La Chronique Agora

Investir dans l’art contemporain avec les NFT : opportunité ou mode passagère ?

NFT investissement

Le monde de l’art a rejoint l’an dernier celui des cryptomonnaies grâce à un nouvel outil, les NFT. Serait-ce l’occasion d’investir dans des œuvres à l’avenir aussi brillant qu’une toile ou sculpture de maître ?

Bill Bonner nous a mis en garde il y a presque un an maintenant : les NFT (non-fungible tokens) sont une des nouvelles lubies des marchés. Depuis, ils ont envahi de nombreux domaines : le sport, les jeux vidéo, le cinéma, la mode et jusqu’aux réseaux sociaux.

Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, a ainsi vendu son tout premier message posté sur le réseau social le 21 mars 2006, pour 2,9 M$ en s’appuyant sur la technologie des NFT. L’année dernière ont également été vendus sous forme de NFT le premier SMS de l’histoire, la toute première page éditée sur Wikipédia ou encore le code source à l’origine du Web.

Rien d’étonnant alors que le monde de l’art contemporain, toujours à la recherche d’originalité et de démesure, s’en soit emparé.

Les NFT, un moyen de créer de la rareté

Avant toute chose, rappelons ce que sont les NFT. Traduits en français, les non-fungible tokens deviennent des « jetons non fongibles ». Avouons que cela ne nous éclaire pas vraiment !

En fait, il s’agit ni plus ni moins d’un certificat infalsifiable prouvant l’authenticité et le caractère unique de ce que vous achetez – généralement un fichier numérique – grâce à la blockchain. Alors qu’une pièce d’un euro peut être remplacée par une autre pièce de la même valeur, ou qu’un Bitcoin vaut un autre Bitcoin, un NFT est unique et ne peut pas être substitué à un autre NFT. Euro et Bitcoin sont fongibles – c’est-à-dire interchangeables – quand le NFT ne l’est pas.

Le numérique permet la reproduction à l’infini d’un même fichier : une photo peut être envoyée par celui qui l’a prise à autant de personnes qu’il le souhaite, et celles-ci peuvent à leur tour transmettre le document à leurs relations.

Au final, des dizaines, des centaines, voire des millions de personnes sont susceptibles de détenir la même photo. Rien ne permet de distinguer la photo originale de ses copies et tous les exemplaires ont la même valeur, en générale nulle. C’est un problème pour les artistes qui utilisent le numérique.

Prenons l’exemple de l’« art vidéo », apparu dans les années 1960 avec le Coréen Nam June Paik qui, aidé par le Japonais Shuya Abe, inventa un des premiers synthétiseurs vidéo lui permettant de coloriser, déformer, modifier des images préalablement filmées. Démocratisé dans les années 1980 quand le matériel pour filmer et monter est devenu plus accessible, l’art vidéo n’utilise plus aujourd’hui ni bobines ni cassettes, mais des disques durs ou des cartes mémoire et s’appuie sur les dernières techniques numériques.

Un art sans prix

L’art vidéo est aujourd’hui entré dans les musées d’art contemporain et chez les grands collectionneurs tels François Pinault. Dans le classement d’Art Index des artistes les plus importants de l’art contemporain, quatre artistes vidéastes apparaissent dans le top 10 : Bruce Nauman, Cindy Sherman, William Kentridge et Pipilotti Rist.

Néanmoins, s’il a ses « stars », l’art vidéo n’a jamais atteint les records de la peinture ou de la sculpture contemporaines. Des œuvres d’artiste connus peuvent être vendues 4 ou 5 M€ dans les galeries ou les foires d’art contemporain.

En revanche, l’art vidéo est quasiment absent des ventes aux enchères, là où se font les cotes et les prix astronomiques. Pourquoi ? Essentiellement parce les éventuels acheteurs craignent que l’œuvre ait pu être reproduite et qu’il en existe une foultitude d’exemplaires. Ainsi, selon Artprice, l’art vidéo ne représente-t-il que 0,3% des recettes du marché de l’art, tous domaines confondus (chiffre de 2017).

Ce qui vaut pour l’art vidéo vaut pour tout l’art numérique, catégorie de l’art contemporain dont les processus et les œuvres utilisent les nombreuses technologies digitales pour la création, mais aussi comme support.

L’arrivée des NFT est donc une vraie révolution pour l’art numérique. Le spécialiste de l’art contemporain Noah Davis de Christie’s affirme que « l’art basé sur les NFT est sur le point de devenir la prochaine force réellement disruptive dans le marché de l’art ». Ils permettent, en effet, de créer de la rareté là où, auparavant, il y avait soupçon de multitude. Et qui dit rareté dit cherté !

