La Chronique Agora

L’inflation et ses aberrations

inflation

Nous assistons à un changement de régime mondial, notamment sur l’inflation – et quoi qu’en disent la Fed et les autorités politiques, ce ne sera pas un phénomène transitoire…

J’insiste sur la question de l’inflation car, comme je l’ai expliqué, nous sommes à un tournant historique : nous changeons de régime.

Les dés sont déjà jetés mais ils roulent toujours, ce qui signifie que le pire – tout en étant probable – n’est pas encore certain.

Les situations de transition se caractérisent par leur réversibilité.

Nous sommes en transition. Ce sont les Etats-Unis qui donnent le « la » de la situation mondiale ; ce qui est décrit ci-dessous s’applique aux vassaux des USA, en particulier au bloc européen. Il n’y aura pas beaucoup de décalage temporel. Le temps moderne est comprimé.

La Réserve fédérale américaine insiste sur le fait que les récentes augmentations de prix des aliments, des matériaux de construction, des voitures d’occasion, des produits de santé personnels, de l’essence et des appareils électroménagers reflètent des facteurs transitoires qui disparaîtront rapidement avec la normalisation post-pandémique.

Bien entendu, ce n’est pas une prévision.

Si la Fed était capable de faire des prévisions, cela se saurait. Depuis 2007, elle s’est systématiquement plantée, comme la BCE, sur ses prévisions d’inflation. A un point tel que maintenant elle rejette la théorie et les modèles qui lui servaient dans le passé à effectuer ses prévisions, elle abandonne la courbe de Phillips.

La courbe de Phillips, pour rappel, est la courbe qui relie la hausse des prix à l’état du marché du travail. La courbe de Phillips est une quasi-tautologie – à savoir qu’elle nous dit que quand le facteur travail est très demandé, son prix monte ; comme les prix des biens et services sont fait de 70% de travail, ces prix montent eux aussi.

L’affirmation de la Fed n’étant pas une prévision, qu’est-ce que c’est ?

Réponse : c’est une guidance, un pilotage dont le but est de gérer les anticipations inflationnistes.

La Fed croit qu’en disant que l’inflation sera temporaire, l’inflation sera temporaire… puisque la Fed croit que le déterminant de l’inflation, ce sont les anticipations.

L’esprit joue sur la matière, « perception is all », la réalité est mue par les forces magiques de la psychologie collective. C’est la réflexivité.

Donc la Fed essaie de se persuader – et de nous persuader – que l’inflation est transitoire parce que sa politique l’exige.

Si elle reconnaissait soit qu’elle ne sait rien, soit que l’inflation est durable, les marchés en tiendraient compte ; les chiffres de l’inflation des prochains mois seraient extrapolés dans les taux d’intérêt et les taux longs monteraient, ce qui rendrait plus difficile le financement des gouvernements tout en provoquant des chutes sur le marché boursier.

Les chutes sur le marché boursier mettraient le monde en risk-off, le crédit cesserait de couler, les tuyaux se boucheraient et on se retrouverait en 2008. Faute de credit impulse, le monde replongerait dans la Grande récession.

Vous comprenez l’enjeu de la guidance : il s’agit de pouvoir écarter les effets de l’inflation présente pour émettre plus de dette souveraine et pour éviter la chute du marché boursier. C’est une sorte de mensonge pieux.

Mais que se passera-t-il s’ils sont un signe avant-coureur d’un mouvement long, s’ils ne sont pas une déviation « bruyante » des tendances antérieures ?

L’envolée de la Grande inflation ?

Il se passera ce qui s’est passé au début des années 70 : ce sera le départ, l’envolée de la Grande inflation !

Selon l’économiste Stephen Roach :

« Arthur Burns, qui dirigeait alors la Fed, pensait que les tendances des indices de prix étaient fortement influencées par des facteurs idiosyncratiques ou exogènes – des ‘bruits’, des aberrations, des anomalies qui n’avaient rien à voir avec la politique monétaire. »

Burns était un bon économiste des cycles mais un piètre monétariste, et ses décisions étaient entachées par son autoritarisme.

Lorsque les prix du pétrole américains ont quadruplé à la suite de l’embargo pétrolier de l’OPEP au lendemain de la guerre du Yom Kippour en 1973, Burns a fait valoir que, puisque cela n’avait rien à voir avec la politique monétaire, il ne fallait pas en tenir compte. Il a imposé l’idée la Fed devait exclure le pétrole et les produits liés à l’énergie (comme le mazout domestique et l’électricité) de l’indice des prix à la consommation.

Peu importait pour lui que ces éléments avaient un poids de plus de 11% dans l’indice des prix, dans l’IPC.

Cette décision d’exclure le pétrole équivaut à décréter que cette hausse est exceptionnelle, temporaire et qu’elle ne doit pas être prise en compte pour modifier la politique monétaire.

Cela ne vous rappelle rien ?

Puis vint la flambée des prix des denrées alimentaires, qui, selon Burns en 1973, était attribuable à des conditions météorologiques inhabituelles – en particulier, un événement El Niño. Il a insisté sur le fait que c’était la source de la hausse des prix des engrais et des matières premières, entraînant à son tour la hausse du bœuf, des prix de la volaille et du porc.

La Réserve fédérale et ses services ont été obligés de suivre Burns et de sortir la nourriture de l’indice des prix, alors qu’elle avait un poids de 25% de l’IPC !

L’idée est toujours la même : tout cela n’est pas de l’inflation, la nourriture et l’énergie ne sont pas significatifs, c’est temporaire, cela va, cela vient, n’en tenons pas compte ! Et hop, on exclut ce qui dérange.

C’est cette démarche aberrante d’un homme têtu qui a donné naissance à l’idiotie que constitue le concept d’inflation sous-jacente, core.

L’inflation core, vous savez, cette inflation qui n’en est pas une car elle est constituée d’effets spéciaux… l’alimentation, l’énergie et, comme ici et maintenant, la guerre contre le virus.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile