▪ Nous voilà à Manhattan. Cela ne ressemble guère à une jungle urbaine. Il fait trop froid. Après une brève excursion à l’extérieur, il faut se réchauffer auprès d’un bon feu artificiel, avec un café… ou, après 19h… un verre de whisky. La brume extérieure se lève alors assez pour réfléchir au "bavage" et autres énigmes philosophiques.
Personne ne veut en baver. Et personne ne veut posséder un actif dans un secteur qui en bave. C’est pourtant généralement la meilleure chose à acheter.
L’être humain n’est pas fait pour être bon investisseur. Cela va à l’encontre de ses instincts les plus basiques. A la fin d’une bataille, il veut être encore debout, tel le David du Caravage, une épée ensanglantée dans une main et la tête de Goliath dans l’autre. Il veut gagner. Il veut posséder l’équipe qui vient de gagner la Coupe du Monde. L’alternative — du moins dans sa mémoire atavique –, c’est la mort.
Or suivre les gagnants est une recette perdante dans le monde pervers de Wall Street — non loin de là où nous écrivons ces lignes. Les gagnants deviennent bien vite aussi gras, stupides et surachetés qu’un sénateur. Les perdants, pendant ce temps, sont sveltes… sages et survendus. L’erreur et l’infortune, voilà ce qu’on cherche dans un bon investissement.
"Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", a écrit Nietzcshe. [Nous aimons à citer ce penseur allemand de temps à autre. Cela donne à ces chroniques le ton pseudo-intellectuel que nous recherchons. Mais nous l’avouons : nous ne savons pas comment s’écrit son nom. Nous avons donc mis toutes les consonnes dont vous pourriez avoir besoin ; réorganisez-les comme bon vous semble.]
▪ Le cas du Venezuela
Selon la logique de Nietzsche, il est peut-être temps d’acheter le Venezuela. En voilà un perdant ! Pendant 13 longues années, pendant qu’Hugo Chavez gérait le pays, les investisseurs y ont été conspués et vilipendés. Leurs capitaux ont été saisis. Leurs profits ont été taxés jusqu’à la disparition. Les capitalistes ont fui à Miami et la production a décliné.
A présent, Chavez est mort ; ce sont les consommateurs qui en bavent, non plus les producteurs. Le Financial Times rapporte que "des files de consommateurs frustrés ont remplacé les marches socialistes et les portraits d’Hugo Chavez dans le domaine des images représentant le pays sud-américain".
Le Venezuela perd environ 700 millions de dollars chaque fois que le prix du pétrole chute d’un dollar |
Le Venezuela perd environ 700 millions de dollars chaque fois que le prix du pétrole chute d’un dollar, selon le Financial Times. L’or noir a baissé de 40 $ depuis janvier — une catastrophe pour le pays.
Le Venezuela en bave : en sortira-t-il plus svelte ? L’article du Financial Times en fournit des preuves : Elena Gonzalez, décrite par le journal comme "une retraitée", déclare qu’elle a perdu 10 kg à force de faire la queue !
Mme Gonzalez voit les choses du bon côté. Idem pour le président Nicholas Maduro. Il prend l’adversité actuelle comme "une occasion de mettre fin au luxe inutile et aux dépenses superflues".
Malheureusement, du luxe inutile et des dépenses superflues, c’est exactement ce que veulent les électeurs. Voilà pourquoi ce pauvre Nicholas a vu sa cote de popularité divisée par deux, de 55% il y a un an à tout juste 25% aujourd’hui (ce qui le place à peu près également entre le président Obama, à 39%, et le président Hollande, à 12%).
▪ Trop tôt… mais bien vite trop tard !
Qu’un adulte sensé sur quatre approuve encore ses politiques suggère qu’ils doivent mettre des substances illicites dans l’eau, là-bas. Le Venezuela est une zone de désastre économique. Un citoyen lambda passe des heures à faire la queue pour acheter des biens alimentaires de base, tandis que 27 000 apparatchiks du gouvernement inspectent les prix pour s’assurer qu’ils sont "équitables". Comment le sauraient-ils ? Les prix au détail augmentent de 63% par an… et devraient atteindre 110% l’an prochain.
Le risque de défaut est si élevé que les obligations vénézuéliennes libellées en dollar rapportent près de 20% d’intérêt |
Le risque de défaut est si élevé que les obligations vénézuéliennes libellées en dollar rapportent près de 20% d’intérêt.
Et quand les choses tournent vraiment mal, les Vénézuéliens ont recours… au crime ! Les gens ne rapportent généralement pas les délits à la police — parce qu’ils pensent que les policiers sont une plus grande menace encore que les délinquants. Le taux de criminalité doit donc être estimé. Pour ce qui concerne les meurtres, par exemple, les estimations convergent aux environs de 60 pour 100 000.
A Baltimore, on tire une grande fierté civique de la manière vigoureuse et indépendante dont les habitants règlent leurs problèmes. Mais les Vénézuéliens font mieux. Il n’y a eu "que" 198 meurtres à Baltimore cette année. Avec une population de 600 000, le taux d’homicide de la ville n’est qu’à la moitié de celle du leader sud-américain. (A titre de comparaison, avec ses 226 homicides entre 2007 et 2013 pour Paris intra-muros et ses plus de deux millions d’habitants… la France peut aller se rhabiller).
Quel genre d’enfer est donc le Venezuela ?
"Nous mendions de la nourriture, nous mendions des produits de base, nous mendions des médicaments, nous mendions des couches pour nos enfants — actuellement nous mendions tout"… a déclaré une personne dans la file au Financial Times. "L’inflation nous dévore ; on a touché le fond. Ca ne peut pas être pire".
Nous avons des doutes en ce qui concerne la dernière ligne. Ils vont probablement encore en baver.
Mais "le pire" est bien quelque part. Aujourd’hui, il est peut-être "trop tôt" pour se positionner sur le Venezuela… ou la Russie… ou la Grèce… ou le pétrole… ou l’or. Un jour, il sera trop tard.