La Chronique Agora

Independence Day… et le prestige d’une armée puissante

▪ Fritz Bayerlein connaissait la guerre — la guerre moderne — quasiment mieux que quiconque. Le général de 45 ans avait servi dans l’armée d’Hitler quasiment toute sa vie adulte. Il s’était battu sur tous les principaux fronts — la Pologne, l’Afrique du Nord, la Russie et la France.

En 1944, il commençait à se sentir grincheux. Au début, l’idée d’un empire germanique s’étendant de l’Atlantique au Pacifique… de la Baltique à la Méditerranée… l’emplissait de fierté. Après tout, c’était un soldat professionnel, et les militaires de l’Allemagne rendaient la chose possible. La Wehrmacht n’avait pas perdu la Première Guerre mondiale… elle avait été poignardée dans le dos, tout le monde savait ça. Bayerlein, qui s’était battu aussi durant la Première Guerre mondiale, pouvait marcher la tête haute. Il était général dans l’armée… et capitaine de la plus grande industrie allemande — la défense. Sur le papier, la France avait la plus grande armée au monde, en 1939. Mais Bayerlein savait que les combattants allemands étaient les meilleurs.

Mais quelque chose avait mal tourné. La plus belle force combattante que le monde ait jamais vu avait perdu l’Afrique du Nord… était en train de se faire écraser en Russie… et se trouvait menacée d’annihilation en France.

En Normandie, la Wehrmacht était confrontée à une différente sorte d’ennemi.

Les Russes pouvaient lui opposer ce qui semblait être un nombre illimité de troupes. Les soldats allemands les fauchaient… mais ils continuaient d’arriver.

Les alliés étaient différents. Ils n’aimaient pas gaspiller les hommes. Mais ils avaient ce qui semblait être une quantité illimitée de puissance de feu. Air. Mer. Sol. Le pauvre soldat allemand s’en prenait de toutes les directions.

D’où venait toute cette puissance de feu ? Des Etats-Unis.

▪ L’armée américaine a parcouru un long chemin, depuis la Deuxième Guerre mondiale…
Lorsque la Deuxième Guerre mondiale a commencé, les Etats-Unis avaient une armée minuscule — la seizième au palmarès mondial –, plus petite que l’armée roumaine. Les Etats-Unis avaient peu de soldats, peu d’armes et une expérience minimale, comparée à celle des Européens et des Japonais. Ses soldats étaient mal payés et mal entraînés.

Mais ils avaient au moins une chose — la première économie au monde. En dépit de la Grande Dépression et du New Deal, les entreprises privées américaines pouvaient toujours produire. Et lorsque les commandes d’armes et de munitions arrivèrent, elles travaillèrent jour et nuit pour les honorer. Il en résulta le plus grand arsenal jamais créé.

Hier, on fêtait le Jour de l’Indépendance aux Etats-Unis. Nous en avons profité pour réfléchir au chemin parcouru par l’armée américaine — de la petite troupe glacée, en haillons, de Valle Forge… à l’armée mal préparée de 1940… puis à la force armée la plus forte et la plus coûteuse au monde. Elle a des troupes partout sur le globe, dans 200 pays différents, selon une source. Elle a des équipements dernier cri… et un budget plus de 10 fois supérieur à l’intégralité des dépenses gouvernementales américaines en 1940.

A l’hiver 1777-1779, les troupes de Valley Forge n’étaient pas payées. Elles devaient mendier leur nourriture auprès des fermiers locaux. A présent, les soldats américains sont parmi les gens les mieux payés des Etats-Unis.

Les défenseurs du Pentagone diront que ceux qui risquent leur vie pour protéger la nation méritent de gagner plus que les autres. Pour commencer, la nation n’est pas en danger ; elle n’a pas d’autres ennemis sérieux que ceux que crée le Pentagone. Elle n’a pas franchement besoin d’une protection aussi chère.

Ensuite, quant aux risques auxquels ils sont confrontés, on a récemment appris que le premier danger pour les combattants américains en Irak et en Afghanistan, c’est eux-mêmes. Les suicides emportent plus de soldats que l’ennemi.

