Les grosses mains rejouent la folie des cryptomonnaies pour tendre deux pièges en même temps : l’un à la hausse, et l’autre à la baisse…
C’est chose faite : la valeur du concepteur de puces électroniques Nvidia a dépassé les 1 000 Mds$.
Fin mai, ce groupe a pu se prévaloir d’une capitalisation boursière 50% plus importante que celle de Berkshire Hathaway, de plus du double de celle de Visa, et de près de cinq fois celles Bank of America et Hermès.
La raison de cette valorisation inédite ? L’intelligence artificielle, bien sûr. L’IA, qui fait les gros titres de la presse économique depuis six mois, a remis Nvidia sur le devant de la scène. Après la bulle des cryptomonnaies, qui avait permis à l’action un gain de 800% en quatre ans, l’engouement pour les IA génératives comme ChatGPT a provoqué une nouvelle hausse verticale de la valeur de l’entreprise.
Cette fois-ci, la valeur du titre a triplé en sept mois, soit une hausse de près de 500% en rythme annuel.
Ce genre de mouvement est typique des phases maniaques lors desquelles les agents économiques tentent désespérément de donner un prix à une évolution de société majeure.
Il est évident que la valeur intrinsèque de Nvidia n’a pas changé d’un facteur trois depuis le mois d’octobre dernier. Les marchés nous jouent la partition éculée de la bulle boursière à destination des petits porteurs naïfs. Des bulbes de tulipes aux dot.com en passant par les actions de la Compagnie du Mississippi, la recette est toujours la même : une hausse brutale du prix d’un actif médiatisé laisse croire par auto-persuasion que les fondamentaux sont solides.
Le FOMO (la peur de manquer le train de la hausse) fait le reste, et lorsque plus personne ne veut prendre le risque de ne pas faire partie de ce « nouveau monde », la hausse devient verticale… et signale paradoxalement l’imminence du krach.
Les bulles spéculatives sont vieilles comme le capitalisme, et il n’est pas étonnant que la Tech américaine nous en serve une énième itération cette année. En revanche, celle-ci a pour particularité de manquer cruellement d’originalité : elle concerne le même acteur que durant la bulle des crypto-monnaies, et se nourrit des mêmes arguments pourtant démentis depuis.
Wall Street mise sur l’amnésie du grand public pour provoquer une nouvelle hausse du titre Nvidia et des « valeurs de l’IA », tout en tirant à la baisse les valorisations de groupes industriels dont la mort est prétendument imminente.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, suivre ces pseudo-évidences relayées par la presse économique est le meilleur moyen de perdre sa chemise. La bonne nouvelle est que gagner de l’argent est simple : il suffit de faire le contraire de ce que préconise le consensus.
Wall Street rejoue à l’identique la folie des cryptomonnaies
La hausse brutale de la valeur de Nvidia (de 25% en une journée) est censée être motivée par la hausse des ventes de puces dédiées au calcul parallèle, très prisées par les concepteurs d’IA génératives sur le devant de la scène depuis quelques mois.
Mais si Nvidia dispose d’un incontestable pricing power sur le haut de gamme, ce type de puces électroniques existait déjà il y a un an, voire deux… et même plus. Même le modèle H100, censé être la prochaine corne d’abondance du groupe avec un prix catalogue de 40 000 dollars, n’est en fait qu’une énième déclinaison de l’architecture parallèle des très classiques « cartes graphiques » présentes dans nos ordinateurs. Sa seule particularité est d’être optimisée pour les calculs d’IA.
Nvidia avait déjà appliqué la même recette pour le minage des cryptomonnaies, créant des produits certes performants, mais qui avaient été valorisés en Bourse sans commune mesure avec leur impact économique réel.
En partie grâce au minage des cryptos, les ventes de Nvidia sont passées de 11,7 Mds$ à 27 Mds$ entre 2018 et 2022. Une louable performance, représentant une hausse de 130%, mais qui reste similaire à celle d’autres membres de la tech comme Salesforce (dont le chiffre d’affaires a augmenté de 136%), ou même à des équipementiers électroniques comme TSMC (115%). Elle est aussi bien plus faible que celles d’acteurs de la transition énergétique comme Jinkosolar et ses 230%. Cependant, dans le même temps – cherchez l’erreur – la valorisation de Nvidia s’est envolée de 525%.
En réalité, c’est la hausse du cours du Bitcoin – et pas celle du chiffre d’affaires de Nvidia – qui a fait bondir la valorisation de l’électronicien, comme le prouve l’extrême corrélation entre le cours du BTC et de l’action NVDA.
Evolution du cours du Bitcoin en dollars (en vert) et de l’action Nvidia (en bleu). Infographie : Investing.com
Lorsque la folie des cryptomonnaies s’est calmée, le Bitcoin a perdu 75% de sa valeur. Dans le même temps, la capitalisation boursière de Nvidia s’est contractée de 66%.
Aujourd’hui, les analystes les plus médiatiques de Wall Street clament que les produits Nvidia sont le socle de la révolution de l’IA et que payer l’entreprise 200 fois ses bénéfices (!) reste raisonnable vu son pricing power infini dans un marché au potentiel tout aussi illimité.
A contrario, ces mêmes analystes vous somment de vendre « à tout prix » les actions des entreprises dont le métier pourra être automatisé par l’IA.
Vous pouvez éviter de tomber dans ce piège grossier en adoptant une lecture contrarienne de la situation.
Bien investir dans l’IA, c’est refuser l’enfumage de Wall Street
Sans entrer dans les détails techniques de la micro-électronique, il faut bien comprendre que les puces de Nvidia sont performantes sans être révolutionnaires.
De la même manière que nous avons vu fleurir au cours des dernières années des puces spécialisées dans le minage des cryptomonnaies qui faisaient mieux que les composants Nvidia, certains acteurs (comme Apple) ont développé des unités de calcul ultra-performantes pour l’IA à coût modique.
Intégrées dans les derniers iPhones, elles permettent de faire tourner les modèles d’IA en temps réel avec une consommation énergétique ridicule, pour une part infime du prix des modules de calcul Nvidia des années 2010.
En réalité, en matière de capacités de calcul, la firme de Santa Clara joue le rôle de fournisseur de pelles et pioches de premier niveau. Ses produits sont idéaux pour défricher un marché, mais n’ont pas d’avantage technologique intrinsèque qui empêchent des équivalents vendus beaucoup moins cher d’arriver sur le marché par la suite.
C’était vrai pour le minage des cryptomonnaies, c’était vrai pour la première génération d’IA (qui se souvient que Tesla était censé être dépendant de Nvidia pour sa navigation autonome ?)… l’IA générative ne fera pas exception.
Piège à la hausse, piège à la baisse
Selon Wall Street, les entreprises qui pourraient remplacer une grande partie de leurs salariés par des IA sont vouées à la faillite, et il est urgent se débarrasser des actions de ces dinosaures qui s’ignorent.
C’est, là aussi, faire un contre-sens total sur l’impact économique des innovations technologiques. Contrairement à l’idée romantique entretenue par nos hommes politiques, les salariés ne sont pas une fin pour une entreprise, mais un moyen de créer de la valeur ajoutée.
Les sociétés qui remplaceront des salariés à forte valeur ajoutée par des IA ne vont pas mettre la clé sous la porte : elles feront plus de bénéfices toutes choses égales par ailleurs. L’IA va seulement démultiplier leur productivité comme l’avaient fait, au siècle dernier, l’automatisation et l’informatique algorithmique.
L’erreur est de croire que les IA génératives vont faire disparaître les modèles d’affaires basés sur la production de contenus sous prétexte que cette tâche sera automatisée.
Les chaînes d’assemblage d’iPhone et de voitures sont robotisées en quasi-totalité, mais Apple et Stellantis existent encore. Il est possible d’écrire chez soi, gratuitement, des programmes informatiques, mais Microsoft gagne encore des milliards en vendant ses logiciels. Avec l’impression 3D, de très nombreuses pièces manufacturées peuvent être produites en quelques clics, à domicile, et pour un coût dérisoire… mais les consommateurs continuent d’acheter des produits en magasin.
Croire que la génération de contenus (images, films, musique, articles de presse) ne sera plus une activité commerciale sous prétexte qu’elle peut être automatisée relève du contre-sens total.
Aujourd’hui, Wall Street veut vous faire croire que Nvidia est l’Alpha et l’Omega de la révolution de l’IA, et que tous les métiers créatifs et de conseil vont disparaître.
Comme lors de chaque bulle, les grosses mains vous indiquent clairement la marche à suivre pour gagner de l’argent : il suffit de faire l’inverse de leurs « conseils d’amis » !