La Chronique Agora

Eprouver l’injustice, est-ce nécessaire pour savoir ce qui est juste ? (Sujet du bac de philo 2018, série S)

injustice

Minorités, handicapés, chômeurs, pauvres et malades, beaucoup de personnes souffrent et se sentent victimes. Leur souffrance est éprouvée comme une injustice : « Pourquoi moi ? »

Il est vrai que le sentiment d’injustice est universel et qu’il éveille notre conscience morale, privilège de notre humanité. Mais il n’est pas rare de confondre l’émotionnel avec la raison. Eprouver l’injustice relève du sentiment. Savoir ce qui est juste relève de la raison, du jugement rationnel. Dès lors, si le fait d’éprouver l’injustice est bien un signe d’alerte à prendre en compte, est-il un critère suffisant pour établir la vérité morale d’un acte ?

Si je suis malheureux et que je souffre, cela ne veut pas dire automatiquement que je subis une injustice. Je peux tout à fait être responsable de mon malheur. Ou bien peut-être que le responsable n’est pas celui que je crois.

Aussi devons-nous rester sceptiques à l’égard du phénomène contemporain de la victimisation. Suffit-il d’éprouver de la compassion pour accorder des nouveaux droits, redistribuer des richesses, réparer des torts ? Tentons d’y voir plus clair.

Toute inégalité est-elle une injustice ?

La philosophie marxiste, fondée sur la lutte des classes, a fait de l’oppression ou de l’exploitation la prémisse d’une réflexion sur l’histoire. Selon Marx l’inégalité économique serait nécessairement le signe d’une injustice, d’une forme d’exploitation de la part de la classe dominante.

Mais qu’en est-il de la liberté pour les individus d’affirmer leurs différences, leurs particularités et donc aussi leurs inégalités ? L’inégalité naturelle des caractéristiques physiques et mentales est ce qui rend possible la division du travail et donc l’augmentation de la productivité. Tenter de l’abolir serait non seulement injuste, au regard de la liberté, mais aussi inefficace et nuisible en termes de progrès économique. Ainsi en punissant les individus les plus productifs, on les incite à s’exiler. La richesse disparaît et il ne reste que des déficits et des impôts.

Comme l’explique le philosophe et économiste Friedrich Hayek, l’égalité devant la loi et l’égalité des richesses ne sont pas compatibles :

« Du fait que les gens sont très différents, il s’ensuit que, si nous les traitons également, le résultat doit être l’inégalité dans leur position actuelle et que la seule façon de les placer dans une position égale serait de les traiter différemment. L’égalité devant la loi et l’égalité matérielle sont donc non seulement différentes mais en conflit les unes avec les autres ; et nous pouvons atteindre l’un ou l’autre, mais pas les deux en même temps. L’égalité devant la loi que requiert la liberté conduit à l’inégalité matérielle. »
(La constitution de la liberté, 1960)

C’est lorsque les inégalités sont décidées selon un plan conscient, et que les individus ou groupes favorisés le sont par l’autorité politique, au lieu de provenir du processus impersonnel du marché et des contingences de la vie, que l’on peut parler d’injustice.

Du juste et de l’injuste en raison

C’est le rôle de la philosophie morale que d’identifier les normes universellement justes ou injustes. Une philosophie politique a pour objet de définir ce qui est juste dans nos rapports avec autrui, en particulier dans l’exercice du pouvoir. Et comme le pouvoir est par définition l’usage de la force, la question politique revient donc à ceci : quelles sont les choses que les hommes ont le droit de s’imposer les uns aux autres par la force ?

Est légitime toute contrainte qui découle de la nature des choses : les lois physiques et biologiques, mais également celles qui découlent de la nature humaine, les contraintes morales, celles que nous nous imposons à nous-mêmes (devoirs), et celles qui découlent de la nature sociale de l’homme et de sa propension à échanger : contraintes juridiques (droits individuels) et contraintes économiques (contrats, concurrence, prix, incertitude).

En revanche toute contrainte est illégitime, et par suite injuste, quand elle agit par la menace ou par la violence arbitraire et quand elle annule la liberté de choisir et de disposer de soi, qui est une condition nécessaire de l’acte moral. Et ceci vaut autant pour les individus que pour les gouvernements, qui ne sont que des associations d’individus, n’ayant pas d’autres droits que les droits des individus qui les composent. Cette contrainte illégitime est appelée la coercition. Il s’agit de l’emploi de la violence pour forcer une action ou un échange.

Nous avons un bon exemple d’une norme non rationnelle, donc injuste en soi, dans le « droit au logement ». Ce faux droit consiste à revendiquer un logement aux frais de la société en méconnaissant que les autres ont également des droits. Pour que je puisse acquérir gratuitement un logement il faut que quelqu’un paie pour moi. Et si c’est l’Etat qui paie, puisqu’il ne produit pas de richesses, il ne peut le faire qu’en prenant un logement à quelqu’un, ou son équivalent, pour me le donner. Le prétendu « droit au logement » conduit donc toujours à violer les droits des autres.

Il en va de même pour le « droit au travail » et tous les « droits-créances » ou droits économiques et sociaux, dont on a affublé les déclarations des droits depuis un siècle. Le fait de licencier par exemple, est le refus pacifique de prolonger un échange. Il ne s’agit pas d’une coercition, au sens que nous avons défini plus haut car il n’y a pas de « droit à garder un emploi ». Ce prétendu droit serait en contradiction flagrante avec le droit de propriété que l’employeur détient sur son capital.

Le droit ne peut pas s’adosser à des sentiments

L’injustice peut produire un sentiment et une révolte. Mais cela ne suffit pas à établir la réalité de l’injustice.

Encore faut-il raisonner en s’appuyant sur de solides principes philosophiques. Une société juste est une société dans laquelle les droits de propriété sont intégralement respectés, c’est-à-dire protégés contre toute ingérence de la part d’autrui, individu ou Etat.

« Le Droit collectif a donc son principe, sa raison d’être, sa légitimité dans le Droit individuel », écrit Frédéric Bastiat. Et il ajoute : « comme la Force d’un individu ne peut légitimement attenter à la Personne, à la Liberté, à la Propriété d’un autre individu, par la même raison la Force commune ne peut être légitimement appliquée à détruire la Personne, la Liberté, la Propriété des individus ou des classes. » (La Loi).

Damien Theillier

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