La Chronique Agora

Une insupportable inflation, et des facteurs aggravants

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Combien de temps nos opinions publiques vont-t-elles supporter que l’Europe soit soumise à une vague de paupérisation et de pénuries sans précédent ?

C’était il y a trois mois, jour pour jour, le 7 mars dernier : le baril de pétrole brut WTI effectuait sa première incursion au-delà des 120 $, pour la première fois depuis la mi-août 2008.

Un zénith à 121 $ le 5 juin constituait le second score le plus élevé, après les 123,7 $ du 8 mars.

Bon retour de week-end

Les Français partis en voiture ou en camping-car profiter du weekend de la Pentecôte ont eu la surprise de voir en revenant le prix du diesel s’inscrire au-delà de 2,2 € ce lundi 6 juin, et le sans plomb 98 passer allègrement la barre des 2,5 € dans de nombreuses de stations-services sur les autoroutes françaises.

Cela signifie qu’en rajoutant les 18 centimes de détaxe consentis par l’Etat, le litre d’essence coûte plus de 2,7 € le litre.

Cela va tellement vite que les Français sont comme K-O debout : avec un litre de gazole valant 1 € de moins il y a trois ans, les gilets jaunes envahissaient des milliers de ronds-points.

Le prix d’un litre de sans plomb 98 ou de diesel « excellium » vaut donc aujourd’hui 1 € de plus que le 1er janvier dernier, et le double des 1,32 € du 7 juin 2020 (le gazole était alors affiché à 1,20 € en moyenne).

Mais les Français sont loin d’être le plus mal lotis, puisque le litre de gazole tutoie les 2,50 € en Allemagne et dépasse allègrement les 2,60 €dans les pays scandinaves.

Si en France, les éditorialistes jouent à nous faire peur en prédisant le litre de sans plomb à 3 €, c’est déjà une réalité en Norvège (les carburants sont hyper-surtaxés pour contraindre au basculement vers les véhicules électriques) et il ne manque qu’une dizaine de centimes au Danemark.

Un sacrifice justifié ?

Et les automobilistes européens encaissent sans broncher : partout s’impose le syndrome « choc et effroi » qui paralyse – pour le moment – toute velléité de protestation.

Même les transporteurs professionnels avec leur flotte de centaines, voire de milliers, de camions circulant à travers l’Europe n’ont encore pas déclenché d’opérations escargot, ou le blocage des raffineries pour protester contre un carburant trop cher.

Combien cette neutralité – ou cette hébétude – va-t-elle perdurer ?

L’argument que la défense de la démocratie en Ukraine justifie des sacrifices ne suffira pas pour que les Européens se tiennent tranquilles au-delà des premières faillites d’entreprises de transport, de compagnies exploitant des bus de tourisme, ou de chauffeurs indépendants.

Les citoyens européens commencent à réaliser que le prix des carburants n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’ailleurs, 40% s’en moquent, puisqu’ils ne possèdent pas de véhicules particuliers (c’est le cas de 70% des habitants de Paris, et c’est vrai dans d’autres métropoles du continent dont les maires ont aussi déclenché leur propre « guerre à la bagnole »).

Il n’y a pas que l’essence

Le problème, c’est la hausse de l’énergie en général : les producteurs d’engrais azotés (le fameux ANFO qui provient d’une synthèse chimique du gaz naturel) ont constaté dès le mois d’avril que le prix de leurs produits avait atteint « le seuil de douleur ».

Le prix de la tonne est passé de 180 € fin 2021 à 900 € et plus désormais, provoquant un effondrement de la demande.

Mais le coût de production de son côté ne retombe pas : il n’illustre pas un phénomène de stockage spéculatif qui aurait fait flamber les prix (comme au printemps 2008). Même constat pour le coût de production du ciment, du carrelage, de l’acier… de la plupart des composants d’un bâtiment.

Se nourrir et se loger va – bientôt – coûter vraiment beaucoup plus cher, le temps que les stocks existants soient épuisés, les consommateurs bénéficiant encore d’une certaine inertie des prix : c’en sera terminé cet automne.

Tel n’est pas le cas des carburants, car les géants pétroliers sont beaucoup plus « réactifs » et se montrent particulièrement prompts à répercuter l’évolution du prix spot à Rotterdam, lorsque cette évolution se fait à la hausse.

L’Ukraine a bon dos dans l’histoire, car le boycott du pétrole russe au prétexte que ce pays est l’agresseur de son voisin est une décision purement politique qui n’a curieusement jamais été opposée à l’Arabie saoudite – qui, pour le coup, a déclenché une vraie guerre d’extinction par voie aérienne contre le Yémen (les estimations vont de 200 000 à 400 000 victimes en 6 ans et demi), y associant un blocus de fer sur la nourriture et les médicaments.

L’Arabie monte les prix

Et alors que l’Europe se retrouve contrainte de se tourner vers l’Arabie saoudite, cette dernière pousse aujourd’hui le cynisme de consentir verbalement à augmenter sa production (c’est difficilement vérifiable) tout en augmentant brutalement ses tarifs (de 2,1 $ à 6,5 $ le baril, selon la qualité) à destination des pays asiatiques qui n’achètent pas le pétrole russe (qualité « Oural »), comme le Japon.

L’Arabian Light, son produit phare, nous est ainsi vendu de 2,10 $ à 4,50 $ de plus par baril que les références d’Oman ou Dubai.

Le seul client qui échappe à ces hausses opportunistes de tarifs saoudiens est – devinez… – les Etats-Unis !

Ces mêmes Etats-Unis qui sont à l’origine de la stratégie de boycott du pétrole russe par les Européens… lesquels n’ont jamais envisagé de boycotter le pétrole de l’agresseur saoudien sur son voisin yéménite.

Contrairement à l’Ukraine, le Yémen est seul face à un adversaire incommensurablement plus puissant… mais ce fait n’émeut pas grand monde : le Yémen ne produit pas de pétrole.

C’est peut-être même le seul pays du Proche-Orient qui n’a rien à craindre de la pénurie de blé provenant de Russie et d’Ukraine : cela fait six ans que ce pays subit une famine noire qui tue chaque année des dizaines de milliers de civils bien plus efficacement qu’un tir de missile sur une cérémonie de mariage.

Après nous avoir asséné que « il faut accepter de payer notre énergie très cher, pour punir les russes pour l’agression de l’Ukraine », les mêmes beaux esprits nous expliqueront-ils qu’il « faut payer son pétrole plus cher à l’Arabie saoudite pour l’encourager à cesser sa guerre au Yémen » ?

Combien de temps nos « opinions publiques » vont-t-elles supporter que l’Europe soit soumise à une vague de paupérisation (par l’inflation) et de pénuries sans précédent (par les embargos) au nom d’un « deux poids, deux mesures » d’un cynisme insondable ?

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