La Fed cherche à faire remonter l’inflation aux Etats-Unis : une manœuvre positive à moyen terme… mais gare au long terme !
La chaîne CNBC nous apprend que les Etats-Unis ont créé 266 000 emplois en novembre, contre 187 000 attendus.
Il est de plus en plus clair que la conjoncture américaine n’a nul besoin de stimulant monétaire. Les chiffres de l’emploi qui viennent d’être publiés en attestent, si besoin était.
La Fed assouplit sa politique monétaire en réponse d’une part aux alertes boursières de la fin 2018 et d‘autre part pour répondre à la raréfaction internationale du « dollar ».
Ceci est manifeste dans les colossaux besoins de refinancement au jour le jour exprimés sur le marché des repos par la communauté spéculative en levier.
Les actions de Jerome Powell n’ont pas les effets positifs espérés ; elles ne semblent pas améliorer la situation des blocs en dehors des Etats-Unis, qu’il s’agisse du bloc chinois ou du bloc européen. En conséquence, cela entretient la fermeté non désirée du dollar… et Donald Trump n’est pas content !
Mais il y a peut-être plus à creuser et à considérer, à la lueur de propos peu analysés des gouverneurs.
Un combat à la Don Quichotte
L’une des hypothèses que l’on peut avancer est que la banque centrale US a finalement perdu sa peur de l’inflation. Elle se serait ralliée à l’idée d’une inflation durablement maîtrisée – et donc sans risque.
Les échecs répétés de prévision d’un rebond imminent à +2% ont fini par faire croire que la mondialisation, l’automatisation et la « dévastation du travail syndiqué » sont des mouvements séculaires qui plaident pour une réduction tendancielle spontanée de l’inflation.
Les gouverneurs de la Fed ont maintenant compris que la lutte contre l’inflation était un combat contre les moulins à la Don Quichotte, que la limite de 2% était trop basse ; ils ont défini, sans l’exposer, une nouvelle stratégie.
Sur le plan opérationnel, la première étape est celle que Powell a clairement indiquée le 31 octobre :
« Il faudrait une inflation significative et persistante au-dessus de la cible des 2% pour justifier une réponse. »
En clair on ne montera pas les taux, même si l’inflation passe au-dessus de 2%.
« Je pense donc qu’il faudrait que nous assistions à une augmentation très significative et persistante de l’inflation avant d’envisager même d’augmenter les taux pour lutter contre l’inflation. »
C’est follement dovish, accommodant. C’est passé inaperçu. Je l’ai signalé mais sans insister à l’époque.
La deuxième étape de la stratégie est encore plus dovish.
Lael Brainard, membre du conseil des gouverneurs de la Fed, a appelé il y a quelques jours à un changement complet du cadre global de la Réserve fédérale en faveur d’un ciblage flexible de l’inflation moyenne.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Elle a déclaré que l’inflation tendancielle était tombée en dessous de 2% et qu’il était nécessaire de modifier le cadre afin de relever ce chiffre.
Le retour de l’inflation
La Fed se prépare à changer tout son cadre opérationnel et même philosophique. C’est obscur, bien sûr… mais l’objectif, lui, ne l’est pas. Il s’agit d’accepter une inflation supérieure à 2% d’une part, et pendant plus longtemps d’autre part.
Bref, il faut ranimer les anticipations inflationnistes et les alimenter.
Donc, au lieu de viser une inflation de 2% à moyen terme, la Fed visera une inflation moyenne de 2% sur le long terme.
Comme l’a dit Brainard :
« Par exemple, après cinq ans, lorsque le public a observé des résultats d’inflation de l’ordre de 1-1,5% à 2%, afin d’éviter une baisse des attentes, le Comité visera des résultats d’inflation allant de 2% à 2,5% pour les cinq années suivantes afin d’obtenir des résultats en matière d’inflation de 2% en moyenne. »
Si vous aviez appliqué ce raisonnement aux dernières années, la Fed n’aurait jamais relevé les taux directeurs en 2018, car ceux-ci ont connu une longue période d’inflation sous-jacente inférieure à 2%. Au lieu de cela, la Fed aurait laissé courir l’inflation à 2,5% pendant une période prolongée.
Il est important de noter qu’il ne s’agit que d’un changement proposé.
Le président de la Fed de Dallas, Robert Kaplan, a pesé en faveur de cette révision.
« Je suis ouvert à l’idée d’envisager, en ce qui concerne l’inflation, une période moyenne supérieure à 12 mois. A l’heure actuelle, l’horizon d’inflation a une durée inférieure à 12 mois. Je pense qu’une analyse qui nous donne l’occasion d’examiner l’inflation sur une période plus longue que 12 mois, et qui prend en compte les sous-emplois et les excédents, est souhaitable.
Je ne suis cependant pas disposé à prendre un engagement quant à la manière dont nous allons agir – notre jugement sera fondé sur cette analyse ».
Des répercussions négatives sur les actions
Le marché le plus exposé dans ce scénario inflationniste est celui des obligations à long terme. Les taux d’intérêt bas resteront bloqués plus longtemps, certes, mais les perspectives d’inflation seront haussées et avec risque de dérapage.
Une fois que ce changement aura eu lieu, vous aurez essentiellement fixé un plancher aux taux à long terme, ce qui aura des répercussions négatives sur les prix des autres actifs tels que les actions. Le dollar américain sera lui aussi concerné, mais dans un sens positif cette fois.
A l’heure actuelle, le marché est entièrement axé sur les aspects positifs à court terme de cette stratégie. Cependant, à un moment donné, si le succès à long terme se dessine, la nervosité se manifestera.
Affaire à suivre de très très près.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]