Comme le dit l’artiste Beeple, « des artistes utilisent du stockage de données et des logiciels pour créer de l’art et le diffuser sur Internet depuis plus de vingt ans, mais il n’y avait pas de véritable moyen pour le posséder et le collectionner. Avec le NFT, s’ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de l’art numérique » (cité par Les Échos, 20 mars 2021).

Le marché de l’art contemporain s’affole

C’est ce qui explique que le même Beeple ait vu l’une de ses œuvres, Everydays: the First 5000 Days, un collage numérique de 5 000 dessins réalisés entre le 1er mai 2017 et le 7 janvier 2021, être vendue par Christie’s en mars 2021 pour la somme de 69,3 M$.

En l’espace de quelques instants, Beeple, presqu’inconnu jusqu’alors, a été propulsé sur le podium des artistes vivants les plus chers aux côtés de David Hockney et Jeff Koons !

Une adjudication record qui n’a, en réalité, pas grand-chose à voir avec l’œuvre elle-même – une suite de dessins qui n’a, pour ceux qui l’ont vue, rien de géniale – mais qui repose entièrement sur le NFT qui lui est associée.

Ce « jeton » contient, en effet, des informations pérennes et inviolables sur l’auteur de l’œuvre et son propriétaire, mais aussi des détails techniques et financiers assurant sa traçabilité et son authenticité. Un jeton qui permet également de prévoir, pour l’artiste, un droit de suite fixé à l’avance et versé automatiquement au moment des reventes successives sur la blockchain.

On comprend que l’édition 2021 d’Art Basel Miami qui s’est tenue en décembre dernier ait pu consacrer un espace aux NFT. Ou qu’ArtReview, qui publie chaque année un palmarès des personnalités des plus influentes du monde de l’art, ait propulsé les NFT en tête de son classement 2021 ! Ou encore que, vendredi 14 janvier dernier, un « NFT Museum » ait été inauguré à Seattle.

Néanmoins, les NFT restent encore marginaux dans le monde de l’art. Chez Artprice, on a comptabilisé en 2021 « 265 ventes aux enchères publiques de NFT d’art pour un montant de 227 M$, soit 1,5% du produit des enchères de Fine Art dans le monde ». Le site internet nonfungible.com estime le marché à plus d’un milliard de dollars en 2021. Ce qui est sûr, c’est que les NFT ont dopé le marché de l’art en ligne où ils représentent déjà un tiers des montants échangés.

Un art… tout en virtualité

Vous l’aurez compris, si vous souhaitez acheter une œuvre d’art numérique certifiée par NFT, il vous faudra vous rendre sur le Net.

Ce qui est sûr, c’est que vous n’en trouverez pas dans une vente aux enchères publiques en France, qui sont réservées à la vente de biens corporels. De nombreuses plateformes internet se sont spécialisées, comme KnownOrigin, SuperRare, OpenSea, Rarible, etc.

Les maisons Sotheby’s et Christie’s ont également créé leur propre plateforme. Elles permettent d’acheter, mais aussi de revendre. En effet, les propriétaires se séparent de leur NFT, « en moyenne, au bout de 63 jours » (Les Échos, 11/01/2022).

Il vous faudra également détenir un portefeuille de cryptomonnaies, les transactions se faisant presqu’exclusivement de cette manière, et en grande partie avec Ethereum.

Vous aurez également compris qu’il vous faudra débourser d’énormes sommes d’argent, puisque les échanges sont hautement spéculatifs et boostés par les milliardaires de la tech qui souvent se cachent derrière des pseudonymes. Le marché est devenu inaccessible pour le commun des mortels. Peut-être le deviendra-t-il à la faveur du krach que certains « experts » prédisent pour bientôt ?

Quoi qu’il en soit, les pièges ne sont pas absents des NFT. Des œuvres ont été mises en vente sous la signature d’artistes sans leur consentement ; d’autres ont été piratées ; des jetons ont été volés.

On assiste aussi parfois à des transaction fictives (wash trading) où un investisseur revend une de ses pièces à… lui-même pour faire grimper artificiellement la valeur de celle-ci. Par ailleurs, rien n’empêche un artiste de faire plusieurs exemplaires de la même œuvre et de vendre chacun d’eux comme unique : ils auront effectivement tous un jeton différent. Chaque œuvre sera bien unique, mais il y aura en quelque sorte plusieurs « uniques ».

Enfin – et ce n’est peut-être pas le moindre défaut des NFT aux yeux des amateurs d’art – il faudra vous résoudre à détenir vos œuvres sur support numérique. Pas d’accrochage possible sur les murs de votre salon, si ce n’est par le truchement d’un écran.

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