousse les limites du connu en matière de mauvaises créances et d’excès spéculatifs |
De ce point de vue, c’est la Chine qui repousse les limites du connu en matière de mauvaises créances et d’excès spéculatifs.
Les Chinois se ruent en bourse par millions chaque mois. Ils prennent des leviers vertigineux : le PER des ETF les plus traités au quotidien dépasse souvent les 100 et va même jusqu’à 220 comme le soulignait Simone Wapler vendredi dernier dans sa Stratégie.
Il faudra tout refonder, repartir du zéro de la faillite globale de la "monnaie-dette" |
▪ Quand la crise arrivera…
Si la bulle de dette explose — peu importe que la déflagration initiale se produise en Chine, au Japon ou en Tasmanie –, le système financier tel que nous le connaissons se désintègrera. Les banques centrales avoueront que la situation leur a échappé, les Etats constateront leur insolvabilité, les rentiers seront virtuellement ruinés. Il faudra tout refonder, repartir du zéro de la faillite globale de la "monnaie-dette".
Les entreprises traverseront une crise, probablement sévère, le temps qu’un nouveau système monétaire bâti sur un panier de matière premières et de métaux précieux émerge (il faudra bien continuer de verser de l’argent aux retraités, aux fonctionnaires, aux policiers, aux forces armées…) mais globalement, si les dettes n’affichent plus que 50% de leur valeur actuelle, les actifs des entreprises (la notoriété de la marque, le patrimoine immobilier, l’outil industriel, les brevets, etc.) n’en auront que plus de valeur. Ce sera même la seule valeur qui survive à l’ancien monde — peu importe la devise dans laquelle elle sera exprimée.
Une pléthore de multinationales se retrouveront plus fortes que beaucoup d’Etats, en mesure de dicter leurs conditions aux politiques et peut-être aux banques centrales qui se retrouveront alors totalement discréditées.
Voilà peut-être la vision de ceux qui payent n’importe quel prix pour détenir des actifs tangibles… car tout vaut mieux que de détenir une créance qui ne correspond qu’à une inscription numérique susceptible d’être rayée d’un clic de souris.