Quand, en 1971, le président Nixon a décrété la fin de la convertibilité du dollar en or, il a fait basculer le système monétaire dans une escalade fantastique des endettements…
Le présent dans la monnaie moderne est escamoté comme référence centrale pour être remplacé par le futur. Et encore : le futur imaginé. D’où la nouvelle fonction des autorités, celles que j’appelle les grands prêtres ou les démiurges qui se prennent pour Dieu : construire un imaginaire, des prophéties. Comme le fait Jérôme Powell qui pilote l’imaginaire des marchés. Lui et sa mise en scène font croire qu’ils détiennent la clef de l’avenir.
La possibilité de créer et d’imposer un imaginaire par les maîtres de la monnaie fait partie de la modernité. D’où l’importance de leur communication. Leurs paroles sont des oracles. Ils déchiffrent les Mystères des temps modernes ! La confiance n’est plus confiance dans le présent, dans la nature ou autre réalité, non la confiance repose sur leur discours.
C’est le cynisme américain qui n’est en fait qu’une colossale naïveté : nous créons notre propre réalité et les autres s’adaptent. On a vu comment ils ont créé leur propre réalité en Afghanistan et celle qu’ils sont en train de prendre sur la figure en Ukraine !
Attendez et vous recevrez
Cette création d’un imaginaire équivaut à la mise en place d’une attente.
Suivez-moi bien. Cette attente, c’est plus ou moins ce que l’on appelle les anticipations, le consensus en bourse par exemple. Et l’autre nom de cette attente, c’est l’escompte.
La monnaie et les quasi monnaies sont de purs escomptes sur l’avenir et le fil conducteur de ma réflexion, c’est le mot escompte.
Car qui dit escompte dit taux d’escompte et taux d’intérêt. Je soutiens donc que la métamorphose de la monnaie, analysée précédemment, entraîne un nouveau statut : la monnaie, comme ses avatars les valeurs mobilières/quasi monnaies, est un escompte de l’à-venir et, pour valoir quelque chose, il faut que le taux d’escompte de l’à-venir soit nul, donc que les promesses contenues dans l’imaginaire aient une valeur infinie.
Le système implique de façon endogène que les taux d’intérêt ne peuvent et ne doivent jamais redevenir positifs en termes réels, c’est-à-dire déflatés de la hausse des prix. La pénalité infligée à l’à-venir, pénalité qui le dévaloriserait doit être nulle.
L’inflation des prix des biens et services est élevée ? Oui, et alors ?
Depuis des décennies, les autorités recherchent la hausse monétaire, nominale des prix des biens et des services. Elles ont fait croire que nous étions en déflation structurelle et que la tendance à la déflation, c’était quelque chose de mauvais. Elles ont même, à certains moments, envisagé de hausser l’objectif d’inflation fixé à 2%.
Powell, dans sa recherche d’inflation, a d’ailleurs proposé un changement de norme et, au lieu de se fixer un objectif d’inflation de 2%, il a envisagé d’une part de hausser l’objectif… puis de le dépasser en le transformant en objectif d’une moyenne vague, indéterminée et finalement discrétionnaire.
Donc la ligne de base, avant le Covid, la guerre et la démondialisation, était claire : les autorités veulent une inflation régulière, que les prix montent, et ne veulent pas que la concurrence, la productivité ou les progrès de la technologie viennent faire baisser les prix. Elles veulent que les GDP nominaux montent. En sens inverse, elles veulent que la monnaie se déprécie en continu.
Pourquoi veulent-elles de l’inflation structurelle ?
Parce que l’illusion monétaire met de l’huile artificielle dans les rouages sociaux et, à ce titre, permet de faire en sorte que les salaires et prestations sociales soient toujours en retard.
L’impôt inflation
L’inflation est un impôt qui bonifie le taux de profit du système économique dans la mesure où, d’une part, il permet à l’État de moins prélever par l’impôt qu’il ne le faudrait et aux entreprises de réduire le poids relatif de leurs dettes et du coût de leur effet de levier.
La fonction de l’inflation est de rendre la monnaie fondante, d’éroder les pouvoirs d’achats de la monnaie, le salaire des travailleurs, leurs économies, leurs droits à retraite.
La fonction de l’inflation, tant qu’elle n’est pas perçue par le public, est de prendre dans la poche des uns pour le transférer dans la poche des autres. Elle réduit le poids des dettes du business, des crédits des ultra riches en levier, et bien sûr les ratios de dette réelle des gouvernements.
L’inflation est le complément indispensable du capitalisme financier et même du capitalisme tout court.
Je m’explique, car ceci n’a jamais été expliqué clairement au grand public. Quand en 1971 le président Nixon a décrété la fin de la convertibilité du dollar en or, il a fait entrer le système monétaire international dans un système de changes flottants. Il n’y avait plus de référence bien entendu au métal précieux mais aussi à tout autre référent extérieur.
Ceci permit l’escalade fantastique des endettements. C’était d’ailleurs le but : repousser les limites de la dette.
Les signes et le réel se séparent
La décision de Nixon s’inscrivait dans ce que l’on peut appeler la modernité, définie comme fin du rapport direct du signe à la chose qu’il représente. La décision de Nixon a libéré les signes du poids, de la finitude et des limites du réel.
C’est cela le sens profond du choix de Nixon. La disjonction du signe et du réel comme cela avait déjà été réalisé dans la linguistique, l’esthétique, la sémiologie. Il consacrait en quelque sorte la généralisation à l’économie du monde Orwellien ou Faustien.
La décision de Nixon est importante au niveau civilisationnel, par son inscription dans la tendance mondiale à l’effondrement des référents, des vérités, des ancrages, des points fixes, des absolus, des Trésors.
Rien ne garantit le signe monétaire après Nixon, si ce n’est le jeu des signes entre eux, le jeu des signifiants articulés dans des répétitions, des rhétoriques. D’où l’importance en passant de la parole de l’oracle ou des grands prêtres, à celle des banquiers centraux.
On n’étudie plus le réel, on étudie les discours de Greenspan et Powell ! Le sens ne se trouve plus dans le monde, il se trouve dans les mots, les paroles, les romans et les Écritures : voilà ce qu’a introduit et réussi Nixon.
Et ceci n’est que la généralisation du mouvement de la modernité, appliqué à l’économie, qui s’est éloignée du réel, du figuratif, du représentatif et s’est installée dans les délires de l’imaginaire. On a élargi à l’économie ce qui avait été fait dans l’art.
On a institutionnalisé, sacralisé le signe, comme dans l’art avec les artistes bidons, bidonnant pour le compte des galeries. On a fait du faux monnayage la norme, et la tentation perpétuelle, celui-ci n’étant permis que par le désencrage et l’entrée dans l’imaginaire marchand de l’offre et de la demande. Dieu est mort, alors tout est permis !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]