Les films populaires glorifient l’armée américaine. Les compagnies aériennes offrent des surclassements gratuits aux soldats. Depuis l’Allemagne des années 30, on n’avait jamais considéré les militaires avec tant de respect. Et tandis que les Etats-Unis glissent vers la faillite, aucun candidat, quel que soit le parti, ne suggère de sérieuses réductions du budget du Pentagone. Pas plus qu’ils ne se souviennent des doléances des premiers Américains contre le roi George III :

« Il a prétendu rendre les militaires indépendants du pouvoir civil, et supérieurs à lui ».

Mais faire passer les ressources des secteurs productifs vers l’armée pourrait se révéler fatal, un jour. On ne peut pas mener une vraie guerre avec une armée surpayée et qui tient de l’usine à gaz. Il faut de la puissance de feu.

▪ La qualité des soldats ne fait pas tout
Fritz Bayerlein n’avait aucun doute sur la supériorité de ses hommes et de leur équipement. A combat égal, il gagnerait. Mais les Alliés avaient tant de puissance de feu, la partie était si biaisée en leur faveur qu’il n’avait aucune chance. Si ses hommes avançaient de jour, les avions américains ne tarderaient pas à plonger sur eux… pour les bombarder, les écraser, les napalmer. Et la nuit, l’artillerie continuait… hachant le sol, faisant exploser leur ravitaillement et les enterrant vivants.

La division de Bayerlein avait perdu 5 600 hommes en 48 jours de combats ininterrompus. Les remplaçants étaient des garçons de moins de 18 ans qui manquaient d’entraînement. Il n’y avait pas de véritable espoir qu’ils puissent tenir contre la tentative d’Omar Bradley de faire avancer les forces alliées en Normandie. Les débarquements avaient été un succès. Plus de 600 000 soldats et 80 000 véhicules étaient arrivés, avec une puissance de feu telle que le monde n’en avait jamais vu. Mais ils n’avaient pas réussi à avancer sur Paris. Bradley avait vu les Anglais et les Canadiens s’embourber en tentant de contourner Caen par l’est. Puisque les Anglais avaient attiré les forces allemandes vers Caen, il percerait leurs lignes en un autre endroit… qui se trouvait être exactement là où Bayerlein était aux commandes.

Bradley mit sa puissance de feu au travail le 25 juillet. Les avions furent les premiers à entrer en action. Le correspondant de guerre Ernie Pyle fut témoin oculaire :

« Ils vinrent en groupes, plongeant de toutes les directions, parfaitement minutés, l’un après l’autre. Partout où l’on regardait, des groupes d’avions séparés montaient ou descendaient, ou se préparaient à plonger ».

Les Allemands tentèrent de trouver refuge dans le sol. Mais le sol lui-même se déroba. C’est à peine si un centimètre carré resta intact. La Wehrmacht ne parvenait pas à creuser assez profondément pour s’abriter. Plus elle creusait, plus elle était enterrée à la vague d’attaques suivante. Une fois le bombardement terminé, les survivants se dégagèrent de la boue pour découvrir « un paysage lunaire ». Bon nombre d’entre eux avaient été rendus fous ou muets par le bruit. Un millier de soldats étaient morts.

C’est le lendemain, le 26 juillet 1944, qu’un lieutenant arriva avec les ordres de l’officier en chef de Bayerlein, Gunter von Kluge. Il lui ordonnait de « tenir ». Il ne devait pas permettre « à un seul homme de quitter sa position ».

C’est peut-être à ce moment-là, voire avant, que l’enthousiasme du général pour la domination mondiale vacilla :

Ne vous inquiétez pas, dit-il au lieutenant, « tout le monde tient. Tout le monde. Mes grenadiers et mes ingénieurs et mes conducteurs de char — tous tiennent leur position. Pas un seul homme ne quitte son poste. Pas un. Ils sont tous dans leurs tranchées, muets et silencieux, parce qu’ils sont morts. Morts. Vous pouvez rapporter au feld-maréchal que la Division Panzer Lehr est annihilée. Seuls les morts peuvent désormais tenir la position ».

Bayerlein survécut à la guerre et mourut 25 ans plus tard. Pas Von Kluge. Il se suicida en 1944. Omar Bradley se dirigea vers le sud… puis revint au nord pour encercler deux divisions allemandes dans la Poche de la Falaise. 50 000 soldats allemands furent capturés.

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