L’euro a fêté ses 20 ans le 1er janvier 2019. C’était l’occasion pour les thuriféraires de la monnaie unique de se rassurer sur son avenir dans des articles parfois comiques.
Prenons par exemple cet édito des Echos, vis-à-vis duquel la rédaction a cependant eu « un dernier sursaut de bon sens » en faisait « supprimer la possibilité de [le] commenter », comme le relève le blogueur Franck Boizard.
Plutôt que de voir en l’euro une nouvelle preuve que « les erreurs théoriques conduisent fatalement aux catastrophes pratiques » (Bruno Bertez), l’euro (« grâce lui en soit rendue », nous dit le rédacteur en chef des Echos…) devient « la plus belle construction politique de l’après-guerre ». Tiens donc.
Dans le détail, Daniel Fortin évoque :
« Une monnaie qui a permis à la Zone portant son nom de contenir sa facture énergétique, de résister à la crise de 2008, à l’aventure grecque, aux sceptiques de tous bords […] qui […] prédisent à l’envi sa fin prochaine, comme s’ils ne supportaient pas d’en constater l’incroyable réussite. »
Vous ne le savez que trop bien si vous êtes un régulier de La Chronique : en économie, il y a bien sûr « ce qu’on voit », mais il y a aussi « ce qu’on ne voit pas », comme l’a expliqué Frédéric Bastiat.
Que cache « l’incroyable réussite » de l’euro ?
Débutons avec un commentaire des arguments évoqués par le journaliste des Echos.
Le pétrole étant coté en dollars US, le prix des carburants à la pompe augmente mécaniquement pour le consommateur lorsque la monnaie du pays dans lequel il vit baisse face au dollar. En tant que Français, nous bénéficions effectivement grâce à l’euro d’une monnaie plus forte face au dollar que ne le serait le franc. Très bien.
Le deuxième argument est que l’euro a permis à des pays coutumiers des tempêtes monétaires de traverser la crise de 2008 sans être dévastés. C’est exact. A la nuance près que l’année 2008 est celle où, en descendant à son tour ses taux directeurs au plancher et en faisant exploser la taille de son bilan, la BCE a clairement rejoint la Banque du Japon et la Fed dans l’expérimentation monétaire mondiale sans précédent historique qui se déroule sous nos yeux.
Or, comme nous l’écrivons à longueur de colonnes, rien ne garantit qu’il sera possible de revenir en arrière. J’ai d’ailleurs récemment évoqué en détails les conséquences dramatiques d’une telle dérive.
Pour ce qui est de « l’aventure grecque », je ne sais pas quels souvenirs vous gardez des centaines de milliards d’euros accordés à Athènes au fil des plans de soutiens successifs mais, aux dernières nouvelles, la dette publique hellénique se monte encore à 180% du PIB, et les banques grecques ont un taux de prêts non performants compris entre 44% et 56% du total de leurs prêts.
Bref, le secteur bancaire grec serait très largement insolvable si la BCE devait couper sa perfusion monétaire. Autant dire qu’on est loin de l’épopée homérique.
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Zone euro : les inconvénients de l’intégration monétaire sans les avantages
Venons-en maintenant à ce qu’oublie d’évoquer le rédacteur en chef des Echos. Pour ce faire, je vous propose le résumé d’une note publiée par Natixis.
Voici ce qu’écrit l’équipe de Patrick Artus :
« La création de l’euro a eu les coûts macroéconomiques attendus pour les pays de la Zone euro :
- avec la disparition des politiques monétaires nationales, et l’absence de budget fédéral, l’incapacité à corriger les chocs et les structures asymétriques, d’où l’hétérogénéité croissante de la Zone euro ;
- le coût excessif des dévaluations internes qui empêche qu’elles soient utilisées pour corriger les handicaps de compétitivité dus aux écarts entre les fonctionnements des marchés du travail.
Mais, la création de l’euro n’a pas eu les avantages microéconomiques attendus, liés à la disparition du risque de change :
- depuis 2010, la mobilité des capitaux entre les pays de la Zone euro a disparu, et l’épargne ne finance plus les investissements efficaces ;
- le marché unique n’a pas développé les échanges commerciaux entre les pays, ni permis l’apparition de grandes entreprises dans les secteurs stratégiques. Au total, la création de la Zone euro a eu les coûts macroéconomiques prévisibles, mais n’a pas apporté les progrès microéconomiques espérés. »
Mais peut-être Les Echos classent-ils Patrick Artus au rang des « sceptiques » qui ne supportent pas de « constater l’incroyable réussite » de la zone euro…
Traité d’Aix-la-Chapelle : relancer l’intégration en donnant une nouvelle impulsion au cœur de la Zone euro
Le mois de janvier était décidément celui des incantations dérisoires puisque, sur le front de l’intégration européenne, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont essayé de refaire partir le palpitant du patient à grands coups de défibrillateur.
Le 22 janvier, le président et la chancelière ont ainsi joint leurs impuissances respectives pour relancer le couple franco-allemand en signant le traité d’Aix-la-Chapelle. Cet accord vise à renforcer la coopération et l’intégration bilatérale, dans la lignée du traité de l’Élysée de 1963.
Cela a été une nouvelle occasion de constater qu’il est plus facile de se mettre d’accord à deux qu’à 19, surtout lorsque les engagements d’ordre économique se limitent à la création d’un « Conseil franco-allemand d’experts économiques », lequel ne sera chargé de faire que de simples recommandations sur la politique économique à mener entre les deux pays.
L’Allemagne coopérera avec les pays du sud non pas par volonté politique, mais parce qu’elle y est condamnée
Malgré l’apparente entente entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, la toile de fond reste la même.
On a toujours d’un côté un président français qui fait des pieds et des mains pour inspirer confiance à l’Allemagne… alors que l’Etat français est toujours l’incarnation même de la dépense publique en Europe et dans le monde.
De l’autre, on a une Allemagne qui regarde ce triste spectacle leurs yeux écarquillés, avec cependant une main qui n’est pas aussi forte qu’on pourrait l’imaginer, comme le rappelait Natixis le 13 février.
En réalité, Berlin est loin d’être en mesure de dicter les règles de politique économique qui l’arrangeraient, et ce pour au moins trois raisons, comme l’explique Natixis :
- « L’explosion de l’euro aurait des conséquences dramatiques pour l’Allemagne, comme l’explosion du Système monétaire européen en 1992 ; l’Allemagne est donc forcée d’accepter tous les mécanismes qui protègent l’intégrité de la Zone euro en cas de crise ;
- la régionalisation croissante des échanges, avec le retour des productions au voisinage des acheteurs finaux des biens, conduit à ce que l’Allemagne ait besoin d’un marché intérieur dynamique de la Zone euro ; l’Allemagne doit donc contribuer à soutenir la demande intérieure de la Zone euro, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ;
- les autres pays de la Zone euro ont une très forte dette, sous diverses formes (détention en Allemagne de dette publique des entreprises, des banques des autres pays, balances Target 2) vis-à-vis de l’Allemagne ; l’Allemagne est donc contrainte de collaborer au maintien de la solvabilité des emprunteurs des autres pays de la Zone euro. »
Bref, 20 ans de mutualisation de la monnaie entre pays aux économies très différentes ont abouti à une « incroyable réussite » au travers de laquelle les Etats concernés se retrouvent enchaînés les uns aux autres, jusqu’à ce qu’à ce qu’une nouvelle crise vienne mettre fin à l’anomalie économique, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire des unions monétaires.