La Chronique Agora

Quand l’illusion masque la précarité réelle de l’emploi

Quand le cache-misère de l’auto-entrepreneuriat ne cache plus rien…

J’ai assisté mercredi soir à un débat assez lunaire sur BFM Business sur la thématique : « Malgré un ralentissement de la croissance, les créations d’emploi vont rester à un très haut niveau en 2024 ».

Mais l’essentiel de l’émission a été consacré à l’évocation de l’effondrement de Casino, avec 1 200 à 3 200 suppressions d’emploi à la clé, et ce n’est pas un cas isolé dans la distribution, puisque les mises en redressement judiciaire se multiplient avec une hécatombe d’enseignes historiques (Habitat, Gap France, Sergent Major, Burton of London…).

Et la crise de la distribution provient de ce que les Français « épargnent trop »… mais qu’attendre d’autre de la part de ceux qui auraient les moyens de consommer vu l’effort que les contribuables vont devoir consentir pour restaurer nos finances.

A part Casino, les faillites touchent surtout des entreprises de « taille moyenne », les entreprises cotées en général se portent bien. Selon un sondage de la Chambre de Commerce et d’industrie publiée il y trois semaines, à l’approche des élections européennes, les chefs de grandes entreprise se félicitent des effets positifs du « marché unique », l’un des totems de l’Union européenne.

Ils conviennent que les temps sont difficiles pour les plus petites entreprises qui ne perçoivent pas de bénéfices de l’Europe… et c’est carrément une période « compliquée » (comprendre, c’est la crise) pour les micro-entreprises.

Mais revenons aux grandes entreprises… Selon un autre sondage, la France arrive en tête des pays les plus propices pour entreprendre dans l’UE (34%), suivie de l’Allemagne (29%). Les autres Etats membres sont nettement moins cités (l’Espagne qui occupe la 3e place affiche un score piteux de 6%).

La France est peut-être « propice », mais pas exempte de « risque » : le taux de faillite des PME observé ces douze derniers mois est le plus élevé depuis la crise de 2008, avec 5 000 dépôts de bilan.

Mais le gouvernement met en avant un autre chiffre : entre 2012 et 2023, plus de 8,5 millions d’entreprises ont vu le jour. La barre du million de créations a été dépassée en 2021 et en 2022, avant de retomber un peu en 2023. Mais le niveau reste presque deux fois plus élevé qu’en 2012 et 2013.

La fameuse « dynamique entrepreneuriale » a connu un vrai décollage à partir de 2016 (+10% par an de 2016 à 2022).

Le gouvernement se targue d’être l’artisan d’une conjoncture économique et réglementaire propice au « business », alimentant une disposition plus favorable des Français à l’égard de l’entrepreneuriat.

En réalité, il s’agit surtout d’auto-entrepreneuriat, une issue socialement « honorable » pour les chômeurs en fin de droit, largement encouragée par Pôle Emploi, trop heureux de faire sortir les exclus du monde du travail – et qui risquent de le demeurer – des « stats » du chômage.

Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, qui date de la dernière année de la mandature de François Hollande, observez le graphique ci-dessous. Voilà la preuve que l’élection de Macron ne constitue pas « l’électrochoc positif », dont le président se félicite : il témoigne d’une montée en flèche de la précarité… les créations de vraies « entreprises » progressant de 20%, dans un contexte très porteur de « quoi qu’il en coûte ».

L’auto-entrepreneuriat débouche souvent sur du salariat déguisé (et oui, tout le monde n’a pas un « réseau » ni des compétences de coach de haut niveau à monnayer, c’est même l’exception).

Nombre de chefs d’entreprises de la catégorie « PME », submergés par les charges sociales et la « paperasserie », sans échappatoire fiscal (filiales en Irlande ou aux Pays-Bas) ont recours à des « indépendants » pour éviter les charges patronales.

Ils encouragent même certains de leurs salariés à créer une micro-entreprise pour pouvoir percevoir des revenus décents, avec un petit bonus de rémunération qui améliore leur ancien « net », mais au prix d’une précarité totale (plus de droit au chômage).

Mais attention à la requalification de « salaire déguisé » : il faut donc faire tourner les effectifs… et heureusement, le vivier est assez vaste.

Et les débatteurs de BFM-Business que j’évoquais en début de chronique n’ont pas évoqué l’éléphant dans le corridor, c’est-à-dire la centaine de milliers d’emplois perdus cette année dans le secteur du BTP/logement collectif/logement individuel, avec des taux qui repartent à la hausse (le « 10 ans  » refranchit les 3%, un prêt sur 20 ans coûte de nouveau plus de 4% tout frais compris) et un gouvernement qui songe à ponctionner un peu plus les propriétaires bailleurs, ces « rentiers » privilégiés qui ont les moyens de payer… mais qui vont finir par jeter l’éponge et qui ont déjà abandonné quasiment tout projet de financement de nouveaux logements en 2023.

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